Après le désastre, comment gérer l’abondance de l’aide humanitaire ? L’aéroport de Katmandou était saturé, vendredi 1er mai, de matériel médical, de nourriture, de tentes et de couvertures destinés aux populations affectées par le tremblement de terre de samedi 25 avril qui a fait 6 260 morts, selon le dernier bilan publié par l’ONU. L’aide arrive du monde entier, et le petit aéroport à la piste unique ne peut pas accueillir tous les avions qui souhaitent atterrir, encore moins trier et redistribuer rapidement tous les cartons qui s’empilent sur le tarmac.
« L’afflux de ces derniers jours ralentit l’acheminement de l’aide. Il nous a fallu attendre 36 heures avant de récupérer notre matériel à l’aéroport. Il manque vraiment une coordination internationale », témoigne le responsable d’une ONG française. Le ministre des finances a appelé, vendredi, la communauté internationale à envoyer en priorité du sel, du sucre, des légumineuses et des tentes. Car les colis arrivant au Népal réservent parfois des surprises, comme ces boîtes de thon ou pots de mayonnaise dont les secouristes ne savent que faire. Près de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Tribhuvan, le matériel entassé sous de larges tentes attend d’être chargé dans des camions. Dans les allées poussiéreuses, deux députés de l’assemblée constituante népalaise tentent d’obtenir des tentes pour les habitants de leurs circonscriptions, en vain : « Nous n’en avons encore reçu aucune et le gouvernement ne peut pas nous en distribuer. »
Selon le dernier décompte de l’ONU, 160 786 maisons ont été détruites et 143 673 partiellement démolies. La vie reprend son cours à Katmandou et les réfugiés ont commencé à quitter le parc de Tundikhel. Mais l’aide humanitaire n’arrive qu’au compte-gouttes dans les villages isolés, provoquant la colère des habitants qui, dans certaines localités, ont pris en otage des ONG pour s’emparer de leur chargement.
Le monde entier est au Népal. Depuis l’Algérie jusqu’à Oman en passant par le Bhoutan. « Les tremblements de terre attirent les ONG et les médias et particulièrement celui-ci », remarque Yotan Politzer, responsable de l’ONG Israélienne IsraAID. Les Nations unies ont fait un appel aux dons de 415 millions de dollars (371 millions d’euros) pour répondre aux besoins d’urgence de ces prochains mois. Mais ce sont des milliards qui seront nécessaires pour reconstruire le Népal dans le long terme. « Or, une fois la pression médiatique retombée, les donateurs risquent de se désengager », craint la responsable d’une ONG.
La mobilisation internationale rend parfois difficile la coordination des secours sur le terrain. Des équipes inspectent, sans le savoir, les mêmes immeubles à quelques heures d’intervalle. « Difficile de localiser la bonne adresse dans un quartier en ruines », reconnaît Yotan Politzer. Les 64 équipes de secouristes, venant du monde entier, ont sauvé quinze vies. Dans la ville, des journalistes cherchent des secouristes qui cherchent des maisons détruites dans l’espoir de retrouver des survivants. Mais les chances sont désormais extrêmement minces.
Intérêts géopolitiques
Derrière les grands élans de générosité, les intérêts géopolitiques ne sont jamais loin, surtout dans un pays où l’Inde et la Chine essaient d’étendre leur influence. Les secouristes des deux puissances asiatiques travaillent d’ailleurs rarement ensemble. « Les Chinois ont la fâcheuse habitude de planter un drapeau sur chaque chantier inspecté, maugrée un militaire indien, alors on préfère travailler ailleurs. » Il n’y a pas que l’armée indienne qui vient en aide aux Népalais. L’un des leaders d’un parti régional du nord de l’Inde, le Samajwadi Party (SP), est arrivé avec des camions chargés de pommes de terre, de biscuits et de riz. Il a surtout affrété 70 bus pour rapatrier les milliers de migrants venus travailler à Katmandou et qui cherchent, par milliers, à fuir la capitale. Ce sont aussi ses électeurs que l’Inde vient sauver. « Au fait, savez-vous où sont les musulmans à Katmandou ? » demande l’un des militants du SP, gardant à l’esprit que leur vote pourra faire basculer les prochaines élections régionales en Inde.
Entre l’aide généreuse du monde entier et les villages dépourvus de toute aide, il y a certes les voies d’accès difficiles et escarpées, mais aussi un Etat critiqué pour son incompétence. En déplacement à Bangkok, le premier ministre népalais a été informé du tremblement de terre en lisant le tweet du premier ministre indien, Narendra Modi. Le pays, qui se remet d’une guerre civile de dix ans achevée en 2006, traverse une période d’instabilité politique. Depuis 2008, année de l’abolition de la monarchie, l’assemblée constituante n’est toujours pas parvenue à un accord pour doter le Népal d’une nouvelle Constitution. « Le pays ne possède aucune institution stable et tous les partis sont absorbés par des débats sur le fédéralisme, la république. Ils sont incapables de gérer les affaires courantes du pays », explique Krishna Hachhethu, professeur au département de sciences politiques de l’université de Tribhuvan.
Malgré les alertes sur la possibilité de violents séismes, le pays ne possédait aucun organisme de gestion des calamités naturelles. Les ministères ont donc géré la crise, parfois sans se coordonner. Le premier ministre, âgé de 76 ans et qui souffre d’un cancer, a été presque invisible pendant les jours qui ont suivi le tremblement de terre. « L’une des leçons de ce séisme, c’est qu’il n’y a pas de gouvernance dans ce pays », regrette Lok Raj Baral, directeur du Centre népalais pour les études contemporaines. L’organisation des secours dans les zones reculées a été freinée par l’absence de représentants politiques, après que des élections locales ont été reportées maintes fois, laissant les populations sans élus de proximité pour porter leurs revendications. Ce qui explique, en partie, la colère des habitants des zones rurales et leur sentiment d’abandon par Katmandou. « Le tremblement de terre est sans doute un mal pour un bien, espère M. Hachhethu. Il va enfin obliger les différents partis à dépasser leurs différences et à retrouver un semblant d’unité pour développer le pays et s’intéresser à ses habitants. »
Julien Bouissou (Katmandou, envoyé spécial)
Journaliste au Monde