Homo sapiens n’aurait-il atteint l’ultime degré de l’évolution que pour scier la branche sur laquelle il est assis, après avoir coupé celles alentour ? L’idée n’est pas nouvelle, mais le livre consacré par la journaliste américaine Elizabeth Kolbert à la « 6e extinction », confirme sa pertinence. Sous-titré Comment l’homme détruit la vie dans sa version française, l’ouvrage lui a valu le prix Pulitzer 2015. Il constitue une formidable « histoire non naturelle » – son sous-titre anglais – qui rappelle que nous sommes bel et bien entrés dans l’anthropocène, une ère géologique façonnée par l’homme, avec des conséquences tragiques pour le reste du monde vivant.
Elizabeth Kolbert prend soin tout d’abord de raconter comment les savants en sont venus à l’idée d’extinction de masse – l’avant-dernière, causée par la chute d’une météorite géante, remonte à 65 millions d’années. Elle fait (re) vivre Cuvier, Lamarck, Lyell, Wallace et, bien sûr, Darwin, mais aussi plus récemment les Alvarez père et fils, figures centrales de tout récit sur les origines et sur quelques fins précipitées (cinq ont eu lieu depuis 445 millions d’années).
Mais bien vite, la journaliste scientifique en vient au cœur de son sujet : cette fois, « le cataclysme, c’est nous », comme elle l’indiquait dans un article de 2009 où elle décrivait la disparition des grenouilles sous l’effet d’un champignon transporté par l’homme d’un continent à l’autre. Cet article du New Yorker, et d’autres publiés depuis, constituent la trame d’un livre foisonnant.
Déclin sans précédent de la biodiversité
Chaque chapitre fait référence à une espèce disparue, ou en voie d’extinction : ammonites, grand pingouin, rhinocéros de Sumatra, vespertilion brun (une chauve-souris), pour finir par Homo neanderthalensis puis Sapiens… Chacune illustre la façon dont les activités humaines précipitent un déclin sans précédent de la biodiversité, que ce soit en réchauffant l’atmosphère, en acidifiant les océans, en détruisant les forêts, ou simplement en les morcelant, en favorisant la circulation d’espèces invasives.
A travers ses reportages, Elizabeth Kolbert rend accessibles les principales notions et méthodes de l’écologie scientifique. Elle nous emmène sur le terrain, dans les forêts humides du Panama, dans des mines désaffectées nord-américaines, sur un îlot désolé d’Islande, au bord des eaux encore limpides de la Grande Barrière de corail, sur une parcelle d’Amazonie, ou dans la galerie de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle à Paris. On en revient chaque fois avec de mauvaises nouvelles.
« Bien qu’il soit plaisant d’imaginer un temps où l’homme aurait vécu en paix avec la nature, il n’est pas certain qu’il ait jamais existé », rappelle Elizabeth Kolbert. On la sent tentée, comme les chercheurs qu’elle met en scène, aux premières loges du désastre, de s’accrocher à la formule d’Hölderlin, « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Mais pour nombre de nos colocataires sur cette planète, il est déjà trop tard…
Hervé Morin
Pôle Science et Médecine du Monde