Les forces de la réaction, conservatrices et sociales-démocrates exultent. Après que des conseillers français de François Hollande, jouant aux « good cops » l’ont aidé à sa rédaction, Tsipras et le gouvernement grec ont envoyé cette nuit un projet d’accord qui reprend quasiment terme à terme celui rejeté massivement dimanche dernier par la population grecque, au premier rang de laquelle les salarié-e-s et les chômeur-se-s.
Si 62% des électeurs se sont prononcés contre le projet d’accord de la Troïka c’est qu’ils savent bien ce qu’ils endurent depuis cinq ans et que tout nouveau plan d’austérité les précipitera davantage dans la précarité et la misère, c’est que le peuple grec veut regagner sa dignité et la maîtrise de son destin.
En prenant le contre-pied de ce vote, le gouvernement grec répond évidemment à une pression de la Troïka qui n’a cessé de grandir ces dernières semaines et encore plus depuis lundi.
Tsipras arrive au terme d’une nouvelle manche dans le bras de fer qui l’oppose à la Troïka. Après le succès du référendum, le signal envoyé par les dirigeants européens était sans ambiguïté : pas question d’accepter la volonté du peuple grec.
Le premier choix de l’alternative était est de s’engager dans la rupture avec les institutions et les règles de l’Union européenne, ce qui impliquerait de prendre le contrôle du système bancaire, d’arrêter le paiement de la dette et d’organiser la mobilisation populaire pour bloquer toutes les tentatives de sabotage intérieures et extérieures. Jusqu’ici, le gouvernement de Tsipras a refusé de s’engager dans cette voie qui, si elle s’exclut pas des manœuvres nécessaires vis-à-vis des institutions, engage clairement la population à s’organiser et à se mobiliser pour être les acteurs directs de leur destin.
L’autre choix était l’acceptation immédiate des mesures de la Troïka pour éviter l’asphyxie. En acceptant l’accord et en évitant la banqueroute, Tsipras espère peut-être desserrer l’étau des remboursements et même mettre en œuvre ultérieurement des mesures sortant des ornières de l’austérité. Mais les garde chiourmes européens ne l’entendront pas de cette oreille et n’accepteront aucune mesure « unilatérale », c’est-à-dire souveraine. Sans nouvel affrontement avec les dirigeants de l’Union européenne, ces derniers appliqueront en Grèce comme ailleurs, une austérité sans fin.
C’est à ce niveau-là que la barre a été mise par Merkel, Hollande, Junker et Lagarde. Aucun ne peut accepter plus longtemps qu’un peuple défit ainsi les règles des capitalistes européens.
Ils n’accepteront un rééchelonnement de la dette, voire son effacement partiel, comme ils l’ont déjà fait en 2012, qu’en échange d’une soumission totale du gouvernement d’Athènes aux plans d’ajustement. Prétendant parler aux noms des peuples, les dirigeants européens veulent que le gouvernement et le peuple grec passent sous leurs fourches caudines pour que les autres peuples comprennent bien la leçon : il n’y a pas d’alternative, « there is no alternative » comme le disait Margaret Thatcher au début des années 80.
Le gouvernement grec ne peut résister à cette pression en continuant à accepter les règles de l’Union européenne.
Mais nous ne devons pas être spectateurs de cette bataille et du nouvel acte qui vient de s’ouvrir. Même si Tsipras pourra trouver un appui au Parlement parmi les partis dévoués à la Troïka, nombreuses vont être les voix qui en Grèce, dans Syriza et l’ensemble de la gauche radicale, dans le mouvement social et syndical vont s’élever pour rappeler les engagements pris avant janvier 2015 et affirmés à nouveau la semaine dernière. Ces voix vont entrer en écho avec ceux et celles qui dans toute l’Europe doivent se mobiliser contre les gouvernements européens et la BCE pour que ce cesse le chantage de la dette, que cette dette odieuse et illégitime soit annulée et que le peuple grec cesse d’être pris à la gorge.
Tout comme au lendemain du 20 février, la partie n’est pas encore gagnée pour la Troïka !
Léon Crémieux