L’enquête a été aussi minutieuse que le rapport final est accablant pour le gouvernement. Vendredi 23 octobre, la Ligue des droits de l’homme (LDH) a présenté les conclusions de la commission d’enquête citoyenne lancée après la mort de Rémi Fraisse, 21 ans, tué par un gendarme dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, en marge de manifestations d’opposants à la construction d’un barrage à Sivens (Tarn). Le rapport dénonce « un régime de violences policières qu’aucun citoyen attaché aux règles démocratiques ne saurait tolérer » et « la légalité douteuse des opérations de maintien de l’ordre menées à Sivens ».
Les auteurs font remonter la dégradation de la situation à la fin août : un nouveau commandant de gendarmerie, un nouveau préfet et, surtout, une déclaration du premier ministre, qui défend la poursuite du projet devant les Jeunes Agriculteurs. Les 22 et 23 août, une nouvelle parcelle est occupée par les « zadistes ». En face, la présence des forces de l’ordre devient massive. Un « climat oppressif permanent » s’installe, la brutalité devient la règle.
Philippe Maffre, un agriculteur opposé au projet, est ainsi violemment interpellé :
« Une manifestante que je connaissais était poussée par un [gendarme] mobile. Je lui ai dit : “Tu n’as pas honte d’agir ainsi, cette femme pourrait être ta mère !” Il y avait six gendarmes devant moi, et derrière le petit chef. Il a ordonné de m’embarquer, ils m’ont saisi et m’ont pété une épaule [une luxation] alors que je tendais les bras. » Un autre témoin raconte avoir été « chopé par l’arrière du foulard (…) sur une dizaine de mètres ».
Un élu opposant est même jeté dans le fossé. « Il était clair que les forces de l’ordre n’étaient pas là pour apaiser mais pour le passage en force », conclut Roland Foissac, vice-président (PCF) du conseil général, qui a assisté à la scène.
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« Passage à tabac d’un des zadistes »
Les expulsions changent également de nature. La « maison des druides », une cabane occupée à quelques dizaines de mètres du site des travaux, subit une quinzaine d’opérations des forces de l’ordre en deux mois. A chaque fois, le même scénario :
« Les gendarmes mobiles lancent des grenades lacrymogènes, expulsent avec violence les zadistes présents, pénètrent dans la cabane, détruisent toutes les affaires et brûlent celles qu’ils ne peuvent pas casser. Lors du raid du 3 octobre, selon un témoin, un des zadistes présents qui essaie de filmer l’intervention est victime d’un tir de Flash-Ball. Un second raid ce même 3 octobre en soirée se termine par un passage à tabac d’un des zadistes présents. »
Les téléphones et les appareils photos sont détruits ou purgés de leurs fichiers. La violence verbale est la règle. « Les termes de “salopes”, “putes”, “femelles” étaient très utilisés », assurent plusieurs témoins.
Quand arrive la grande manifestation du 25 octobre, la tension est à son comble, et le rapport entre les associations d’opposants et la préfecture est très dégradé. Après de premiers incidents en fin d’après-midi, les affrontements reprennent vers 23 heures. Le niveau de violence est inédit, comme l’a constaté un médecin présent sur le poste de secours :
« Nous avons reçu deux blessés par des grenades, l’un dans la jambe, l’autre dans le dos. J’ai dû retirer des éclats de plastique. (…) Un autre des huit blessés avait reçu un tir de lacrymogène dans son casque. Sous le choc, le casque a éclaté et laissé une plaie de 15 centimètres. J’ai dû faire 9 points de suture. Un autre avait été victime de tir de Flash-Ball aux genoux. Il avait une grosse contusion osseuse. Une autre avait pris des projectiles à la cheville. »
« Manipulations médiatiques »
La LDH conteste également la légalité des opérations de maintien de l’ordre sur le site du barrage – un terrain privé. Ou il s’agissait de disperser un attroupement ou il s’agissait de procéder à une expulsion. Mais le code pénal définit l’attroupement comme « le regroupement des personnes sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public », ce qui n’était pas le cas. Quant à la deuxième solution, la commission souligne « l’absence de toute décision judiciaire d’expulsion » préalable.
La conclusion est sans appel. Pour la LDH, ce flou juridique et les « manipulations médiatiques » qui ont précédé et suivi la mort de Rémi Fraisse ont « très habilement permis à l’autorité civile, du préfet aux ministres, d’échapper aux responsabilités dans la survenance malheureusement prévisible de la mort de Rémi Fraisse » :
« L’absence de traçabilité précise des ordres donnés est le meilleur moyen pour l’autorité politique de se défausser de ses responsabilités, de se draper d’indignation et, quand la pression est trop forte, de désigner quelques boucs émissaires, jetés en pâture à l’opinion publique pour accréditer l’idée que justice serait faite. »
Laurent Borredon
Journaliste