Mardi 24 novembre, Daech a frappé en plein cœur de la capitale, tuant 12 membres de la Garde présidentielle et blessant une vingtaine d’autres personnes. En ciblant un corps sécuritaire d’élite, Daech a voulu terroriser la population en cherchant à démontrer que personne ne devait désormais se sentir à l’abri.
Cet acte intervient 11 jours après la sinistre soirée du vendredi 13 novembre qui avait déjà fortement ébranlée les Tunisien-ne-s :
– chacun d’entre eux a en effet au moins un proche en France, et deux Tunisiennes figuraient d’ailleurs dans la liste des victimes ;
– le même jour, dans une région pauvre de l’intérieur de la Tunisie, un jeune berger était décapité de façon particulièrement atroce.(1)
Le massacre du 24 novembre intervient dans une période où le mouvement social était en plein essor après plusieurs années de recul et de déceptions :
Depuis un an en effet, les luttes ont atteint un niveau rarement atteint, avec par exemple :
– trois mois de blocage du bassin minier de Gafsa par des jeunes chômeurs revendiquant un emploi,
– plus de six mois de luttes résolues dans le secteur public pour mettre un terme à la dégradation continuelle du pouvoir d’achat.
Une série d’avancées avaient été arrachées pour les salarié-e-s du public et, dans la foulée, l’UGTT avait programmé dans le secteur privé un cycle national de grèves régionales entre le 19 novembre et le 1er décembre.
La première étape a eu lieu le 19 novembre avec une grève, a environ 90 % dans les 164 plus grandes entreprises privées de la région de Sfax. Les grévistes avaient reçu le renfort de salariés du public ayant débrayé en solidarité. Le rassemblement et la manifestation ont connu une participation comparable à la grève générale régionale ayant précédé la chute de Ben Ali.
Coïncidence du calendrier ou intention délibérée, la seconde étape du cycle de grèves dans le privé devait normalement avoir lieu dans le Grand Tunis le 25 novembre. Mais suite à l’attentat survenu la veille vers 17h, l’UGTT a reporté cette grève et les suivantes.
Dès le 24 au soir, le pouvoir a par ailleurs réinstauré l’état d’urgence qu’il avait été contraint de lever suite aux mobilisations de début septembre contre le projet de loi de blanchiment des corrompus de l’ancien régime.
Cette chape de plomb sécuritaire a même été renforcée avec l’instauration du couvre-feu de 21h à 5h du matin dans la région de Tunis. Comme le font Hollande et Valls en France, le pouvoir tunisien utilise les menées terroristes pour empiéter sur les droits démocratiques.
Il est trop tôt pour connaitre l’effet de la situation actuelle sur les luttes en cours.
Néanmoins, certains signes montrent que la population n’est pas prête à se laisser intimider par le totalitarisme islamiste, ni par l’état d’urgence :
– Les amoureux du cinéma, et notamment beaucoup de jeunes, se sont rendus en masse dès le 25 aux projections organisées à Tunis dans le cadre du très populaire festival cinématographique annuel que les organisateurs avaient refusé d’annuler malgré les pressions du pouvoir. Par ailleurs, profitant du retour du soleil, les terrasses des cafés avaient retrouvé à peu près leur animation habituelle.
– Malgré l’état d’urgence, le rassemblement hebdomadaire du mercredi pour exiger la vérité et la justice sur l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi avait par ailleurs été maintenu le 25 par les organisateurs. Les participant-e-s se sont rendus en cortège jusqu’au lieu où avait eu lieu l’attentat de la veille.
Tunis, le 26 novembre 2015
Traduction en castillan sur Viento Sur http://vientosur.info/spip.php?article10739
Note :
Témoignage suite à la décapitation de Mabrouk Soltani par Daech, le 13 novembre
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36457
Vidéo en arabe (sous-titrée en français) http://alencontre.org/video/daech-frappe-aussi-en-tunisie.html