Pablo Solon dirige aujourd’hui la fondation Solon, qu’il a créée en hommage à son père, le muraliste Walter Solon, fondation impliquée notamment dans les luttes climatiques, culturelles et sociales en Bolivie.
Dans le cadre d’une tournée de rencontres en Europe autour de la question du climat, il est intervenu à Paris le mardi 27 octobre et a bien voulu répondre à nos questions.
Pourquoi t’es-tu éloigné d’Evo Morales dont tu étais un des très proches ?
Pablo Solon – Notre rupture politique est consécutive à des décisions de son gouvernement que je rejette. D’abord la volonté de construire une route à travers le Parc national de Tipnis, un des 22 parcs boliviens. Cette route non seulement aurait conduit à détruire la forêt, modifiant son écosystème et recréant automatiquement des cultures et de l’habitat dans des zones préservées, mais, de plus, aucune concertation ni information des peuples autochtones concernés n’avaient été faites. C’était une décision régalienne dans le cadre d’une stratégie sous influence de groupes économiques privés.
Ensuite, je me suis engagé contre les projets de grands barrages, coûteux et destructeurs de la nature. La Bolivie est un pays qui a un ensoleillement exceptionnel sur les hauts plateaux : on pourrait y développer la production d’énergie solaire, remplaçant à la fois les barrages et la déforestation.
Aujourd’hui je lutte pour l’objectif de zéro déforestation en 2020, pour le développement d’une énergie solaire produite par les consommateurs eux-mêmes – et non pour des champs de panneaux entre les mains du privé – et pour une participation sociale de toutes les communautés, notamment les peuples autochtones.
La déforestation est un des problèmes majeurs de l’Amérique latine ?
Oui, non seulement la déforestation détruit la forêt primaire (160 000 hectares par an en Bolivie), spolie les peuples indigènes, essentiellement pour planter du maïs pour l’exportation, mais, de plus, les brûlis et leur enfouissement sont responsables de 24 % des émissions de CO2.
La déforestation est un de mes points de désaccord avec le gouvernement actuel qui développe une stratégie de développement fondée sur « la croissance », non respectueuse des droits des peuples et sous influence des multinationales.
Comment analyses-tu la succession des COP successives, et leur impossibilité à agir vraiment ?
Pour résumer le processus, on peut dire qu’il y a eu d’abord en 1992 la Convention de l’ONU sur le climat, UNFCCC, première étape d’une volonté internationale de comprendre et de lutter contre la dégradation du climat. Ensuite il y a eu deux accords : Kyoto, portant sur la période 2000-2012 et Cancun, portant sur la période 2013-2020. Et il y aura Paris pour la période 2021-2030...
Chacun de ces accords est une version affaiblie des précédents. Kyoto engageait les États qui l’avaient signé (ce qui n’incluaient pas notamment les États-Unis et le Canada). Cancun a été un échec car pour limiter la croissance de la température à 2 °C, l’accord prévoyait de limiter les émissions de CO2 à 44 gigatonnes et d’atteindre 35 GT en 2030. En réalité les émissions ont atteint 53 GT en 2013, et vont atteindre 56 GT en 2020 et 60 GT en 2030 ! Il devait y avoir en 2014 une « picking year », année où la tendance s’inversait, mais en réalité, la croissance des émissions continue.
Paris est encore pire : l’accord annoncé est encore plus faible, il n’imposera aucun engagement aux signataires et les États-Unis ont déjà indiqué qu’ils ne le proposeraient pas à la ratification du congrès. La raison de cet échec annoncé est simple : au début, les négociateurs venaient des mouvements environnementaux, mais aujourd’hui, ils viennent du business, des multinationales. C’est un accord pour brûler la planète !
Le projet d’accord tel qu’il a été annoncé ne fait pas référence à la limitation des énergies fossiles. Or, ce sont ces dernières qui en Bolivie sont responsables de 60 % des émissions de CO2, et 24 % du CO2 est dû à la déforestation qui produit aussi beaucoup de méthane.
Cet accord ouvre en fait sans le dire la porte à toutes les expériences de capture du carbone et à la géo-ingénierie. C’est un accord qui n’est bon que du point de vue des entreprises.
Qu’est il prévu au sujet des États du Sud et des financements ?
Les accords précédents avaient prévu de débloquer 100 milliards de dollars d’ici à 2020 pour soutenir les pays du Sud et leur permettre d’éviter les voies empruntées au Nord. Mais depuis Copenhague en 2009, les pays les plus riches n’ont pas versé ces fonds et essaient de mobiliser des financements privés.
Hormis quelques exceptions comme les États insulaires menacés de disparition, les États du Sud eux-mêmes ne font pas d’efforts. Ils considèrent qu’ils ne sont pas responsables de la situation, attendent d’éventuels financement pour agir, et sont dans le même processus de « croissance » imposé par les grandes entreprises auxquelles ils ont lié leur destin.
La COP va renforcer le processus de crime climatique, légaliser le crime contre le climat, contre les migrants climatiques, contre les peuples indigènes des zones rurales et des pays insulaires.
Comment pouvons-nous réagir ?
Pendant la COP, il va y avoir d’importants rassemblements, mais il est à redouter qu’ils soient détournés et récupérés par le gouvernement français et les États participants à la COP en leur faveur.
Un tribunal international des droits de la nature va se réunir le vendredi 4 décembre pour juger le crime contre la nature et la biodiversité [1]. Et après le 12 décembre nous devrons mettre au point des stratégies locales pour affronter le crime climatique.
Nous allons devoir donner l’exemple, développer des actions locales et concrètes, telles celles qui ont déjà fait leurs preuves en Bolivie quand les habitants ont réussi à évincer le groupe Suez de la gestion de l’eau en bloquant les rues. Chacun doit prendre sa part.
Interview réalisée par la commission nationale écologie du NPA