Air France : La direction a du plomb dans l’aile
Les résultats du troisième trimestre du Groupe AF/KLM qui viennent d’être publiés arrivent au plus mauvais moment pour la direction.
Car ces chiffres sont terme à terme contradictoires avec tout ce qu’essayent de nous faire croire les PDG d’Air France et du groupe, Gagey et De Juniac : le chiffre d’affaires est en hausse de 4,2 %, soit 7,4 milliards sur le trimestre ; le trafic est en hausse, + 3 % sur les 9 premiers mois ; le coefficient d’occupation des avions est en hausse, taux record de 88,6 % cet été (bien au-dessus de Lufthansa…) ; et le résultat d’exploitation de 898 millions sur le trimestre est le meilleur réalisé depuis la création du groupe, en hausse de plus de 400 millions d’euros.
À qui profite les gains ?
De Juniac est pris à contre-pied de son mensonge récurrent, « Air France va mourir si les salariés ne font pas des efforts »... Aussi tente-t-il aujourd’hui une nouvelle version : « Air France va bien... mais moins bien que les autres » ! Les autres, c’est-à-dire Lufthansa, British Airways, etc. sans oublier les fameuses compagnies du Golfe ou les low cost. Il faudrait donc que les salariés fassent de nouveaux efforts sur les salaires et le temps de travail, pour qu’AF/KLM passe de n°5 à n°3 mondial !
Le problème est que les salariéEs voient bien qu’avec les gains de productivité déjà obtenus sur leur dos, leur salaire est bloqué depuis 2011, mais les profits s’envolent, ainsi que les salaires des plus hauts dirigeants. Ainsi une étude du cabinet Progexa vient de sortir : alors que toutes les catégories ont eu leur salaire bloqué, perdant de 1 à 3 % de pouvoir d’achat, le salaire mensuel moyen du cercle des plus hauts dirigeants a lui augmenté entre 2012 et 2014 de 2 790 euros, soit 9,6 % d’augmentation pour des salaires annuels moyens de 380 000 euros !
De plus, dans une activité en pleine expansion, la perte de 9 200 emplois Air France depuis 2008 a été transformée en autant de contrats sous-traités et précaires, avec une myriade de sociétés où le SMIC est la règle. La direction transfère aussi des lignes sur Transavia, où l’on vient d’apprendre que la direction du groupe cherchait à imposer des baisses de salaire à des hôtesses et stewards dont le salaire est aujourd’hui de 1 512 euros brut, soit à peine 54 euros au-dessus du SMIC.
Poursuivre le bras de fer
Les personnels Air France sont donc engagés dans l’épreuve de force avec la direction d’Air France qui pour l’instant est toujours défendue becs et ongles par le gouvernement, Macron reprenant le discours de De Juniac… Seule nuance, il ne faudrait pas de licenciement sec !
Mais ce discours ne tient même pas la route, car il n’y a plus de volontaires pour un plan de départ volontaire dans les escales de province, où le précédent plan qui proposait déjà 496 départs n’en a trouvé que 210. Où la direction va-t-elle aujourd’hui trouver d’autres candidats pour ces licenciements volontaires ? Peut-être par du harcèlement et de la désespérance poussant au suicide (chez Air France, plusieurs cas de harcèlements et de suicides sur le lieu de travail ont eu lieu ce dernières années à l’informatique, au siège...).
L’intersyndicale reste unie et appelle à poursuivre la mobilisation, s’engageant à refuser les négociations tant que les procédures judiciaires et disciplinaires ne seront pas arrêtées. Le jeudi 19 novembre, elle appelle à la grève et à un nouveau rassemblement à Roissy (93) devant le comité central d’entreprise, en prévision du tribunal du mercredi 2 décembre à Bobigny où nos camarades du cargo (fret aérien) passent en audience pour violences en réunion !
Correspondants
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 310 (05/11/2015).
Air France : Ce n’est qu’un début
Gouvernement et médias aimeraient que la situation à Air France retombe dans les ornières habituelles du « dialogue social », c’est-à-dire la soumission des syndicats aux exigences patronales. Mais ce n’est pas si facile de faire rentrer les salariéEs et l’intersyndicale dans ce chemin.
Le 22 octobre, malgré le déchaînement médiatique qui a suivi le 5 octobre, tous les syndicats d’Air France appelaient au rassemblement à côté de l’Assemblée nationale (même la CFDT… Seule la CGC était en dehors de l’appel). Celui-ci était très encadré, avec une tribune et des barrières. Le choix même du lieu laissait interrogatif : pourquoi rester sur la place et ne pas se diriger vers le lieu où se tenait le CCE à quelques centaines de mètres ? Cela correspond à l’orientation de la majorité de l’intersyndicale de « faire appel » au gouvernement, mais aussi à la volonté d’éviter une nouvelle confrontation.
La partie la plus militante voulait partir en manifestation vers le CCE. Cette proposition a même été faite à la tribune... Cela aurait permis de dynamiser la manif. Cependant, le caractère « bon enfant » du rassemblement n’efface pas la colère des salariéEs. L’accueil réservé aux interventions les plus dynamiques, dont celle d’Olivier Besancenot, en témoigne.
Ils ne lâchent rien...
Concernant les « discussions » qui seraient réouvertes à Air France, la situation est contradictoire. La direction affirme qu’elles ont repris pour montrer que le « dialogue social » continue. C’est une posture et une imposture, car, parallèlement, les PDG Gagey et De Juniac, ainsi que Broseta « la Chemise », viennent de réaffirmer que les 1 000 suppressions d’emploi étaient d’ores et déjà incompressibles.
La direction a plusieurs idées pour rogner sur les conditions de travail et les salaires, d’abord des navigants et demain, sûrement du sol. La première, largement médiatisée, concerne les « trois contrats de travail » évoqués par Broseta dans le Parisien. La direction proposerait un contrat permettant de gagner autant qu’aujourd’hui en volant plus, un autre permettant de gagner plus en volant (encore) plus mais avec une réduction du prix de l’heure de vol… et un autre pour voler autant qu’aujourd’hui… en gagnant moins ! Une triple arnaque en quelque sorte.
La direction a plein d’autres idées : flexibilité des plannings, blocage des salaires avec une prime « carotte » de performance, réduction au minimum des briefings avant vol grâce aux iPad… Et, évidemment, les sanctions et les poursuites continuent contre les manifestants du 5 octobre !
La direction a voulu se donner du jeu en prenant désormais pour échéance, non plus le 30 septembre, mais le 31 décembre espérant faire revenir dans le jeu habituel les directions syndicales. Malheureusement pour eux, entre-temps, le 29 octobre, la direction va devoir annoncer plusieurs centaines de millions d’euros de résultat d’exploitation positif pour le troisième trimestre (après avoir annoncé, il y a quelques jours, non pas une baisse d’activité mais une croissance du programme des vols de cet hiver). Et Broseta rend son tablier (après sa chemise...) à la fin du mois, remplacé par le directeur de cabinet de Valls. Leur timing est mal calibré !
Le 23 octobre, tous les syndicats, même la CGC et la CFDT, ont voté un droit alerte en CCE contre le plan Perform. Cela témoigne de la pression qu’exerce la mobilisation des salariéEs.
Nous non plus !
Le premier entretien préalable à sanction a eu lieu lundi matin, avec un rassemblement de 150 salariés de Roissy. Ces entretiens vont se poursuivre jusque début novembre et des débrayages sont prévus tous les jours pour soutenir les salariés (à l’appel au moins de la CGT, Sud et FO). Et le 2 décembre, 11 mis en examen comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bobigny.
Il est nécessaire de construire un large front politique, syndical et social, autour des inculpés, seulement coupables d’avoir défendu leur emploi et fustigés comme des criminels par les délinquants sociaux du patronat et du gouvernement.
Correspondants
* * Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 309 (29/10/2015).
Crise à Air France, crise en France ?
Le 5 octobre, les images des deux cadres s’enfuyant chemise arrachée ont provoqué une vague de jubilation dans de larges secteurs du monde du travail. Cette réaction est révélatrice d’une crise profonde des rapports sociaux, comme de la représentation politique quand face à des suppressions d’emplois en hausse constante, les deux options proposées aux salariés sont « fermez-la » (droite) ou « soyez d’accord » (gauche) pour toujours plus de chômage.
Ces images ont inévitablement évoqué la Révolution française, avec les nobles qui allaient à l’échafaud la chemise blanche déchirée. Les cadres escaladant les grillages rappellent aussi les refugiés passant les barrières pour fuir la misère. Pour une fois, la peur avait changé de camp.
Nos dominants gouvernant de plus en plus par la peur, ce camouflet est pour eux très inquiétant. Cela explique leur rage unanime et leur volonté d’écraser la rébellion : mises à pied sans solde de cinq salariés du sol et de deux pilotes, gardes à vue, menaces de prison et de licenciement – pour une simple chemise...
Le fort soutien populaire aux salariés d’Air France annonce-t-il un début de contre-offensive après plusieurs années de luttes partielles éclatées ? Il marque en tout cas la perception de plus en plus partagée PS = droite, ravageuse pour le parti au pouvoir. Les déclarations haineuses du premier ministre, traitant les salariés de voyous alors qu’il n’a que des mots doux pour les patrons qui spéculent, empochent et n’embauchent pas, ne font que la conforter. Valls a montré son vrai visage, mais du coup il perd en popularité. Hollande l’a senti, qui a essayé de s’en démarquer, suivi par Ségolène Royal qui dit qu’il ne faudrait pas de licenciements secs. Le bal des faux-culs a commencé... Mais il est révélateur d’une importante crise à venir.
Le mouvement à Air France n’est pas fini : le plan est reporté de trois mois, la direction est discréditée dans l’entreprise et l’Intersyndicale renforcée (fait historique depuis 40 ans, elle rassemble pilotes, hôtesses et stewards ainsi que personnels au sol).
Les deux seuls syndicats extérieurs à l’Intersyndicale font même du rétropédalage : la CFDT a été contrainte d’appeler au rassemblement devant l’Assemblée nationale qui a réuni 3000 salariés le 22 octobre. La CGC, qui était coupée en deux, avec son secteur navigant partie prenante de l’Intersyndicale et les cadres du sol qui soutenaient la direction, a fini par rejoindre les autres syndicats dans le vote unanime d’un droit d’alerte contre le plan Perform, adopté au comité central d’entreprise le jour même du rassemblement.
Car Air France fait des bénéfices… mais en veut toujours plus. Rappelons que pour un chiffre d’affaires de 25 milliards, elle dispose d’un résultat opérationnel de 2 milliards. Il est vrai que ses besoins de financement sont colossaux pour l’achat d’avions, mais aussi et surtout pour mener la guerre économique avec les mastodontes du transport aérien et pour rétribuer ses actionnaires dans un secteur en pleine croissance, dopé par la baisse du prix du pétrole.
Les travailleurs du cargo (fret) d’Air France ont été à l’avant-garde le 5 octobre, confortés par une manifestation de 1500 salariés regroupant fraternellement toutes les corporations. Désignés ces dernières années comme coûtant le plus cher dans la compagnie, ils étaient les plus menacés et avaient le plus payé. Ils ne sont pas tombés dans le piège que la direction leur tendait, consistant à désigner cette fois les pilotes – après, cela aurait été au tour des hôtesses et
stewards, puis des escales de province...
Le cargo, ce sont ceux qui avaient démarré le mouvement historique d’octobre 1993, rejoints ensuite par les salariés de l’entretien puis des aéroports. Cette grève qui paralysa les aéroports parisiens pendant deux semaines, reçut un large soutien populaire et finit par faire tomber le PDG, avait aussi été annonciatrice du grand mouvement de novembre-décembre 1995.
L’écho incroyable de l’action du 5 octobre le prouve, de grands mouvements sont à venir. Au NPA d’y contribuer, en continuant à inventer une nouvelle représentation politique des salariés et des opprimés A nous d’étendre la lutte à Air France et dans tout le pays : pour des emplois dignes et des salaires corrects, contre la division des travailleurs, pour virer ces patrons voyous et faire échec à la répression en interdisant toute sanction.
Une échéance importante sera la mobilisation devant le tribunal correctionnel de Bobigny, le 2 décembre prochain, en soutien aux salariés d’Air France mis en examen. Cela doit être une mobilisation sociale et politique de toutes et tous.
Joël Le Jeannic
* Paru dans la Revue L’Anticapitaliste n°70 (novembre 2015).
Air France, solidarité
Un beau rassemblement à proximité de l’Assemblée nationale en soutien aux 5 salariés d’Air France mis en examen suite aux bousculades à l’occasion du Comté central d’entreprise, le 5 octobre. Parmi les 2000 manifestantEs, une large majorité de salariéEs d’Air France, toutes professions réunies. Pilotes, hôtesses, personnels au sol échangent leurs colères avec les militantEs venuEs les soutenir. Une colère alimentée par le rappel des mises en examen, des sanctions et surtout le maintien de l’annonce le matin même devant le CCE de 1000 suppressions de postes dans le cadre du « plan A à l’origine de la mobilisation des salariéEs de la compagnie.
De nombreuses délégations venues des quatre coins de l’Ile de France sous les banderoles et les drapeaux de la CGT, de Solidaires, de FO, de l’UNSA , quelques délégations de régions proches dont les militantEs CGT de Renault Cléon. Après les interventions de tous les syndicats de l’entreprise, les représentants des confédérations ont réaffirmé leur soutien à celles et ceux d’Air France, contre les suppressions d’emplois, contre répression. Le rassemblement s’est terminé par des prises de paroles des organisations politiques LO, Nouvelle Donne, Front de Gauche et PCF et une mention particulière pour Olivier Besancenot, porte-parole du NPA , ovationné pour les interventions dans les médias en défense inconditionnelle des otages contre les patrons voyous et leurs adjoints sans chemises.
Jeudi 22 octobre 2015
Colère sur le tarmac
« Air France, c’est nous », récité par le DRH Xavier Broseta, encore tremblant, une hôtesse et un pilote, et surtout des cadres avec des sourires publicitaires. Aucun salarié de l’industriel ou du cargo, désormais classés parmi les voyous ! La triste vision d’Air France montée par un service de « com » en déroute. La « com » Air France ? C’est LE secteur qui a vu son budget augmenter (+ 19 millions d’euros) avec l’arrivée de Alexandre de Juniac, secteur dirigé par une ancienne conseillère de Juppé quand il était ministre, avec ses collègues où l’on retrouve aussi une ancienne conseillère de Copé...
Des économies réalisées depuis 2012 ? Pas pour tout le monde : les 10 plus hauts salaires ont augmenté de 19 % entre 2012 et 2014... Et encore, De Juniac n’est pas inclus car il émarge à la Holding AF/KLM... Par ailleurs, il touche aussi de gros dividendes de par sa participation au conseil de surveillance de Vivendi où il a suivi la fusion SFR Numéricable, car il a du temps libre, lui, pour s’occuper de la téléphonie mobile en plus des problèmes d’Air France. Cela sans parler de sa fameuse conférence à Royaumont avec le Medef sur la relativité des droits sociaux, le travail des enfants à réhabiliter, et les bonnes blagues avec son collègue du Qatar sur le droit de grève...
Avant le 5 octobre, quel contexte ?
Un premier plan Transform en 2011, que CFDT, FO, UNSA et CGC ont signé « pour sauver les emplois ». Un plan qui entérine des milliers de départs volontaires, et donc une augmentation de la charge pour ceux qui restent, avec des attaques importantes : perte de l’ancienneté à venir pour les jeunes, blocage des salaires pour 4 ans, perte de jours de congés, une dizaine de jours travaillés en plus par an... avec le scénario-fiction, seulement dénoncé par Sud Aérien, d’une compagnie soi-disant au bord de la faillite...
Quatre ans plus tard, Air France/KLM, cinquième groupe mondial a augmenté ses profits, diminué sa dette de crédits de 2 milliards, réalisé plus de 2 milliards de nouveaux investissements, mais ce n’est pas assez ! Il faut devenir l’un des trois premiers mondiaux... Pas mal pour une compagnie soi-disant en faillite virtuelle !
Cette fois, pour son nouveau plan, Perform, la direction s’est heurtée à une large intersyndicale qui a mobilisé pour ce fameux comité central d’entreprise qui se tenait lundi 5 octobre. Pendant toute cette période, les rumeurs les plus folles ont couru dans l’entreprise, le plus souvent véhiculées par des dirigeants syndicaux, annonçant jusqu’à 8 000 licenciements. Des rumeurs à chaque fois plus ou moins démenties par la direction qui se veut rassurante : si vous signez, rien de tout cela n’arrivera et l’avenir sera radieux… Mais il faut que les pilotes commencent par signer les accords !
Ce qui s’est passé ce jour-là...
Le plus important est que beaucoup de monde a répondu à l’appel de tous les syndicats de navigants (dont l’UNAC, lié pourtant à la CGC en dehors de l’intersyndicale), et au sol, de la CGT, Sud Aérien, FO, UNSA et CFTC.
Le CCE s’est tenu dans un siège social facilement envahi par la pression des 3 000 manifestantEs : grilles qui sautent, faibles forces de l’ordre, portillons automatiques débloqués par les services de sécurité, etc. La direction avait changé la disposition de la salle pour pouvoir s’enfuir rapidement par une porte dérobée : elle se souvenait de février 2012 où, devant l’annonce du plan Perform, les salariéEs avaient déjà envahi le CCE bloquant les dirigeants au fond de la salle pendant une heure. À l’époque, ils avaient dû sortir penauds au milieu d’une haie d’honneur qui les conspuaient. Là, ils ont voulu éviter la répétition de ce scénario... Les dirigeants CGT aussi, qui ont donc prévenu le PDG de l’arrivée des manifestantEs ! De Juniac, le super PDG du groupe, n’était pas là. La direction a donc annoncé son plan B par la voix du PDG d’Air France, Frédéric Gagey, qui s’est ensuite prudemment barré dès que la CGT lui a annoncé la venue des manifestantEs. Le DRH et le cadre responsable du long courrier s’apprêtaient à le suivre, quand les salariéEs, comprenant que la direction se barrait à nouveau en laissant planer toutes les menaces, se sont interposés. C’est en essayant de forcer le passage avec leurs vigiles que les cadres ont déchiré leur veste et perdu leur chemise. Les images sont claires, aucun coup n’a été porté.
La direction en panique s’est donc enfuie, donnant à voir les belles images diffusées sur toutes les chaînes. Elle pensait pouvoir s’éclipser, laissant les personnels seuls dans la salle et escomptant éventuellement quelques affrontements entre personnel au sol et de vol. Et de nombreux journalistes avaient été conviés à la fête...
Ensuite, sur l’air de Zebda, les salariéEs sont partis en manifestation joyeuse vers l’aérogare, où les forces de l’ordre se livreront encore à quelques provocations avec des gaz lacrymogènes... Une grosse manifestation de plus de 2 000 salariéEs, et une ambiance fraternelle entre toutes les corporations, à rebours du discours de la direction et de certains syndicats désignant les navigants comme des privilégiés. La vidéo d’une salariée du hub, diffusée largement sur les réseaux sociaux, est éloquente. Des images passées en boucle qui ont rencontré l’adhésion des salariéEs de l’entreprise. Et le lendemain, tous les salariéEs avaient la banane.
« La chemise » fait réagir
Les salariés étaient globalement heureux, même s’ils ont eu peur des représailles frappant des manifestantEs.
Au niveau politique, le Front national a retrouvé ses fondamentaux : « le pourrissement de la situation va se traduire inévitablement par des débordements de plus en plus nombreux, comme l’agression ce jour de membres de la direction d’Air France, acte aussi inadmissible que condamnable ».
La droite crie à la chienlit et aux enragés et, en écho, Valls crie aux « voyous », suivi par Macron qui, des USA où il se trouve alors, a dénoncé des salariés « stupides » (au cas où on n’aurait pas compris que lui est intelligent...).
Seuls le NPA et Lutte ouvrière ont immédiatement soutenu les salariéEs dès ce lundi 5 octobre. Jean-Luc Mélenchon, comme Clémentine Autain pour Ensemble, soutiendront les salariéEs les jours suivants. Par contre, Pierre Laurent du PCF est encore en demi-teinte, suivant l’attitude de la plupart des syndicats d’Air France (CGC, CFDT, FO, SNPL...) effrayés par ce mouvement où la base prend des initiatives non prévues : « Évidemment, on peut condamner, regretter les actes commis. Mais il faut mettre tout sur la table dans ce cas et aussi l’attitude scandaleuse et méprisante de la direction », déclara-t-il le mardi 6 octobre.
Le soir du 5 octobre, la CGT Air France a diffusé un tract où elle « condamne les agressions physiques qui ont eu lieu ce jour. la CGT condamne tout aussi fermement l’attrition et les licenciements que la direction s’apprête à mettre en œuvre ». Pourtant, avec d’autres, c’est une partie de la base CGT qui a été active dans ces événements. Seul SUD Aérien ne s’est pas joint à cette condamnation de l’action des manifestants.
Heureusement, le Secrétaire général de la CGT, Martinez, a été un peu meilleur le mercredi 7 : « nous ne cautionnons pas ce genre d’incidents » mais « je refuse de condamner ».
Écho mondial et soutien populaire
Pourquoi un tel écho, un tel soutien populaire... et une telle haine de tous les journalistes à la radio et à la télé ?
Ces images ont immanquablement évoqué le spectre de la Révolution française, avec ses nobles qui allaient à l’échafaud tête nue, chemise découpée et conspués par le peuple. Le soutien populaire qu’elles ont rencontré montre bien le degré d’exaspération des salariéEs. Même déformés, les sondages illustrent bien que, malgré cette criminalisation venant des médias et des dirigeants des partis (de l’extrême droite au PS), l’action des grévistes a rencontré un soutien majoritaire parmi les salariéEs du pays.
Parmi les manifestants du 5 octobre, dans les premières lignes, se trouvaient des salariéEs des secteurs les plus menacés : salariés de la piste (assistants au sol), des aérogares, du cargo, du passage (embarquement, débarquement) confrontés à la violence de passagers mécontents, aux horaires décalés, 7 jours sur 7, avec de petits salaires, souvent entre 1 500 et 2 000 euros au bout de dizaines d’années de travail... Des salariés menacés de voir leur métier passer à la sous-traitance.
La sous-traitance, ce sont des dizaines de petites entreprises rattachées à des groupes souvent internationaux (Derichebourg, WFS, Swissport, Veolia, Servisair, Geodis, ONET, etc.) qui s’échangent les contrats des donneurs d’ordre ( notamment Air France et ADP) tous les 1 à 2 ans, remettant à chaque fois en cause les quelques acquis, cela avec une loi anti-grève – la loi Diard, votée sous Sarkozy et maintenue par le PS – qui oblige à se déclarer 48 heures à l’avance et permet ainsi à la direction d’organiser le remplacement des grévistes.
Ce ne sont pas les jeunes salariéEs qui étaient les plus combatifs ce 5 octobre, mais des salariés plus âgés, confrontés à la peur de perdre leur emploi, à l’image de cette agente d’exploitation commerciale dont les images sont passées en boucle sur les réseaux sociaux.
Interpellations et réaction
Ce lundi 12 octobre, 300 salariéEs se sont rapidement mobilisés, avec le soutien de la CGT, Sud et FO, en solidarité avec leurs camarades interpellés et gardés à vue comme des criminels. La direction provoque et met volontairement de l’huile sur le feu.
Et, par ailleurs, elle bafouille concernant les négociations. Recevant en bilatéral chaque syndicat, elle cherche la faille pour reprendre la main. Une intersyndicale s’est réunie le mardi 13 octobre.
Loin de se laisser intimider par la campagne menée contre les salariéEs, il est vital de pousser l’avantage, et d’appeler rapidement à une nouvelle mobilisation de toutes les catégories d’Air France, au plus tard pour le prochain CCE qui doit se tenir le jeudi 22 octobre.
Correspondants
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 307 (15/10/2015).