Les retraites restent l’un des points principaux de blocage entre Athènes et ses créanciers (Fonds monétaire international, Commission européenne, Banque centrale européenne). Dimanche 14 juin au soir, ils n’étaient toujours pas parvenus à trouver un compromis sur les réformes à mettre en œuvre par le gouvernement grec afin que celui-ci puisse bénéficier du versement d’une aide de 7,2 milliards d’euros.
La Grèce doit bouger sur la réforme des retraites dans les négociations, a prévenu, lundi 15 juin, Günther Oettinger, le commissaire européen chargé de l’Economie numérique. Un peu plus tôt, le premier ministre de la gauche radicale, Alexis Tsipras, avait déclaré que l’insistance des créanciers à exiger des coupes supplémentaires dans les retraites « sert un dessein politique ». « Nous allons attendre patiemment que les créanciers accèdent au réalisme », a-t-il prévenu.
M. Tsipras s’oppose à toute nouvelle baisse des pensions, alors que, depuis les premières mesures d’austérité, votées en mai 2010, elles ont déjà diminué d’environ 15 % pour les plus faibles (moins de 500 euros par mois) et de plus de 44 % pour celles supérieures à 3 000 euros.
Le premier ministre grec s’oppose aussi, et surtout, à la suppression de l’EKAS, une prime de solidarité pour les petites retraites inférieures à 8 472,09 euros par an, qui a été instituée en 1996 et sensiblement revue à la baisse depuis 2012.
C’est notamment sur cette prime que les négociations entre le gouvernement grec et ses créanciers se sont de nouveau crispées ces dernières semaines. La dernière proposition de Bruxelles, émise le 2 juin, prévoit l’extinction progressive de l’EKAS d’ici à fin 2016.
« 651 euros net chaque mois »
En 2014, 195 000 personnes ont bénéficié de cette prime, qui a coûté à l’Etat un peu moins de 630 millions d’euros. Thanassis Tzouras est l’un de ces bénéficiaires. Il a le visage buriné et les mains marquées d’un homme qui a travaillé dur. « Dehors par tous les temps, sur toutes sortes de chantiers et pour tous types de patrons », explique cet ancien ouvrier en bâtiment de 78 ans originaire d’un petit village de la Grèce centrale.
La pénibilité de son travail lui a permis de bénéficier d’un régime spécial et de partir à la retraite à moins de 50 ans, après trente-trois ans de cotisations. « Je touche en tout 651 euros net chaque mois », précise le vieil homme. Comme toutes les pensions en Grèce, celle de Thanassis se compose d’une retraite principale (481 euros pour lui) et d’une complémentaire (ici 113 euros), souvent financée via des cotisations à une caisse sectorielle selon l’emploi occupé. Mais parce qu’il touche moins de 700 euros par mois, il reçoit une aide supplémentaire de 57,50 euros mensuels, l’EKAS.
Dans sa coquette petite maison du quartier résidentiel de Cholargos, à l’est d’Athènes, Nikos Tassios, 72 ans, revient sur ses 37,5 années de travail. Ingénieur-géologue diplômé de l’école polytechnique d’Hanovre, en Allemagne, il a dirigé une équipe à l’Institut grec de recherches géologiques avant de prendre sa retraite à 66 ans en 2006.
« À l’époque, l’âge légal du départ à la retraite pour les hommes était encore de 60 ans, mais comme j’ai fait de longues études et que j’ai commencé assez tard à travailler, alors il me manquait des annuités, et j’ai continué jusqu’à 66 ans », explique cet homme à l’énergie communicative.
L’âge de départ porté à 67 ans en 2013
Depuis, l’âge légal du départ à la retraite a été porté à 65 ans en 2010, puis à 67 ans en 2013. La Grèce est donc légalement dans la moyenne haute de l’Europe. Mais l’âge effectif moyen se situerait plutôt autour de 61 ans, et les créanciers voudraient qu’il aille au-delà, et ce à brève échéance.
Jusqu’en 2010, la retraite de Nikos s’élevait à 2 450 euros par mois. « Aujourd’hui, je touche 1 425 euros, soit une baisse de près de 42 %. » Nikos et sa femme ont dû totalement revoir leur mode de vie. « Évidemment, par rapport à mes concitoyens qui survivent avec moins de 700 euros [par mois], je suis encore très privilégié », s’excuse-t-il presque. « Mais après avoir bossé toute ma vie, j’avais fait mes comptes pour vivre ma retraite d’une certaine façon. C’est toute notre vie qui s’est brutalement rétrécie au moment où nous pensions pouvoir en profiter. »
Selon les chiffres officiels fournis par le ministère des finances grec dans sa base de données Helios, au mois de mars 2015, la Grèce comptait un peu plus de 2,6 millions de retraités. La pension moyenne brute – avant impôt et cotisations santé – s’élevait à 960,66 €. « Quelles que soient les baisses effectuées et celles exigées par les créanciers, le système continuera d’être déficitaire tant que les cotisations ne rentreront pas suffisamment », estime l’économiste spécialiste des retraites Platon Tinios. « Il faut avant tout relancer l’économie pour créer de la richesse et un régime unifié. »
Au prix d’un effort énorme de rationalisation, le nombre de caisses de retraite est passé de plusieurs centaines avant 2010 à 13 aujourd’hui. « L’autre priorité, c’est d’arrêter l’hémorragie des préretraites, qui affecte énormément le niveau des cotisations », affirme M. Tinios. Depuis le début de la crise, en 2009, elles ont progressé de 14 % dans le secteur privé et de 48 % dans la fonction publique, où le nombre de départs annuels a progressé de 178 % sur la période 2009-2013 par rapport à période 2000-2008.
« L’équilibre est menacé »
Dans une société où le chômage a explosé pour s’établir à 26 % de la population active et où il n’existe pas de revenu minimum garanti (comme le RSA français), les retraites sont devenues le filet de sécurité de nombreuses familles, où la solidarité intergénérationnelle joue à plein.
« J’ai choisi de partir en préretraite en 2010 à 59 ans après les premières annonces de baisses de salaires et des retraites imposées par les créanciers. Je me suis dit qu’il valait mieux partir tout de suite. Il y a tellement d’incertitudes autour de toutes ces questions que je ne regrette pas ma décision », raconte Dimitra Benatatou. Cette ancienne assistante d’administration touche aujourd’hui un peu moins de 1 000 euros par mois. Et héberge chez elle son fils de 35 ans et sa belle-fille, tous deux au chômage.
« Le mécanisme des préretraites a été utilisé durant la crise comme substitut de politique sociale, dont le coût retombe maintenant sur les retraités eux-mêmes, car l’équilibre du système de sécurité sociale est menacé », observe sévèrement un rapport de la fondation allemande Böckler, publié en mars 2015.
Deux milliards d’euros de déficit
Les caisses de retraite sont en effet majoritairement dans le rouge avec un déficit s’élevant pour 2015 à plus de 2 milliards d’euros. C’est dans ce contexte que les créanciers insistent pour que la Grèce opère dans le cadre de l’actuel plan d’aide au pays une réforme devant conduire au « zéro déficit ».
Selon une source gouvernementale grecque, « aucun pays européen n’a réussi à conduire une réforme des retraites aussi stricte avec zéro déficit en un temps aussi court. Ça ne passera pas ici ». Le Conseil d’Etat grec vient d’ailleurs, jeudi 11 juin, de déclarer inconstitutionnelles les baisses de salaires imposées par le précédent gouvernement en 2012.
Les organisations syndicales de retraités ont, de leur côté, appelé à un grand rassemblement national le 23 juin. « Le gouvernement ne doit pas céder, prévient le président de l’association des retraités de la poste, Anastassios Georgiadis, et l’Europe doit comprendre que ce n’est pas en nous appauvrissant encore plus que nous sortirons de la crise. »
Adéa Guillot (Athènes, correspondance)
Journaliste au Monde