Les semences paysannes sont accaparées par la grande industrie. Celle-ci impose des normes juridiques et exerce dans le monde des pressions diverses pour limiter les droits des paysans. Elle veut interdire l’utilisation des semences par ceux qui les ont domestiquées après des milliers d’années de sélections et d’adaptations au terroir, à l’environnement et au climat. Ces grandes entreprises déposent des brevets sur un maximum d’espèces de plantes et privatisent le vivant de cette façon. Elles vendent des OGM néfastes et des variétés végétales dépendantes de fortes doses d’engrais et de pesticides, qu’elles vendent aussi en position de monopole. Elles ont créé des espèces difficilement reproductibles ou réutilisables légalement par les paysans, si ceux-ci n’achètent pas leurs semences, pour une grande part génétiquement modifiées, et toutes protégées par de nombreux brevets et certificats d’obtention végétale. Elles font appel à de nombreux scientifiques et chercheurs pour concrétiser leurs stratégies et mettre au point des techniques agricoles compétitives contre les pratiques paysannes traditionnelles. Ces manœuvres à grande échelle ont créées une situation planétaire où trois multinationales contrôlent la moitié du marché des semences ! La conservation et l’utilisation des semences produites par les paysans selon un savoir-faire approprié à chaque plante et à chaque région, deviennent une pratique criminelle selon la grande industrie capitaliste aujourd’hui dominante dans l’agriculture en voie de mondialisation totale. Cette évolution de l’agriculture vers l’agro industrialisation mondialisée est apparue dans le dernier quart du XXe siècle avec les progrès de la science génétique et l’implosion des Etats « socialistes » bureaucratisés. Elle avance rapidement en faisant appel à des principes d’ingénierie biologique (séquençage de l’ADN, synthèse de gènes, hybridation artificielle, etc.) auxquels les paysans n’ont pas accès, du fait de leurs divisions et de leurs faibles moyens financiers.
L’agro-industrie se définit politiquement par l’exploitation de salariés de l’agriculture et d’activités connexes, tandis que les paysans sont les producteurs des marchandises d’origine agricole (plantes, bétail, apiculture, etc.) qu’ils proposent sur le marché généralement sans intermédiaire. Une partie des marchandises émanant du travail des paysans sont des produits induits ou dont la création en petite quantité empêche une captation capitaliste de niveau industriel (miel, certaines plantes médicinales ou réservées à la parfumerie, conserves locales par pasteurisation ou déshydratation, assemblage de fibres végétales, etc.). Les travailleurs sans terre et qui cherchent à s’installer peuvent être rangés avec les paysans traditionnels.
La diversité en nombres ou catégories d’adhérents des organisations paysannes (en Inde, des organisations paysannes se reconnaissent par religions ou par castes ; en Afrique, l’appartenance ethnique peut-être dominante) compliquent la perspective des coordinations continentales ou mondiale des agriculteurs paysans. Un paramètre très important est qu’ils interviennent dans un environnement économique capitaliste presque hégémonique. Dans ce contexte, le capitalisme s’empare, dès que l’occasion se présente, de toute production paysanne susceptible d’être industrialisée avec les travailleurs de la terre transformés en ouvriers salariés. Les paysans, quand ils sont confrontés à une demande sociale forte avec la capacité d’y répondre, peuvent engager des salariés. Certains paysans deviennent ainsi d’authentiques capitalistes au sens marxiste du terme, et n’acceptent pas toujours de transformer leur entreprise en coopérative démocratique et autogérée par tous les travailleurs participants à la production, à la gestion et à la vente de leurs produits. Toutes les formes de productions et d’organisations paysannes travaillant sur de petites surfaces et/ou compatibles avec un faible équipement mécanique existent. Enfin, La variété du mouvement paysan et des sympathisants des revendications paysannes peut inciter une partie du mouvement à favoriser le secteur de la production qui les concerne, en formant l’équivalent d’une corporation qui verrouille son domaine, abandonne sa participation aux luttes unitaire et négocie directement avec le pouvoir dont ils dépendent qui les manipule avec des promesses de subventions et des avantages inégaux aux dépends des paysans. Si les paysans et leur famille ne représentent que 5 à 6 % des travailleurs dans les pays les plus industrialisés, ils restent cependant influents dans les campagnes agricoles et interviennent alors dans les processus électoraux.
Certains paysans hésitent entre activités autogérées et entreprises capitalistes. Ils peuvent basculer dans un camp ou dans l’autre pour des raisons idéologiques ou suivant l’évolution de leur situation économique et l’accueil qui leur est fait sur le marché. On peut voit ces producteurs « pré-capitalistes », à la démarche hésitante, tenir des stands de ventes « bios » dans des rassemblements unitaires, alors qu’ils sont le plus souvent absents des rencontres et des luttes paysannes. Les formes de résistances paysannes partagées favorisent les coordinations qui apparaissent sur tous les continents contre la concentration et la violence des entreprises capitalistes. Dans certains pays où la collectivisation des terres est traditionnel, le vol des terres par déclarations administratives de propriété et expulsions des habitants est une pratique criminelle qui accroît le nombre des « sans-terre » et alimente des luttes rapprochant les sans-terre des syndicats de salariés. La défense des libertés de circulation, d’échanges et d’usages des semences est une forme majeure des résistances paysannes, parce que la privatisation des semences se traduit immédiatement par un surcoût (le profit détourné par l’agro industrie), des obligations fortes pour les paysans (comme l’obligation de cultiver certaines espèces et pas d’autres, ce qui élimine les petits paysans) et de nouvelles offensives du grand capital par une politique hostile et autoritaire des semenciers contre l’indépendance des paysans.
Vers une union mondiale des organisations paysannes
A l’initiative notamment du Réseau semences paysannes (RSP, France), du Comité ouest africain des semences paysannes (COASP), et soutenu par Via Campesina [1], s’est tenue à Pau (France) la 5e Rencontre internationale avec près de 200 délégués d’organisations paysannes de tous les continents. Ils ont témoignés des contraintes qu’ils subissent, de répressions parfois très dures dans l’indifférence de certains gouvernements ou avec leurs participations, parce que les paysans – même indirectement ou inconsciemment – peuvent être des opposants politiques en préservant leurs terres, leur indépendance et leurs partis. Cependant, des prises de conscience s’élargissent et débouchent sur des résistances actives permettant, notamment dans des pays d’Amérique Latine, de chasser les multinationales qui veulent surexploiter l’agriculture en s’interposant entre les travailleurs de la terre et les consommateurs, privatiser la distribution de l’eau, exproprier les paysans et appliquer des « lois » favorisant la bio piraterie.
Prendre une plante dans la nature, une culture ou un jardin, et déposer des brevets dessus en Europe et en Amérique du Nord, pour exiger ensuite une redevance pour toute culture de cette plante, en prétendant être le seul détenteur légal de leurs graines, est le summum de la bio piraterie qu’il faut rejeter par tous les moyens !
La domination du marché par quelques multinationales, et l’industrialisation de l’agriculture (cultures et élevages) a déjà provoqué la disparition de plusieurs races animales domestiquées localement, et des variétés de plantes (y compris des arbres fruitiers) bien adaptées et dépendants d’un savoir-faire ancestral répondant à leurs particularités. Pour réduire le nombre des variétés végétales et animales qui pourraient réduire l’emprise commerciale de l’agro agriculture capitaliste, elle cherche à les interdire et à les détruire. Les organisations paysannes sont entravées et leurs dirigeants menacés, selon le rapport de force des paysans face au Patronat de l’agro-industrie. Cela va de la réduction des subventions (comme pour la Confédération Paysanne en France, parce qu’elle n’approuve pas toutes les mesures du Gouvernement français et des Conseils régionaux) à des répressions judiciaires et extrajudiciaires par des bandes armées aux services des grands propriétaires, notamment en Amérique du Sud.
Contre la bio piraterie
Cette année, la question de la bio piraterie a été un point fort des discussions de la Rencontre internationale. Le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA), signé sous le bouclier de l’O.N.U. en 2001, est le seul texte international qui reconnaît les droits des paysans de conserver, utiliser, échanger ou vendre leurs propres semences. On observe que ces droits sont entravés jusqu’au niveau des Etats et que la bio piraterie utilise le TIRPAA à ses fins pour s’emparer des ressources et des connaissances des paysans (par exemple en faisant passer leurs prospecteurs pour des chercheurs aux services des paysans). Des centres de conservation des semences ont été construits dans plusieurs pays. Mais déjà deux centres de conservation ont été bombardés et détruits (Irak et Syrie) et le gouvernement russe se propose de détruire celui situé près de Moscou, l’un des plus anciens et importants au Monde… au prétexte fallacieux de construire un noeud routier ! Avec le changement climatique maintenant avéré, nous devons conserver pour les générations futures la diversité génétique qui est au cœur de l’alimentation et de l’agriculture.
De nombreux chercheurs n’ont pas pris conscience qu’ils travaillent, en réalité, pour l’agro-industrie contre les paysans : Ils remettent les résultats de leurs recherches à leurs gouvernements qui les donnent à MONSANTO & autres agro-industriels destructeurs de la biodiversité et seuls commerçants profiteurs de la dispersion d’OGM et de méthodes culturales néfastes dans l’environnement. De même, des chercheurs inventent des pesticides plus puissants pour réduire les parasites résistants ou tolérants aux OGM et aux pesticides, sans remettre en cause l’usage et la réelle nécessité de ces biocides de plus en plus dangereux par leur accumulation dans la biosphère, leur abondance et leur miniaturisation (perturbateurs endocriniens). Avec la participation de certains organismes étatiques de recherches, l’agro-industrie s’approprie les semences, les connaissances et l’expérience des paysans sans rien débourser, puis elle privatise brutalement des acquis techniques et culturels parfois millénaires, par le recours aux systèmes des brevets. Ainsi ceux qui ont participés de bonne foi à des recherches qu’ils croyaient faites pour eux, voient leurs semences et leur savoir-faire pillés sans aucune contrepartie, avec des expulsions et des répressions en remerciement !
Un message international des Réseaux de semences paysannes a été discuté dans un atelier du Rassemblement de Pau avant envoi aux gouvernements membres du Comité directeur du TIRPAA réuni en octobre 2015.
Yves Dachy, le 10 octobre 2015
Courriel : ydac34 orange.fr