Dans la foulée de la victoire électorale de l’AKP (Parti de la justice et du développement), la répression contre la presse s’est accentuée. Ainsi, le rédacteur en chef du magazine Nokta et le directeur de la publication ont été écroués, mardi 3 novembre, après avoir été inculpés par un tribunal d’Istanbul de « tentative de coup d’Etat ». Les deux hommes avaient été arrêtés par la police à Istanbul, lundi, alors que le dernier numéro du magazine avait présenté en première page le triomphe du parti islamo-conservateur AKP aux législatives, comme « le début de la guerre civile en Turquie ».
Début septembre, la police avait fait irruption dans les bureaux du groupe de médias Ipek, réputé proche de l’imam Fethullah Gülen. L’agence de presse gouvernementale Dogan affirmait que l’opération « s’inscrit dans le cadre de l’enquête pour terrorisme visant Fethullah Gülen ». Ce dernier est exilé aux Etats-Unis depuis 1999. Il représente la principale figure de l’opposition, depuis 2014, sur un terrain politico-religieux qu’Erdogan voudrait complètement hégémoniser. Le mouvement de Gülen, Hizmet (« service »), soutenait depuis 2002 l’AKP. Aujourd’hui, il est traité par le gouvernement « d’ennemi public numéro 1 ». Le lundi 2 novembre, le pouvoir a arrêté des policiers et des fonctionnaires de haut rang accusés d’être proches de l’imam. L’AKP s’est d’ailleurs de fait approprié les chaînes de télévision au cours de la campagne électorale et a poursuivi divers quotidiens réputés.
Le 3 novembre, des rafles ont été lancées dans 18 provinces du pays contre des dizaines de prétendus suspects d’un « complot contre l’armée ». En fin d’après-midi du 3 novembre, de nombreux juges et procureurs, souvent déjà suspendus de leurs fonctions, ont été inculpés pour « tentative de renverser le gouvernement » et « constitution ou appartenance à une organisation terroriste armée ». La promesse faite, le soir de la victoire électorale, par le premier ministre Ahmet Davutoglu de « semer les graines de l’amour » n’est évidemment pas tenue. La répression, initiée bien avant les élections, va se renforcer dans la phase présente.
Des jeunes militants kurdes – qui avaient affronté la police dans une série de villes encerclées et placées sous blocus – ont été arrêtés, dans le sud-est du pays, par les forces policières et militaires dès le matin du 3 novembre. En outre, les bombardiers de l’armée turque ont visé des bases considérées du PKK en Irak du nord. Dans les villes de Silvan et de Cizre, les forces répressives ont tué quatre jeunes militants.
Pendant ce temps, au-delà de quelques déclarations, l’Union européenne négocie avec le gouvernement Erdogan la contention de 2,2 millions de réfugiés en Turquie. Le 18 octobre, Angela Merkel rencontrait à Istanbul Erdogan, de quoi valoriser la campagne politique de l’AKP. Le régime d’Erdogan va pousser à la hausse la mise pour « l’aide qu’il apporte à l’Europe en surveillant mieux les réfugiés syriens ». Cela converge avec l’orientation des institutions européennes et des divers gouvernements de mettre en place et de financer des hot spots (des centres de tri et d’enregistrement aux frontières ou au-delà des frontières).
Face à la politique de l’Union européenne, dont l’arrogance passée est rappelée par Erdogan, ce dernier peut intensifier une campagne nationaliste et sécuritaire au nom de la stabilité. Outre la « question des réfugiés », il relance sa proposition, face aux Etats-Unis et à l’UE, de l’établissement d’une zone frontière avec la Syrie, dans laquelle seraient placés les réfugiés, ce qui doit faire échec à une zone frontalière contrôlée par les forces du PKK et du PYD, le bras syrien du PKK. Les dynamiques de guerre interne et de guerre régionale sont étroitement liées.
Rédaction A l’Encontre