Le FN ne cache pas ses « préférences » : si ses opposants antiracistes ont davantage mis en avant la préférence nationale, la préférence familiale est tout aussi importante, et mérite d’être combattue avec autant de virulence.
Une brochure intitulée « la famille », écrite par la commission famille du Front national et destinée à la formation des militants d’extrême droite nous en dit long sur le programme du « parti de la flamme » vis-à-vis des femmes. Ces dernières sont placées au cœur d’un projet réactionnaire de restauration d’un ordre moral, sexuel et culturel qui a pour clef de voûte la famille. Bien entendu, la définition de la famille n’est pas laissée au hasard. Normative, elle exclut les formes familiales « décadentes » du « monde moderne » qui voudraient briser « l’ordre naturel » : familles monoparentales, familles recomposées, unions libres hétérosexuelles et davantage encore homosexuelles sont rejetées. Dans le cadre de la famille prônée par le FN, « la femme » a essentiellement une fonction de transmission biologique et culturelle : produire et éduquer des enfants français. Des coups de griffe sont donnés aux responsables de la dénatalité : la révolution sexuelle, qui aurait conduit les femmes au refus de procréer, transformant ainsi « la femme déchue de sa dignité de mère en simple objet de plaisir » ; et nos gouvernants, qui ouvrent la France à « l’invasion étrangère ». Pas étonnant que l’âge d’or de la politique familale pour le FN se situe entre 1938 et 1946 ! Le gouvernement de Vichy établissait déjà le même parallèle entre la dénatalité et le besoin de main d’œuvre étrangère.
Cette orientation nataliste aux relents vichystes se traduit par une bataille farouche contre la contraception et l’avortement à travers un soutien actif aux commandos anti-IVG. Les liens entre le Front national, et plus précisément sa tendance catholique, et l’association de SOS tout-petits ne sont plus à démontrer. A cette politique, le FN articule un volet de mesures et un discours très habile incitant les femmes à retourner au foyer. Ainsi les femmes n’auraient pas choisi d’entrer sur le marché du travail, mais elles y auraient été contraintes par les conditions économiques de l’après-guerre. Embauchées pour des emplois peu qualifiés et peu payés, elles se sont retrouvées avec « une double journée de travail » sur les bras sans l’avoir désirée, ce qui les a obligées à négliger leurs devoirs familiaux. Le FN leur propose un « véritable statut de mère de famille », ce qui leur permettrait d’abandonner partiellement ou totalement un travail peu gratifiant. Ce statut serait composé d’un salaire, d’une caisse de retraite, d’une mutuelle spécifique... Les allocations familiales étant désormais versées aux seuls « Français ». Ce type de discours sur le travail des femmes est évidemment pervers car il opère un amalgame entre contrainte et droit. Il cherche à culpabiliser les femmes à propos de leurs « obligations familiales », mais surtout il vise les femmes au chômage, celles qui ont un emploi peu épanouissant, mal payé, et qui sont dans des situations de précarité et de détresse. Le salaire maternel peut leur donner l’illusion d’un choix.
La présence des femmes au foyer permettrait en outre de « libérer des places en crèche » et d’accueillir les personnes âgées, ce qui reviendrait « moins cher que les hôpitaux ». Il s’agirait donc pour l’Etat de fermer le peu d’équipements collectifs qui existe et de laisser aux femmes le soin d’assumer gratis tout le travail reproductif.
Le salaire maternel, estime le FN, pourrait être perçu par 1,5 million de femmes. La question de son financement se pose donc. La brochure suggère un relèvement du taux de la TVA (l’impôt le plus inégalitaire puisqu’il touche les gens sans distinction de revenus), alors que la contribution patronale pour les allocations familiales (qui diffèrent, elles, suivant les revenus) serait supprimée.
C’est bien une politique de désengagement de l’Etat et d’accentuation des inégalités qui nous est proposée.
A cette brochure déjà éloquente doivent être ajoutés les propos également éclairants de Marie-France Stir-bois, à l’université d’été du FN. Lors de son intervention le 26 août 1998, Mme Stirbois a dénoncé le féminisme, « idéologie sectaire » et de « débauche », « avatar du communisme » qui fait du « prosélytisme lesbiannique » et a rassuré son public masculin par une œillade : « messieurs, moi, je veux des hommes ». S’insurgeant contre la parité, qui « humilie les femmes », elle s’est adressée cette fois aux auditrices et a ressassé le thème de la différence : « Soyons contre les hommes, oui, tout contre ! Ne soyons ni leurs égales, ni leurs supérieures, ni encore leurs inférieures. Soyons leurs indispensables compléments qui sachent les réconforter, les soutenir, mais aussi parfois les devancer. »
Basée sur cette idéologie différentialiste, la ségrégation des tâches au sein du FN entre les militants et les militantes apparaît à travers les stratégies électorales : si la branche étudiante du FN, Renouveau étudiant, pour riposter à l’accusation de machisme, a présenté aux élections universitaires du CROUS en 1998 une liste exclusivement composée de candidates, peu de place est faite aux femmes dans la hiérarchie du Parti. Les militantes sont simplement exhibées comme réponse alibi au débat brûlant sur la parité. Leur instrumentalisation semble d’autant plus flagrante dans le cas des candidatures des chefs invalidées (Mégret, Le Chevallier, Le Pen) : les contorsions de Le Pen pour éviter de positionner son rival en tête de liste des futures européennes aboutissent à lui préférer une femme : la sienne. Cet exemple illustre combien au FN les femmes paient leur écart de la sphère publique : ce n’est pas en qualité de militante cadre du parti que Mme Le Pen va porter les couleurs tricolores pour la campagne du FN mais en tant qu’épouse de son mari ! Mères au foyer ou potiches politiques, les femmes pour le Front National sont irrévocablement un sous-genre humain.