Alors que des milliers de Népalais espèrent d’hypothétiques secours dans les villages d’altitude sinistrés par les avalanches et coulées de boue consécutives au séisme qui a frappé leur pays, samedi 25 avril, la polémique monte sur les secours dans l’Himalaya qui se focalisent sur le sort des candidats à l’ascension de l’Everest (8 848 m). Mardi, 170 alpinistes avaient pu être ramenés au camp de base Sud (5 400 m) grâce aux navettes des hélicoptères.
« La catastrophe est bien plus importante dans la vallée de Katmandou et les canyons environnants » que sur les pentes de l’Everest s’est indigné, lundi, l’alpiniste italien Reinhold Messner. « Il est cynique qu’on fasse un tel battage pour les montagnards qui peuvent payer jusqu’à 100 000 dollars [92 000 euros] pour cette ascension. » Son vieux complice, l’alpiniste autrichien Peter Habeler, avec lequel il avait accompli la première ascension de l’Everest sans oxygène en 1978, fait le même constat. « Les gens qui sont sur l’Everest ont tous une assurance. Les compagnies d’hélicoptère savent qu’elles seront payées. Et elles savent aussi qu’elles ne reçoivent rien si elles secourent quelque part de simples Népalais. »
Samedi, très vite, un des alpinistes bloqués en altitude a demandé par texto l’envoi d’hélicoptères pour évacuer les 100 à 200 alpinistes bloqués dans les camps I et II aux alentours de 6 000 mètres. La cascade de glace du Khumbu – chaos de séracs et de crevasses équipé chaque année d’échelles de franchissements et de corde – était en effet impraticable à la descente car ensevelie sous les tonnes de neige et de glace de l’avalanche. La requête n’avait rien d’un luxe vu la situation, mais c’est surtout une opération courante pour les candidats à l’Everest depuis la multiplication des expéditions commerciales au début des années 2000.
Multiplication des expéditions commerciales
Bien qu’il héberge huit des quatorze plus hauts sommets au monde, le Népal ne dispose en effet pas d’unité spécialement entraînée aux secours en montagne. Les opérations d’urgence sont de la responsabilité des opérateurs d’expéditions qui font appel aux compagnies privées d’hélicoptères. Le Népal en compte six qui assurent également des vols cargos et des survols touristiques, et disposent de petits appareils légers capables de tutoyer la haute altitude. Les atterrissages sont compliqués et périlleux dans ces zones et les hélicoptères de l’armée sont bien trop gros pour s’y risquer.
Les abords du mont Everest, théâtre de fréquentes avalanches, sont pris d’assaut chaque printemps par des centaines de trekkeurs venus de leur plein gré voir de plus près à quoi ressemble le Toit du monde, et par autant de grimpeurs qui rêvent d’accrocher sa cime à leur tableau de chasse, mais incapables d’y parvenir sans l’aide de sherpas et d’oxygène artificiel. Avec la multiplication des expéditions commerciales – plus de 30 cette saison –, l’Everest Base Camp (l’EBC comme on l’appelle là-haut à 5 345 mètres d’altitude), éphémère village de toile rebâti chaque année par les opérateurs sous forme de tentes-chambres, de tentes-douche, de tentes-toilettes ou luxueuses tentes-mess pour les expéditions les plus sophistiquées, a dû s’organiser pour disposer de ressources propres et bien rodées.
Jusqu’à la catastrophe de samedi et pour la quatorzième année consécutive, la poignée de médecins étrangers ou népalais tous bénévoles de l’Himalayan Rescue Association (HRA) qui animent un dispensaire bien équipé au camp de base de l’Everest de fin mars à fin mai chaque saison veillait-elle – entre clients d’expéditions commerciales et travailleurs d’altitude- sur la santé de près d’un millier de personnes. Au tarif de 75 euros la consultation pour les non-Népalais, ces praticiens examinaient aussi gratuitement les travailleurs d’altitude.
Car si les prétendants au sommet de l’Everest répugnent à l’admettre, même après avoir déboursé entre 40 000 et 90 000 euros, hypothéqué leur maison pour certains, et sacrifié deux mois et demi de congés pour inscrire l’Everest sur leur CV, le risque de disparaître dans une crevasse, de se trouver enfoui sous une avalanche ou d’être victime d’un œdème cérébral ou pulmonaire dû à l’hypoxie émousse la détermination des plus motivés.
Patricia Jolly
Journaliste au Monde