Après avoir tergiversé puis longuement préparé le terrain en annonçant leurs intentions par fuites de presse et autres voies de communication, les Etats-Unis ont finalement pénétré lundi 26 octobre dans la zone des douze milles marins entourant certains des îlots que Pékin a fait émerger ces derniers mois en mer de Chine méridionale. Un destroyer américain, le Lassen, s’est approché de Subi et a également patrouillé autour de Mischief, des bancs de sable que la Chine a transformé en îles.
La marine américaine n’était pas entrée depuis 2012 dans cette zone de l’archipel des Spratleys revendiqué par la Chine, mais aussi par les Philippines, la Malaise, le Vietnam et Brunei. Depuis, la situation a grandement évolué, les îles artificielles apparaissant à partir de 2014, construites à l’aide de navires de pompage des sédiments. Sur les photos satellite de think tanks américains, déjà deux pistes d’atterrissage semblent en construction avancée, à Fiery Cross et Subi, tandis qu’un plateau rectangulaire s’étendant sur 3 000 mètres de longueur à Mischief laisse penser qu’une troisième pourrait voir le jour.
Militarisation de territoires contestés
L’administration américaine, qui prône un règlement pacifique de ce contentieux territorial, s’est contentée d’arguer de la liberté de navigation pour justifier cette mission annoncée dès le 8 octobre par des sources anonymes de l’administration américaine citées par le Financial Times, et a tenté de banaliser l’envoi du bâtiment de guerre. Recevant le 25 septembre, à Washington, son homologue chinois Xi Jinping, le président Barack Obama avait annoncé que les Etats-Unis continueront de « naviguer, de voler et d’opérer partout où les conventions internationales le permettent », ajoutant que les travaux de construction et de militarisation de territoires contestés compliquent un règlement entre les différentes parties prenantes. Trois mois plus tôt, le 1er juin, M. Obama avait déjà critiqué la politique chinoise du fait accompli en mer de Chine méridionale, estimant que Pékin « joue des coudes pour chasser les autres ».
Le porte-parole du département d’Etat, John Kirby, ancien officier de marine, a ainsi estimé que la patrouille du Lassen relevait de la « routine » puisque en l’absence d’eaux territoriales, la marine américaine n’est pas tenue, selon lui, d’en informer Pékin. Devant le Sénat, un adjoint du secrétaire à la défense, David Sear, avait jugé le 13 mai que, les îlots concernés étant érigés sur des récifs immergés, la règle des 12 milles nautiques pour les eaux territoriales ne s’applique pas selon le droit de la mer, ce que conteste Pékin.
Dès mardi, l’ambassadeur américain à Pékin, Max Baucus, a été convoqué par le vice-ministre chinois des affaires étrangères, Zhang Yesui, lui-même ancien ambassadeur aux Etats-Unis, qui a fait part du « fort mécontentement » chinois. L’agence de presse officielle, Chine Nouvelle, se faisant l’écho de cet échange, a cité M. Zhang employant les termes de « souveraineté » et de « droits juridiques maritimes », précisément les notions contestées, et déclarant : « La Chine fera tout ce qui est nécessaire pour s’opposer à la provocation délibérée de n’importe quel pays. »
Opinion publique nationaliste
Deux navires chinois, le destroyer Lanzhou et le patrouilleur Taizhou, ont suivi le bâtiment américain et se sont contentés d’une mise en garde, restant toutefois à distance. Sur les réseaux sociaux, une partie de l’opinion chinoise demande pourquoi l’Armée populaire de libération n’a pas réagi davantage. Quelques jours plus tôt, la Chine avait protesté contre les vols répétés d’un avion de surveillance américain au-dessus de la zone concernée par ces travaux.
La Chine, qui considère avoir déjà engrangé un gain en parvenant à construire ces îles sans opposition plus forte, joue désormais la modération par rapport à une opinion gonflée au nationalisme. La Chine a proposé, le 16 octobre, à ses voisins d’Asie du Sud-Est anxieux d’organiser des exercices militaires ensemble. Le 25 septembre à Washington, Xi Jinping en personne s’engageait à ne pas « militariser » les nouvelles îles, laissant analystes américains et chinois perplexes. « On ne sait pas trop ce que Xi Jinping entend par là car s’il y a des applications civiles, les îles peuvent évidemment être employées à des fins militaires, mais la Chine ne veut pas paraître trop agressive », estime Shi Yinhong, directeur du centre d’études américaines à l’université du Peuple à Pékin.
Dès juin 2015, un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Lu Kang, précisait en effet que les travaux de construction des îles à proprement parler seraient achevés « dans les prochains jours », après quoi suivraient les infrastructures. Si la Chine soutient que les îles ont également une utilité civile, pour des missions de sauvetage par exemple, M. Lu ne cachait absolument pas alors qu’elles serviront également à « répondre à un besoin nécessaire de défense militaire ».
La patrouille américaine intervient à quelques semaines seulement des sommets de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) en Malaisie et du forum annuel de la Coopération économique en Asie-Pacifique (APEC), qui se tiendront dans la deuxième partie du mois de novembre et auxquels Barack Obama a confirmé lundi sa présence. Les Etats-Unis doivent rassurer leurs alliés dans la région, car l’administration Obama a tardé à réagir sur la question de ces îlots dans l’archipel que les Chinois nomment Nansha, « les sables du Sud ».
Harold Thibault (Pékin, correspondance)
Journaliste au Monde
Gilles Paris (Washington, correspondant)
Journaliste au Monde