Après la pandémie grippale à H1N1 de 2009, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a été accusée par le prestigieux British Medical Journal et par le Conseil de l’Europe d’avoir favorisé les trusts de la vaccination...
Elle aurait massivement poussé les États à investir dans l’achat de millions de doses de vaccins, alors que l’épidémie dans l’hémisphère sud avait été plus bénigne que la classique grippe saisonnière annuelle... Les experts du groupe OMS grippe étaient en fait liés à l’industrie pharmaceutique ! Avec l’épidémie du virus Ebola qui a explosé en Afrique de l’Ouest en 2014 et a fait plus de 10 000 morts, c’est au contraire le silence, l’inaction et la désorganisation de l’OMS face à cette pathologie de pauvres dans des pays pauvres qui est en accusation.
L’OMS, ce coupable idéal
Il faut dire que si Ebola a émergé en Guinée en décembre 2013, ce n’est qu’en mars 2014 que le virus est repéré et signalé à l’OMS. L’OMS aura attendu huit mois d’épidémie et des milliers de morts pour déclarer le 8 août 2014 « une urgence sanitaire de portée mondiale ». De plus, l’OMS a décidé en mars 2014... de ne pas accélérer la préparation d’un vaccin anti-Ebola. Joanne Liu, présidente internationale de Médecins sans frontières est d’ailleurs montée en septembre 2014 à la tribune de l’ONU à New York pour dénoncer la coalition mondiale de l’inaction : « L’OMS a déclaré que cette épidémie représente une urgence de santé publique de portée mondiale, mais ceci n’a pas donné lieu à une réponse significative. De fait, les États ont rallié une sorte de coalition mondiale de l’inaction. »
Alors Ebola, symbole d’échec d’une OMS minée par les coupes budgétaires, sous influence du marché, des trusts et des États ? Bien sûr, mais l’OMS est aussi un coupable idéal pour ceux qui veulent définitivement se débarrasser d’une agence qui a en charge la santé mondiale, alors qu’à l’ère de la mondialisation libérale, certains rêvent d’une politique de santé mondiale dominée directement par la Banque mondiale, les fondations privées et les trusts de la pharmacie, qui prendrait ses méthodes directement auprès des interventions militaires impérialistes.
C’est le milliardaire Bill Gates, fondateur de Microsoft et président de la fondation qui porte son nom, qui critique l’inefficacité de l’OMS, face au renouveau des risques de pandémie mondiale, et qui propose la mise en place d’équipes soignantes de choc, préparées et entraînées, et une meilleure coordination entre personnels soignants et militaires. La grande oubliée de tout cela ? Les soins de base et la santé des populations. Car bien plus que le symbole de l’échec de l’OMS, Ebola révèle la faiblesse du système sanitaire de nombreux pays, minés par la dette, la corruption et le pillage.
Dans le collimateur des États et de l’industrie pharmaceutique
Dans les années 1970, le directeur général de l’OMS Halfan Mahler défendait à l’opposé une vision globale de la santé mondiale. Une vision qui s’appuyait sur les besoins des populations, en matière de santé, mais aussi d’éducation, d’accès à l’eau, à l’alimentation. Une vision qui s’appuyait sur les communautés. En 1977, l’OMS publie même une liste de 200 médicaments indispensables, à produire à bas coût, pour lutter contre les maladies les plus fréquentes des pays pauvres, mais aussi des pays riches.
On comprend que l’industrie pharmaceutique et les pays impérialistes, USA en tête, n’ont jamais vraiment porté l’OMS dans leur cœur, et n’ont eu de cesse d’imposer un autre directeur et une autre politique centrée autour de programmes verticaux par pathologie, qui pourraient ainsi faire la part belle aux trusts pharmaceutiques et aux ONG pro-bussiness. En 1986, les USA vont même suspendre le paiement de leur cotisation, 25 % du budget total de l’OMS, à la suite du refus de l’Assemblée mondiale de la santé de changer la politique de l’OMS. Petit à petit, l’OMS est marginalisée. Les USA ont repris leur contribution, mais sous forme de programmes ciblés, hors du contrôle réel de l’OMS. Halfan Mahler a été remplacé par le très libéral Hirochi Nakajima. Et l’OMS est de plus en plus marginalisée par la Banque mondiale, les fondations privées Bill Gates ou Rockefeller, et les partenariats public-privé.
La dette ou la santé ?
Wolf Nathan, virologiste réputé, qui a fait ses armes en 1980 lors de l’épidémie Ebola au Cameroun, illustre bien ces nouvelles conceptions impériales de la lutte contre le virus Ebola, tournées vers la recherche, la technologie et une version commando de la lutte contre les pandémies. Des connaissances solides, négociées dans des shows télévisés ; un livre grand public, Viral Storm (Tempête virale), qui lui rapporte un million de dollars ; la fondation Bill Gates, qui lui promet un million de dollars à chaque nouveau virus découvert... Il est chargé par le département d’État américain de préparer la Sierra Leone à une épidémie de virus Ebola. Il n’hésite alors pas à déclarer en avril 2014 : « La Sierra Leone est prête comme jamais ». Elle sera l’un des pays les plus touchés !
Mais au-delà même des budgets de l’OMS en berne et des pressions des États et des firmes, ce sont les politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale et de remboursement de la dette qui ont littéralement détruit les structures de santé de nombreuses régions d’Afrique, particulièrement dans la région d’émergence du virus Ebola. Ainsi au Liberia, qui compte dix fois moins de médecins que la moyenne des pays africains, par suite des guerres civiles liées à l’effondrement du pays sous le poids de la dette, de la déforestation par les grands groupes, de la monoculture de palme, 31 % de la population est sous-alimentée, 68 % vit dans des bidonvilles sans accès aux soins de base. Le pays ne compte… que 90 médecins pour 6 millions d’habitants !
« La coalition mondiale de l’inaction », celle du profit !
La mise en place d’un système de détection de pathologies émergentes, dans un monde globalisé où les écosystèmes sont soumis à des changements rapides par l’urbanisation, la déforestation, les bouleversements des modes de vie traditionnels, ne peut pas exister si le maillage par les soins de base a été détruit. La prise en charge d’une épidémie ne peut se faire si l’éducation manque, si les structures de santé ont été détruites. La mobilisation sanitaire internationale ne peut se faire si la première riposte consiste à fermer les frontières et les aéroports. Comme le déclarait le Docteur Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses : « Le meilleur moyen de nous protéger est de mettre fin à l’épidémie en Afrique, et le meilleur moyen de combattre la maladie là-bas est d’envoyer un maximum de personnels de santé sur place pour aider à soigner les malades. » En clair, nous vivons dans une seule planète, et la présence, partout, du droit à la santé pour tous, est, pour tous, la seule garantie de lutter au mieux contre les pandémies émergentes.
Une véritable « banqueroute morale de l’industrie pharmaceutique et du capitalisme », voilà le diagnostic sans appel du professeur John Ashton, président de la faculté britannique de santé publique, à propos de l’épidémie d’Ebola, dans l’International Business Times du 3 août dernier. Les failles du système sanitaire mondial, que ce soit au niveau de l’OMS ou des États, voilà aussi ce que dénonçait, assorti de nombreuses propositions de réformes, un comité d’experts indépendants avec à leur tête, Barbara Stocking, ancienne directrice générale d’Oxfam, une des plus grandes ONG, « déterminée à changer cette situation en mobilisant le pouvoir citoyen contre la pauvreté ».
Car au-delà de l’OMS, et de sa faillite face à l’épidémie d’Ebola, « la coalition mondiale de l’inaction » dénoncée par Médecins sans frontières a un nom : le profit des trusts, l’austérité des États, avant la santé du monde.
Frank Cantaloup
L’OMS, entre budgets en berne et réorientation stratégique
Suite à la crise financière, les pays donateurs ont encore réduit leur contribution à l’OMS, qu’ils ont toujours regardée avec beaucoup de suspicion...
Le budget annuel de l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, était seulement de 3,98 milliards de dollars en 2013. Mais l’année suivante, année du déclenchement de l’épidémie d’Ebola, il n’était plus que de 3 milliards de dollars.
Un milliard en moins...
À comparer par exemple avec les 6 milliards de dollars du CDC, agence fédérale de santé publique des États-Unis. À comparer surtout avec les dépenses annuelles du principal donateur pour la santé mondiale, la fondation Bill et Melinda Gates, 5 milliards de dollars !
Aujourd’hui, les initiatives privées, non contrôlées démocratiquement, et qui développent des stratégies de santé bien particulières, ont des budgets largement supérieurs à ceux de l’OMS. La fondation Bill Gates a des actifs à hauteur de 45 milliards de dollars. Elle peut donc choisir de développer des actions à ce niveau, cela alors que l’OMS ne peut réellement décider que de 20 % de son budget, soit la part qui provient des cotisations des États membres des Nations unies !
Le reste, 80 % donc, provient des donations d’États ou de fondations. Des donations arrachées, selon les pathologies, les programmes, le bon vouloir des États et des fondations, et parmi elles à plus de 50 %… la fondation Bill Gates !
Restructurée... pour gérer l’austérité
Cette austérité est associée à une profonde restructuration de l’OMS pour répondre aux choix et aux financements des donateurs. Ainsi, il y a eu une augmentation de 20 % des budgets pour les maladies non transmissibles, en clair cardio-vasculaire, diabète, cancer, qui ont leurs marchés. Mais il y a surtout eu une baisse de 50 % des budgets du secteur intervention épidémie crise, passés de 469 à 228 millions d’euros. Ainsi, le docteur Fukuda de l’OMS estime qu’il dispose de 35 % de personnels en moins par rapport à la pandémie de grippe H1N1, plus du double des coupes enregistrées par l’ensemble de l’OMS. La direction action épidémie est passée de 94 à 34 personnes ! La direction sciences des maladies pandémiques et épidémiques ne comptait plus que 52 personnes, secrétaires comprises... et parmi elles, un seul spécialiste des fièvres hémorragiques à Ebola !
Derrière ces chiffres et ces budgets en baisse, c’est tout un savoir faire qui a été détruit. Détruit et dispersé, tout le pool d’anthropologues qui connaissait d’expérience les pratiques traditionnelles, utilisait les savoirs traditionnels en matière d’épidémie, et savait que les funérailles étaient un grand vecteur de diffusion de la maladie. Ainsi, 8 mois après le début de l’épidémie, les funérailles traditionnelles représentaient encore plus de 50 % des modes de contamination. Quand les soldats ou les gendarmes venaient « enlever les morts » dans des housses, les familles cachaient souvent les défunts, s’en prenaient aux équipes Ebola, alors qu’il aurait fallu savoir modifier, avec l’accord des communautés, les pratiques traditionnelles des funérailles…
Décentralisée... et sous pression
Pour faire face à ces budgets en baisse, l’OMS a aussi connu une profonde décentralisation. Une décentralisation qui n’est pas synonyme de proximité avec les problèmes de santé publique, mais qui a surtout rapproché les bureaux locaux de l’OMS des pressions des pouvoirs politiques locaux, on le sait, « extrêmement soucieux » des problèmes de santé.
Ainsi, le bureau Afrique de OMS a été régulièrement accusé d’avoir tardé à remonter l’information d’une épidémie Ebola qui émergeait. Quel intérêt d’alerter la communauté internationale sur un virus qui émerge, qui ne touche au départ que les villages, et qui peut faire peur et décourager les investisseurs internationaux ?
Sans richesses, pas de prévention
L’OMS mettait aussi l’accent sur une nouvelle stratégie consistant à aider les pays à élaborer et à construire des instruments d’intervention en cas d’urgences sanitaires. Mais, en particulier dans les pays les plus pauvres (en Afrique donc), en 2012, année où tous les plans de prévention auraient dû voir le jour, seuls 20 % des pays les avaient toutes promulguées. En Afrique, moins d’un pays sur trois disposait de programmes pour détecter et arrêter les maladies infectieuses.
Ainsi, le virus Ebola, responsable de l’épidémie actuelle, a émergé en décembre 2013 dans la région de Guéckédou, en Guinée. Il faudra attendre mars 2014, quatre mois plus tard, pour qu’il soit identifié par le système de santé, ruiné par les politiques d’ajustement structurels et l’accaparement des richesses par les classes dominantes corrompues !
Frank Cantaloup