La mobilisation populaire en appui aux centaines de milliers de personnes d’origine syrienne, afghane, érythréenne, etc. qui cherchent aujourd’hui asile au sein de la forteresse Europe, met pour un temps l’extrême droite en difficulté, en particulier en Allemagne. C’est une bonne nouvelle… Après les luttes du refuge de Saint-Laurent et de No Bunkers dans l’Arc lémanique, mais aussi les récentes manifestations de Zurich (5 sept.), de Genève (12 sept.), et de Lausanne (15 sept.), nous devons nous efforcer d’étendre et d’intensifier notre solidarité active en Suisse.
L’amplification d’un tel élan de sympathie nécessite une meilleure compréhension des causes profondes de cet exode. D’abord, bien sûr, la formidable croissance des inégalités à l’échelle planétaire : 85 multimilliardaires possèdent aujourd’hui autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Une réalité monstrueuse qui repose sur l’expropriation et l’exploitation de centaines de millions de petits producteurs, sur la domination brutale de régimes néolibéraux mafieux, comme celui de Bachar al-Assad en Syrie, sur la généralisation de la violence et de la guerre… Or ce système porte un nom : le capitalisme.
Autant que les bombardements occidentaux, ce sont les ravages du néolibéralisme qui ont précipité des dizaines de millions d’êtres humains dans une misère effroyable, tandis que les pétromonarchies et les régimes issus du nationalisme arabe se transformaient en mafias sans scrupules. Ne nous laissons pas berner par leurs allégeances internationales changeantes, les hommes au pouvoir à Damas, au Caire ou à Ryad sont faits de la même étoffe, trempée de la sueur de leur peuple et rouge de son sang. Ils sont à l’image du capitalisme périphérique qui, mieux qu’au centre, révèle sa véritable vocation : soumettre la société à la soif d’accumulation de quelques-uns.
La vague actuelle de réfugié·e·s est aussi l’expression du reflux des processus révolutionnaires initiés il y a cinq ans dans la région arabe. Le gouvernement ultra-libéral d’Essebsi en Tunisie en tire parti pour remettre en scelle les profiteurs de l’ère Ben Ali, tandis que la main de fer de Sissi en Egypte s’efforce de redonner confiance aux nantis, et que le régime assassin de Bachar al-Assad tente de poursuivre l’accaparement des richesses au bénéfice de son clan. Contre ces gouvernements des 1 %, notre solidarité va aux 99 % qui luttent pour la démocratie et la justice sociale, dont les aspirations ne pourront déboucher que sur de nouveaux soulèvements.
Le déclencheur de l’exode européen d’une petite partie des réfugié·e·s syriens, c’est la baisse du montant des aides versées par le Programme alimentaire mondial (PAM) à plus d’un tiers de ceux-ci. Ils ne reçoivent plus même un demi dollar par jour, ce qui ne leur garantit plus une ration alimentaire de survie. « Nous devons aider les gens où ils se trouvent, sinon ils vont se déplacer », avertissait un porte-parole régional de cette agence onusienne dans le courant de l’été. Or, en juillet, le PAM, qui dépend de subventions aléatoires des Etats, des grandes compagnies et de la charité individuelle, signalait qu’il n’avait pas réussi à provisionner le quart de ses besoins pour l’année 2015...
L’extension de la solidarité en Europe et en Suisse ne doit pas justifier une politique d’austérité plus stricte à l’égard des populations résidentes les plus fragiles, comme le préconise aujourd’hui le gouvernement allemand. Elle exige que nous relancions la lutte pour une régulation du marché du travail et un renforcement des protections sociales afin d’empêcher l’utilisation des nouveaux arrivant·e·s comme un sous-prolétariat taillable et corvéable à merci. Dans ce sens, la mobilisation humanitaire en faveur de l’ouverture des frontières et de l’accueil d’un plus grand nombre de réfugié·e·s ne peut être séparée de celles contre le dumping salarial et la réduction des prestations sociales, sauf à donner raison à ceux qui ne cessent d’opposer « la misère de chez nous » à « la misère du monde ».
Dans les semaines à venir, en Suisse, nous devons exiger l’accueil d’un nombre plus important de réfugié·e·s dans des conditions décentes ; le rétablissement de la procédure d’asile dans les ambassades ; l’arrêt des renvois Dublin dans le premier pays « d’accueil » ; la fin de l’internement administratif ; le droit au travail des requérant·e·s aux conditions usuelles ; le renforcement des dispositions légales et conventionnelles sur les salaires et les conditions de travail afin d’éviter que le patronat n’utilise l’immigration la plus précaire comme facteur de sous-enchère. En d’autres termes, la lutte pour l’accueil des réfugiés est inséparable de celle pour les droits fondamentaux et la justice sociale qui concerne l’écrasante majorité de la population.
Jean Batou
« Autant que les bombardements occidentaux, ce sont les ravages du néolibéralismequi ont précipité des dizaines de millions d’êtres humains dans une misère effroyable »