COMPTE RENDU DE LA CONFÉRENCE DE STATHIS KOUVELAKIS AU LIEU-DIT, À PARIS
À la lumière de la capitulation de Tsipras et du gouvernement Syriza, avec pour toile de fond l’accord néocolonial imposé à la Grèce par les décideurs européens, Stathis Kouvélakis et Alexis Cukier ont présenté une analyse des récents événements en Grèce, vécus comme « un désastre », une « catastrophe » et pas seulement comme une « défaite » pour « la gauche européenne ».
À travers l’analyse des différentes périodes qui ont marqué la crise grecque, les intervenants ont présenté un bilan des erreurs stratégiques ayant conduit Tsipras à une capitulation aussi brutale que définitive face aux créanciers. Il s’agit aussi pour Stathis Kouvélakis, l’un des principaux dirigeants de la Plateforme de Gauche, de faire un bilan de la politique qu’ils ont eux-mêmes mené en tant qu’opposition à l’intérieur de Syriza. Pour cela, Stathis Kouvélakis, décortique le cycle grec des cinq dernières années en trois périodes :
La première commence à l’aube de la période intense de lutte des classes de 2010 à 2012, une période marquée par une situation devenant quasi « insurrectionnelle » à l’automne 2011, couplée à une « crise de l’hégémonie de la classe dominante » et de sa « capacité à diriger la société ».
Les « mobilisations populaires » prenant « un aspect multiforme » mais elles n’ont pas débouché sur une « structure organisée » et « stable », capable de mettre en échec les plans d’austérité. Cet échec a conduit à penser la nécessité d’une « alternative politique ». Au printemps 2012, Syriza a proposé un « gouvernement de gauche anti-austérité » qui ouvrait un espace « à gauche de la social-démocratie », une avancée « qualitative » dans une Europe essentiellement marquée par les politiques néolibérales.
La seconde période commence au lendemain la montée foudroyante de Syriza aux élections législatives du 17 juin 2012, et a marqué le début d’une nouvelle période, véritable « tournant » vers la « normalisation » progressive de Syriza. Il s’agit d’un « recentrage » qui fait suite à la « peur de la dynamique » ressentie par la direction devant le succès électoral et la perspective d’arriver au pouvoir dans un contexte intérieur et extérieur très conflictuel.
Les éléments qui préfigurent ce « recentrage » s’observent sur deux axes. Le premier est l’abandon de la ligne initiale qui ne faisait pas de l’euro un « fétiche ». L’euro est désormais présenté comme un choix « irrévocable ». Le second consistait à abandonner, de façon plus « graduelle », la ligne du défaut de paiement en vue d’imposer aux créanciers l’annulation d’une grande partie de la dette. La nouvelle approche a consisté en l’acceptation du cadre de négociation imposé par les créanciers en vue de parvenir à une solution consensuelle.
Ce tournant s’est aussi illustré par la transformation profonde de Syriza en tant que parti, devenu un « parti d’adhérents » et non plus de militants. Cette mutation s’est accompagnée aussi d’un désintérêt croissant pour les mouvements sociaux, et de modifications profondes du point de vue de la démocratie au sein du parti, où s’accélèrent les « procédures express », ainsi que la centralisation du parti autour du « leader Tsipras ». Selon Kouvélakis, « l’équilibre interne » est alors brisé et Tsipras cesse de se positionner comme « centriste » et se déporte vers la droite. Il s’agit « d’une tendance lourde » qui n’est toutefois pas achevée. Elle revêt en réalité « des contradictions » car la pression des militants, de la gauche du parti et du « mouvement social » se fait toujours sentir.
Reste que tout est désormais subordonné à la victoire électorale, même si le « recul des mouvements sociaux » n’est pas attribuable seulement à Syriza qui a su apparaître comme « porteur d’une alternative ». Cependant, il s’est « adapté » à la « conjoncture basse », ne misant pas sur les mobilisations populaires, notamment celles qui ont fait suite à la fermeture de la télé grecque ou la grève des enseignants. En réalité, cette politique a mené à une logique de « délégation ».
A partir de 2015 débute la troisième période, celle de la victoire de Syriza aux élections de janvier 2015, une « victoire prévisible ». Tsipras obtient un « mandat fort » pour rompre avec l’austérité mais cette rupture est censée se passer au sein de la zone euro. Le choix est celui d’une « solution négociée » qui se matérialise notamment par le programme de Thessalonique, qui reprend un ensemble d’engagements visant à rompre avec la logique de l’austérité et des Mémorandums (hausse du SMIG, rétablissement de la législation du travail, fin de la surtaxation des ménages modestes, nationalisation des banques). Pourtant, côté recettes, ce programmes ne prévoit pas de « taxe sur le capital » et se centre sur la lutte contre « l’évasion fiscale », tout en misant largement pour se financer sur « des fonds européens ». C’est la logique du « compromis honorable » qui prend le pas, même si cela n’est jamais explicite.
La ligne rouge de la sortie de la zone euro n’est jamais clarifiée, aucune préparation n’est envisagée en cas de refus des Européens du programme de Thessalonique. Non seulement aucun plan B n’est préparé, mais « l’absence de Plan B » est présenté aux principaux dirigeants européens comme un « atout de Syriza » dans la logique du « nous sommes devenus raisonnables, récompensez-nous, nous trouverons bien un arrangement au milieu ».
Mais la BCE a coupé très vite les « canaux de financement », la 4 février, soit dix jours après l’élection. C’est la stratégie du blocus visant à asphyxier le système bancaire, l’économie et les finances publiques de la Grèce. L’accord du 20 février est alors signé, qui contient en germe la capitulation du 13 juillet, en reconnaissant « l’intégralité » de la dette, en s’engageant à dégager des excédents primaires et acceptant un programme de privatisation, une spirale de concessions qui ne cessera de se dérouler jusqu’en juin.
Pour Kouvélakis, la stratégie « du compromis honorable » était d’emblée impraticable. La contradiction a éclatée en juin, lorsque les Européens ont répondu par un ultimatum aux propositions de la partie grecque, qui avaient pourtant entériné l’essentiel des mesures d’austérité. Face à l’impasse, Tsipras, décide au dernier moment de sortir la « carte » du référendum pour tenter de relever « les contradictions à un niveau européen », mais sans avoir véritablement envisagé la possibilité de rupture avec la zone d’euro.
« Que faire » donc face au désastre ? Selon Kouvélakis, il faudrait une démarche qui consisterait à « approfondir le désastre » pour « jouer sur les failles de la situation nouvelle ». Grâce au ralliement de Syriza à l’« extrême-centre » pro-austérité, le bloc pro-mémorandum rassemble désormais 85% des voix au parlement. Il reste à mettre en œuvre le Mémorandum en question, ce qui aura pour effet notamment d’« approfondir la récession » et de conduire à un « désastre économique et social ». Ce pourrait être la base d’une contestation sur le front social.
Ainsi, il y aurait une reconstruction possible sur la base de ce nouveau cycle de luttes et des nouvelles contradictions. « Il faut garder le cap du possible ». Avec la victoire du « non » au référendum », un vote de classe contre les mesures d’austérité du 5 juillet 2015 qui semblait émerger, et avec l’échec de 6 mois de « négociation » de l’austérité dans le cadre de la zone euro, se fait ressentir la nécessité de rompre avec l’Euro comme préalable nécessaire, conclu-t-il.
Au cours du débat qui a suivi, Kouvélakis précisera que, pour la Plateforme de gauche « la rupture » avec l’euro n’a jamais été présentée de façon isolée ou comme un préalable mais toujours combinée à un défaut sur la dette, à la nationalisation des banques sous contrôle social, au contrôle des capitaux, à la taxe sur le capital et, enfin, à la mise en place d’une monnaie parallèle.
Kouvélakis finit par proposer un bilan critique de la Plateforme de Gauche, et de sa participation au gouvernement Syriza, bilan qu’il justifie notamment par une « erreur d’appréciation » quant à l’ampleur de la stratégie du « recentrage » de Tsipras. La Plateforme de Gauche a été en définitive trop « timorée ». Elle a notamment échouée à sortir du combat strictement interne, à s’adresser à la société civile et pas seulement aux militants de Syriza.
Dès avril, la Plateforme de Gauche aurait dû présenter un programme politique alternatif quitte à remettre en cause sa participation au gouvernement ». Elle s’est cependant cantonnée à un mode opératoire antérieur qui ne correspondait plus au rapport de force et à la dynamique de « normalisation » interne au parti et à l’équipe gouvernementale. Elle a continué à mener une « guerre de position » qui s’est finalement révélée inadaptée à la conjoncture telle qu’elle s’était transformée depuis 2012.
Kouvélakis pose alors la question du « que faire ? » L’épisode grec a démontré qu’il y avait des possibilités réelles, comme en témoigne son « on n’était pas loin ». On peut regretter l’absence d’une stratégie de rupture avec l’euro. Cet acte de rupture, acte de « désobéissance » en tant que mesure « unilatérale », aurait bénéficié du soutien interne (national) et externe (international), entraînant les « mobilisations sociales en Grèce », ainsi qu’un ensemble de mesures progressistes.
Il aborde alors la question du « Plan B ». L’euro, c’est l’austérité, l’expérience grecque le démontre. Une vision partagée y compris par des économistes keynésiens comme Stiglitz et Krugman. L’euro, c’est en fin de compte le « bras armé » pour faire plier toute expérience de « gauche radicale ». Dans ce cadre, la « conférence du plan B » dont Unité Populaire est partie prenante, une initiative de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de Gauche, apparaît comme une façon rationnelle d’aborder le problème, une discussion internationalisée, prenant en compte la spécificité de chaque pays, dans un esprit commun et une démarche commune, cela dans le cadre d’une « rupture » avec « l’Ether européiste » pour définir les enjeux du « Quel programme ? Quels moyens ? » Et surtout pour répondre à la question : Sont-ils les bons ?
Damien Bernard