Une victoire à la Pyrrhus
1. Les élections anticipées du 20 septembre, une initiative prise par Alexis Tsipras, tentaient d’atteindre deux objectifs :
1° Confirmer l’équilibre des forces politiques et rétablir la viabilité du gouvernement de Syriza avant que les travailleurs et les classes populaires se rendent compte, par leur propre et amère expérience, du contenu réel de l’accord qui a été signé avec les créanciers le 13 juillet 2015.
Dans cet effort, la direction de Syriza a été entièrement soutenue par les dirigeants européens. Cela a été rendu évident par la déclaration emblématique de la chancelière allemande Angela Merkel [faite lors de sa visite au Brésil le 20 août 2015] selon laquelle les élections étaient « une partie de la solution et non une partie du problème ». Les dirigeants de Syriza ont également reçu l’appui de la grande majorité des médias de masse en Grèce. Cela a joué un rôle décisif dans l’organisation et la promotion du débat public antérieur aux élections, durant lequel il y eut un silence presque complet sur le thème du troisième mémorandum qui constituait et constitue le principal problème de l’affrontement politique en cours.
2° Le deuxième objectif d’Alexis Tsipras était la purge de l’aile gauche de son parti, même si le prix qu’il a dû payer pour cela fut la désintégration organisationnelle de Syriza. Dans la campagne pour atteindre ce but, Tsipras a été appuyé de nouveau, sans réserve, par les médias bourgeois de masse. Ils ont calomnié de manière impitoyable la « plateforme de gauche » [composée du Courant de gauche, du Red Network], tout en camouflant l’ampleur de la vague de démissions et de retraits d’un grand nombre de militant·e·s qui avaient construit Syriza au cours de toutes ces années ; parmi eux, le secrétaire du parti [Tasos Koronakis], la moitié des membres élus du secrétariat exécutif [entre autres Panagiotis Lafazanis, Antonis Ntavanellos], une grande partie des membres du Comité central, et de cadres dirigeants de beaucoup de sections locales et de militants syndicaux.
Syriza, comme une coalition politique de la gauche radicale, a aujourd’hui été remplacé par un parti entièrement construit autour de son chef, basé sur une certaine « relation » ambiguë et non explicitée entre le Premier ministre et ses partisans.
2. La principale précondition pour assurer la réussite de la stratégie de la direction de Syriza résidait dans la diffusion d’une désorientation et le poids d’une lassitude présente parmi les membres actifs dans les mouvements sociaux ; et y compris au sein de la base politique de Syriza.
Ce fut la fonction et le but de l’argument « il n’y a pas d’alternative » (TINA) pour justifier le nouveau mémorandum. Ce message a été répété sans cesse, comme un mantra, par d’éminents membres de Syriza, ainsi que par la coalition de cinq partis – soit Syriza, la Nouvelle Démocratie, Pasok, les Grecs indépendants et To Potami – qui fut construite au Parlement autour du consensus qui aboutit à la ratification du honteux nouveau mémorandum signé le 13 juillet [à Bruxelles].
Le résultat de cette orientation fut une abstention sans précédent lors des élections du 20 septembre. Le nombre d’électeurs par rapport à janvier 2015 a baissé de 800’000. L’« américanisation » de la vie politique [dans le sens d’un fort taux d’abstention et d’un sentiment d’aliénation par rapport aux partis politiques] est maintenant une menace visible. Tragiquement, cette menace est le résultat – et un outil – des actions d’un gouvernement qui prétend représenter… la gauche radicale.
Si l’on ajoute à cela le fait que la grotesque Union du centre, menée par Vassilis Leventis [un pur produit d’une émission de télévision multipliant les dénonciations et à la tête d’une liste quasi familiale, qui a obtenu 3,43% des suffrages et 9 députés], nous devions être alarmés par un autre danger qui menace : la déception produite par Syriza pourrait se traduire par un niveau d’apathie politique ou de cynisme jamais connu dans l’histoire récente de la Grèce.
L’arrière-fond du recul des espoirs et des attentes des secteurs qui étaient actifs dans les mouvements sociaux et dans la gauche réside le repli de la lutte de masse, après la période de 2010-12 et dans une augmentation des illusions de pouvoir mettre en question l’austérité au moyen du seul instrument électoral.
Dans ce contexte, le renversement complet du message politique du référendum – lorsque le massif [61,3%] vote « non » de la classe ouvrière, émis le 5 juillet, a été transformé en un éhonté « oui » le 6 juillet, suite à la réunion [convoquée par le premier ministre Tsipras] des dirigeants de tous les partis politiques [un pas vers l’unité nationale] et la signature du nouveau protocole par Alexis Tsipras une semaine plus tard – a marqué un changement dans l’humeur politique et – au moins temporairement – dans la conscience des masses. Une grande partie de la population, voyant que le projet anti-austérité de Syriza s’était effondré, a commencé à croire que le renversement du mémorandum était impossible. Elle a commencé à accepter l’idée que la seule alternative réaliste consistait à essayer de mettre en œuvre les politiques mémorandaires « avec un visage humain ».
Cette reculade, conjointement à la mémoire récente de la brutalité des politiques conduites par la Nouvelle Démocratie et le Pasok lorsqu’ils contrôlaient le gouvernement, est à l’origine de la victoire politique et électorale d’Alexis Tsipras le 20 septembre.
3. C’est une victoire à la Pyrrhus. Le gouvernement de Tsipras sera obligé de mettre en œuvre immédiatement les « réformes » anti-ouvrières, anti-populaires du nouveau mémorandum dès octobre. Le démantèlement du système de sécurité sociale, une hausse des impôts [TVA, impôt sur le logement, impôt direct, etc.] sans précédent frappant les classes populaires et une vague massive de privatisations sont à venir. Les promesses mensongères portant sur la recherche de contreparties qui permettraient de protéger les pauvres contre les conséquences des politiques dictées par le mémorandum ont été utiles au cours de la campagne électorale. Toutefois, elles sont maintenant en train de s’évanouir.
A ce stade, le groupe dirigeant autour d’Alexis Tsipras devra faire face à la réalité – ils devront s’affronter au contenu de l’accord qu’ils ont signé. Voilà pourquoi – malgré toute l’insistance sur leur capacité à former un gouvernement « stable » avec les Grecs indépendants [Anel] comme partenaire junior – ce groupe dirigeant a déjà ouvert la voie à une alliance à venir avec le Pasok et des scénarios pour un gouvernement encore plus large d’« unité nationale », impliquant la Nouvelle Démocratie, ne sont pas écartés.
Face à cette perspective, notre seule réponse possible est la lutte depuis en bas : grèves, manifestations, occupations et plus pour défendre les droits des travailleurs et les droits sociaux. Afin de fissurer l’image du gouvernement Syriza comme disposant d’une légitimité populaire, fruit du résultat électoral du 20 septembre, ce genre de luttes doivent être appuyées de manière décidée par l’ensemble des militant·e·s de la gauche.
L’expérience récente nous a démontré que, pour que de telles luttes puissent s’affirmer, ils ont besoin d’une expression politique. Elles doivent se coaguler autour d’un courant politique qui vise à organiser une mise en question de l’austérité. Dans cette perspective, des tâches particulières incombent aux secteurs de la gauche qui ont résisté et se sont opposés aux manœuvres de Tsipras.
4. Une grande partie de cette responsabilité repose sur les épaules de l’Unité populaire – le front politique créé par une grande partie de l’aile gauche de Syriza et par des organisations et des militants de la gauche anti-capitaliste.
L’Unité populaire a subi une défaite électorales le 20 septembre. Il a obtenu 2,86% des suffrages. Pour seulement un petit nombre de voix, il n’a pas réussi à atteindre le seuil de 3% lui permettant d’avoir des représentants au parlement.
Il y a des raisons objectives de cette défaite. Nous avons eu seulement un mois pour créer une nouvelle formation politique et organiser une campagne électorale sur le plan national, sans aucune ressource matérielle pour la lancer. Les risques d’un échec étaient grands depuis le début.
Mais il y a des raisons subjectives à cette défaite, des erreurs politiques importantes. Face à la pression de nos adversaires politiques, qui ont fait valoir que la soumission aux instances européennes était inéluctable, nous avons insisté à l’excès sur la sortie de la zone euro. Cet élément nécessaire de notre argumentation générale a été accentué et de ce fait placé au-dessus d’un programme plus général visant à organiser un mouvement unifié de classe unie contre l’austérité et inséré dans un programme anti-capitaliste visant une émancipation socialiste. Ce fut donc un cadeau à Tsipras et aux médias, qui ont saisi chaque occasion pour nous calomnier comme étant la « la gauche de la drachme » [établissant un rapport diffamateur avec le dit « plan Schäuble »].
Malgré tout cela, l’Unité populaire a reçu le suffrage 152’000 électeurs. L’UP a déjà rallié une couche organisée de milliers de militants et de cadres expérimentés du mouvement ouvrier et de la gauche politique. Cela nous donne la force, malgré la perte de la première bataille, de livrer celles de la guerre à venir.
Bien sûr, pour que cela se produise, nous devons résoudre, d’une manière efficace et démocratique, toutes les questions organisationnelles, politiques et programmatiques concernant l’Unité populaire, questions qui ont été naturellement laissées de côté durant la brève période antérieure aux élections.
5. Le Parti communiste (KKE) a augmenté légèrement son pourcentage, de 5,47% en janvier 2015 à 5,59%. Mais le fait que ce résultat se soit manifesté dans une situation où Syriza était en crise, où une scission était intervenue, et immédiatement après que Tsipras eut signé un nouveau mémorandum d’austérité sévère démontre qu’il n’y a pas de quoi le célébrer. La politique de la direction du KKE a donc échoué à capitaliser une rare occasion conjoncturelle.
Au cours de la période pré-électorale, le KKE centrait ses attaques presque exclusivement contre l’Unité populaire, dans l’espoir d’attirer vers lui tous les votes de l’opposition de gauche à Syriza. Cette tactique laisse planer le doute sur toutes les formules de une du journal du parti [Rizospastis] quant aux initiatives pour former une sorte d’alliance populaire.
6. La plus réduite alliance anti-capitaliste, Antarsya [Front de la gauche anti-capitaliste grec], a aussi légèrement accru son pourcentage de votes, passant de 0,64% à 0,85%. Dans sa déclaration faisant suite aux élections, le Nouveau courant de gauche (NAR), l’une des principales composantes d’Antarsya, s’est fixé pour objectif « la formation d’un large front militant pour contrer la tempête à venir des mesures anti-ouvrières…, l’engagement à l’action conjointe de tous les partis de la gauche militante, y compris le Parti communiste et l’Unité populaire ».
Le problème est que cette déclaration a été publiée un jour après l’élection et non pas trois semaines avant. Dans la bataille électorale de septembre 2015, les « forces de la gauche militante » ont échoué à fournir une réponse commune, ce qui était pourtant nécessaire.
7. Les nazis d’Aube dorée sont arrivés en troisième position, remportant 6,95% des votes. L’augmentation de son pourcentage est due au niveau d’abstention. En chiffres absolus, Aube dorée a perdu 9000 votes par rapport janvier 2015. Mais même le fait qu’il ait stabilisé son soutien électoral – quelques jours après que son chef Nikolaos Michaliolakos a assumé publiquement la « responsabilité politique » pour l’assassinat [le 18 septembre 2013] de Pavlos Fyssas – montre le danger de cette force. Notre lutte pour renverser l’austérité, notre lutte contre le mémorandum, est la seule façon de briser non seulement l’avidité capitaliste, mais aussi la menace fasciste.
DEA, 21 septembre 2015