Le 3 septembre 2015, un papillon de belle envergure volette et se pose sur une feuille de buddleia, ne montrant pas grand-chose de lui-même. Cependant, l’allure, le dessin apparent des ailes et la teinte parfois bleue parfois brune ne laissent déjà pas de doute : c’est un Mars changeant – mais petit ou grand ?
Petit mars changeant, Apatura ilia, parc des Beaumonts, 3 septembre 2015. Cliché Pierre Rousset.
Si vous êtes familier de ces deux espèces, la taille peu parfois suffire à trancher, du moins pour les individus de très petite ou très grande taille, mais ce n’est pas mon cas ; de plus, les dimensions se chevauchent pour une bonne part (voir ci-dessous).
Sur la première photo, on aperçoit déjà l’un des principaux critères qui permettent d’identifier Apatura ilia : « l’œil » (ocelle) orangé sur l’aile antérieure. Dès que le papillon exhibe obligeamment son recto (photo ci-dessous), le doute, s’il subsiste, peut être levé. Le Grand Mars changeant, Apatura iris, ne possède en effet pas d’« œil » à cet endroit.
Petit mars changeant, Apatura ilia, parc des Beaumonts, 3 septembre 2015. Cliché Pierre Rousset.
Les Mars méritent leur qualificatif de « changeant ». Une modification infime du jeu de la lumière, et la teinte bleue disparaît pour laisser apparaître une livrée brune, comme en témoigne la photo ci-dessous, prise au même moment et sous le même angle que la précédente. Les tons jaune-fauve apparents sur les ailes laissent penser qu’il s’agit de la forme clytie ou « mars orangé »
Petit mars changeant, Apatura ilia, parc des Beaumonts, 3 septembre 2015. Cliché Pierre Rousset.
Le dessous des ailes des Petit et Grand Mars est conçu sur le même « patron ». Cependant, autre critère important d’identification, celui de notre A. ilia est beaucoup moins contrasté, les bandes claires étant plus diffuse que chez A. iris.
Petit mars changeant, Apatura ilia, parc des Beaumonts, 3 septembre 2015. Cliché Pierre Rousset.
Systématique, habitat, description
Petit mars changeant Apatura ilia
Synonymes (noms vernaculaires seulement) : Le Petit Mars, Le Miroitant
Systématique : ce lépidoptère appartient à la famille des nymphalidés (Nymphalidae), à la sous-famille des Apaturinés (Apaturinae) et au genre Apatura.
Taille : Longueur : 31-38 mm. Envergure : 66-72 mm
[Pour comparaison, longueur du grand mars changeant, Apatura iris : 31-40 mm. Envergure : 64-76 mm]
Période de vol : bivoltin (deux générations annuelles) dans le sud, mais généralement univoltin (une seule génération) dans notre région, en juin-juillet. Cependant, même dans notre région, les années chaudes, il peut y avoir une seconde génération partielle en août. Après l’été assez caniculaire de 2015, notre individu en témoigne.
Habitat : Forêts de bonne naturalisé [1]. Bois riverains des cours d’eau et lac. Allées humides, bois clairs et lisières. Milieux mésohygrophiles [2], généralement non loin des plantes hôtes où se nourrissent les chenilles : saule marsault, divers peupliers, surtout tremble, en particulier Populus tremula et Populus nigra. Fort mobile, il peut cependant apparaître jusque dans des jardins.
Description : Grand papillon au vol rapide et puissant. Bande discale en forme de V ouvert et larges tâches blanches ou claires sur des ailes brunes, brun-noir, qui, dans le cas du mâle uniquement (comme notre individu), présente un reflet métallique bleu ou violet très marqué, mais changeant selon l’angle de réfraction de la lumière. Il existe une forme – dite clytie ou « mars orangé » – où les ailes sont envahies de jaune fauve.
Peut paraître très sombre. Une ocelle orangé au centre bleu-noir est bien visible sur l’aile antérieure ; une autre, similaire, légèrement plus petite, se trouvant en bas de l’aile postérieure. A . iris possède aussi la seconde, mais pas la première. Bande marginale gris sombre.
Le revers est marron plus ou moins terne. Le dessin des ailes se retrouve sur le dessous, mais de façon peu contrastée, diffuse (à la différence d’A. Iris) avec sur l’aile antérieure une ocelle orangé centrée cette fois de noir.
L’extrémité des antennes est brune (noire chez A. Iris), offrant un contraste clair.
Petit mars changeant, Apatura ilia, parc des Beaumonts, 3 septembre 2015. Cliché Pierre Rousset.
Répartition, statut, alimentation
Répartition : De l’Europe occidentale et centrale à l’est de l’Asie tempérée. Mieux représenté en Europe méridionale (nord du Portugal, Catalogne) que le grand mars, car il est plus thermophile. Répandu en France, bien que son abondance varie suivant les années (il est généralement peu abondant). Assez commun en Ile-de-France (était cependant considéré à tort comme disparu de la Seine-Saint-Denis dans le bel ouvrage d’Yves Doux et Christian Gibeaux [3]).
Statut : Pour Yves Doux et Christian Gibeaux [4], cette espèce pourrait être menacée en Ile-de-France par l’anthropisation de ses milieux de prédilection. Plus généralement, pour Tristan Lafranchis [5], elle pourrait l’être par une sylviculture qui élimine les arbres « non exploitables » dont elle dépend, comme les saules et trembles.
Cependant, malgré sa faible abondance, le petit mars ne semble ni régresser ni en danger à l’heure actuelle dans ses milieux en Île-de-France. On le voit de plus en plus proche des villes ; même si les imagos ne sont pas très nombreux, l’espèce ses porterait ainsi plutôt bien. André Lantz, notamment, l’a notée une fois à Rosny et à Livry Gargan cette année – et une fois déjà, ailleurs à Montreuil l’an passé.
Les individus qu’A. Lantz a observé à Rosny sous bois et Livry-Gargan (ainsi qu’à Noisel) était de forme Clytie, ce qui indiquerait que cette dernière est assez commune dans notre région.
Alimentation : Les Apatura préfèrent en général butiner les excréments des animaux, l’urine et la sueur riches en minéraux dont ils ont besoin. Ils ne se trouvent pas sur les fleurs et restent le plus souvent en hauteur sur les arbres.
Ci-dessous, l’Apatura iris (le grand mars) posé sur la main gauche d’André Lantz – et photographié par sa main droite – est en train d’aspirer la sueur. On voit à quel point le revers d’A. iris est plus contrasté, aux dessins mieux délimités, que chez A. ilia.
Grand mars changeant, Apatura iris, commune d’Hermé (Bassée), lieu dit la Queue Guérin, le 27 juin 2015. Cliché André Lantz.
La photo suivante permet de comparer, vu de dessus cette fois, le grand et le petit mars. A. iris n’a pas d’ocelle sur l’aile antérieure, le bout des antennes est noir...
Grand mars changeant, Apatura iris, Sorques, le 14 juin 2014. Cliché André Lantz.
Aux Beaumonts, notre petit mars changeant a été observé posé sur les feuilles d’un buddleia, voletant et y revenant, en un lieu qui présente un aspect de clairière et qui, coïncidence ou pas, borde la zone humide du parc. Cliché Pierre Rousset.
Pierre Rousset
Merci à André Lantz pour ses commentaires sur une première version de cet article et pour ses photos de Grand Mars.