Lettre ouverte au Président de la République
Paris, le 02 décembre 2015
Objet : Projet de directive européenne sur le secret des affaires
Monsieur le Président de la République,
Un projet de directive européenne sur le secret des affaires est actuellement en débat au niveau européen. Proposé par la commission, ce projet de directive sera soumis aux députés européens en séance plénière probablement avant la fin de l’année 2015. La discussion a actuellement lieu en « trilogue » pour accorder les positions de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. La France devra donc faire part de sa position, qui sera déterminante pour les arbitrages sur ce projet de directive.
Alors que les enjeux de cette directive sur les droits individuels et collectifs des salariés sont considérables, ni les organisations syndicales, ni les ONG n’ont été formellement consultées sur la question. Eurocadres, la CES, la CEC et de nombreuses organisations syndicales nationales et ONG ont pourtant, depuis le début de la procédure, émis de multiples réserves qui n’ont pas été entendues. De nombreuses initiatives ont été prises pour alerter sur ces dangers, et notamment un appel européen intitulé « Stop Trade Secrets » [voir ci-dessous] qui a été signé par 67 organisations issues de 11 pays européens, ou encore une pétition initiée en France par la journaliste Elise Lucet qui a reçu plus de 430 000 signatures [voir ci-dessous].
Ce projet de directive menace les droits fondamentaux et fait primer le droit des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques. Si Le but affiché de la directive est la production d’une définition commune du secret des affaires pour protéger les opérateurs économiques face à la concurrence déloyale, cette directive est dangereuse à plusieurs titres. D’abord, la définition du secret des affaires est large et floue et concerne l’intégralité des informations confidentielles. Ensuite, l’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues, quelle que soit la diffusion qui en serait faite et quel que soit l’objectif de cette diffusion.
Dans la vie quotidienne, cette directive peut limiter la mobilité des salariés. Le Conseil européen propose notamment de permettre aux entreprises de poursuivre leurs salariés devant les tribunaux pendant 6 ans, ce qui revient à leur imposer des clauses de non concurrence les empêchant d’utiliser leurs savoir-faire auprès de leur nouvel employeur. De même, pour ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux des représentants des travailleurs. Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques…, nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les pratiques abusives des actionnaires. Avec ce projet de directive, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes risquent désormais d’être poursuivis par la justice, à l’image de ce qui arrive à Antoine Deltour (pourtant décoré du prix de Citoyen Européen) et Edouard Perrin (qui a fait son travail de journaliste) dans l’affaire LuxLeaks.
Aucune exception générale n’est prévue dans le texte pour protéger l’action des journalistes d’investigation, des organisations de la société civile ou encore des lanceurs d’alerte. Aucune exception non plus sur les droits fondamentaux, en particulier en matière de santé et d’environnement.
Les fameuses « données à caractère commercial » qui seraient protégées par le secret des affaires, et dont la divulgation serait passible de sanctions pénales, relèvent très souvent de l’intérêt général supérieur pour le public. Ce fut le cas, par exemple, pour les montages fiscaux et financiers négociés entre plusieurs grands groupes et l’administration fiscale du Luxembourg (cf. scandale Luxleaks), ou pour les données d’intérêt général relatives à la santé publique, ou encore pour celles liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs dans le secteur de l’industrie chimique et qui seraient dans leur globalité considérées comme secrètes, et soustraites ainsi à toute transparence.
Enfin, la directive européenne prévoit en cas de procédure devant les juridictions civiles ou pénales une restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou après l’action en justice pour protéger le secret des affaires. Il s’agit d’une grave remise en cause de l’égalité devant la loi - l’ensemble des parties n’ayant plus accès au dossier - et de la liberté d’informer.
En matière de liberté d’expression et de respect des droits humains, la France se doit d’être exemplaire. La position de la France doit faire écho aux inquiétudes portées par l’ensemble des organisations syndicales françaises, de nombreuses ONG et journalistes, et des centaines de milliers de citoyens français. Les députés européens ont déjà fait adopter quelques amendements limitant les dangers de ce projet. Monsieur le Président de la République, nous comptons sur vous pour stopper les menaces contre la transparence et la démocratie contenues dans cette directive européenne secret des affaires.
• Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart
• Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa
• Bertrand Bocquet, président de la Fondation Sciences Citoyennes
• Florian Borg, président du Syndicat des Avocats de France
• William Bourdon président de Sherpa
• Vincent Brossel, directeur de Peuples Solidaires-actionAid
• Michel Capron, président du Forum Citoyen pour la RSE
• Thomas Coutrot, porte-parole d’ATTAC France
• Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC
• Chantal Cutajar, présidente de l’Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière Internationale
• Antoine Deltour, lanceur d’alerte, affaire LuxLeaks
• Françoise Dumont, présidente de la LDH
• Guillaume Duval, président du Collectif Ethique sur l’Etiquette
• Gérard Fourgeaud, secrétaire général de l’Union Syndicale des Journalistes CFDT
• Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégué-es généraux de l’Union syndicale Solidaires
• Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
• Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen
• Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de la CGT des Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT)
• Vincent Lanier, premier Secrétaire général du syndicat national des journalistes
• Daniel Lebègue, président de Transparency International
• Françoise Martres, presidente du Syndicat de la magistrature
• Eric Peres, secrétaire général de FO Cadres
• Jean-Christophe Picard, Président d’Anticor
• Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre Solidaire
• Benjamin Sonntag, cofondateur de la Quadrature du net
• Henri Sterdyniak, co-animateur des Économistes atterrés
• Fabrice Tarrit, président de Survie
• Jean-Pierre Therry, secrétaire général de la CFTC-Cadres
• Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes CGT
• Lucie Watrinet, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires
Stop Trade Secrets
Le projet de directive relative au secret des affaires, qui sera soumis au vote de la commission des affaires juridiques du Parlement européen en mai prochain, menace les droits fondamentaux et fait primer les profits des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques. Le but affiché de la directive est la production d’une définition commune du secret des affaires pour assurer que la compétitivité des activités européennes et des organismes de recherche, – basée sur le savoir-faire et sur des informations non révélées – soit correctement protégée
Cette directive est dangereuse à plusieurs titres. D’abord, la définition du secret des affaires est large et floue et concerne toutes les informations confidentielles. Ensuite, l’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues, quelque soit la diffusion qui en serait faite et quel que soit l’objectif de cette diffusion.
Alors que les enjeux de cette directive sur les droits individuels et collectifs des salariés sont considérables, elle ne relève pas du dialogue social européen. Par conséquent, ni les organisations syndicales, ni les ONG n’ont été formellement consultées sur la question.
Eurocadres, la CES, et de nombreuses organisations syndicales nationales et ONG ont pourtant, depuis le début de la procédure, émis de nombreuses réserves qui n’ont pas été entendues, notamment sur la mobilité des travailleurs, la fragilisation des représentants du personnel, des lanceurs d’alerte et de la liberté de la presse.
Dans la vie quotidienne, cette directive peut limiter la mobilité des salariés en leur imposant des clauses de non concurrence les empêchant d’utiliser leurs savoir-faire auprès de leur nouvel employeur. De même, pour ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux des représentants des travailleurs, l’acquisition et la révélation de « secrets d’affaires » ne sont pas exclus du champ de l’acquisition illégale.
Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques…, nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les pratiques abusives des actionnaires. Avec ce projet de directive, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes travaillant au service de l’intérêt général risquent désormais d’être poursuivis par la justice.
Le droit à la liberté d’expression et d’information pourrait être sérieusement affecté. Aucune exception générale n’est prévue dans le texte pour protéger l’action des journalistes d’investigation, des organisations de la société civile ou encore des lanceurs d’alerte, alors que leur travail est indispensable dans une démocratie moderne digne de ce nom. Aucune exception non plus sur les droits fondamentaux, en particulier en matière de santé et d’environnement.
Les fameuses « données à caractère commercial » qui seraient protégées par le secret des affaires, et dont la divulgation serait passible de sanctions, relèvent très souvent de l’intérêt général supérieur pour le public. Ce fut le cas, par exemple, pour les montages fiscaux et financiers négociés entre plusieurs grands groupes et l’administration fiscale du Luxembourg (cf. scandale Luxleaks), ou pour les données d’intérêt général relatives à la santé publique, obtenues notamment lors des essais cliniques organisés par les laboratoires pharmaceutiques. C’est également le cas pour toute une série de données liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs dans le secteur de l’industrie chimique et qui seraient dans leur globalité considérées comme secrètes, et soustraites ainsi à toute transparence.
Enfin, la directive européenne prévoit en cas de procédure devant les juridictions civiles ou pénales une restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou après l’action en justice pour protéger le secret des affaires. Il s’agit d’une grave remise en cause de l’égalité devant la loi – l’ensemble des parties n’ayant plus accès au dossier – et de la liberté d’informer. D’ailleurs la publicité des débats judiciaires est protégée par la Constitution de nombreux Etats membres de l’Union européenne.
Le gouvernement français, après avoir essayé d’anticiper l’adoption de la directive, a été contraint de reculer face à la mobilisation et de reconnaître que le secret des affaires menaçait la liberté d’expression dans et en-dehors de l’entreprise. Pourquoi ce qui est vrai en France ne le serait pas à l’échelle européenne ? Nous faisons appel aux députés et gouvernements européens pour qu’ils revoient leur copie.
On pourrait considérer comme nécessaire et légitime de protéger les opérateurs économiques face à la concurrence déloyale, certainement pas de soustraire une telle masse d’informations de toute forme de débat public et du champ de la transparence. Nous refusons la criminalisation du travail des lanceurs d’alerte, des syndicalistes et des journalistes. Stoppons les menaces contre la transparence et la démocratie contenues dans cette directive européenne Secret des affaires !
http://stoptradesecrets.eu/fr/
Ne laissons pas les entreprises dicter l’info - Stop à la Directive Secret des Affaires !
Pétition initiée par Elise LUCET France
Bientôt, les journalistes et leurs sources pourraient être attaqués en justice par les entreprises s’ils révèlent ce que ces mêmes entreprises veulent garder secret. A moins que nous ne réagissions pour défendre le travail d’enquête des journalistes et, par ricochet, l’information éclairée du citoyen.
Sous couvert de lutte contre l’espionnage industriel, le législateur européen prépare une nouvelle arme de dissuasion massive contre le journalisme, le « secret des affaires », dont la définition autorise ni plus ni moins une censure inédite en Europe.
Avec la directive qui sera bientôt discutée au Parlement, toute entreprise pourra arbitrairement décider si une information ayant pour elle une valeur économique pourra ou non être divulguée. Autrement dit, avec la directive « Secret des Affaires », vous n’auriez jamais entendu parler du scandale financier de Luxleaks, des pesticides de Monsanto, du scandale du vaccin Gardasil... Et j’en passe.
Notre métier consistant à révéler des informations d’intérêt public, il nous sera désormais impossible de vous informer sur des pans entiers de la vie économique, sociale et politique de nos pays. Les reportages de « Cash Investigation », mais aussi d’autres émissions d’enquête, ne pourraient certainement plus être diffusés.
Avec ce texte, un juge saisi par l’entreprise sera appelé à devenir le rédacteur en chef de la Nation qui décide de l’intérêt ou non d’une information. Au prétexte de protéger les intérêts économiques des entreprises, c’est une véritable légitimation de l’opacité qui s’organise.
Si une source ou un journaliste « viole » ce « secret des affaires », des sommes colossales pourraient lui être réclamées, pouvant atteindre des millions voire des milliards d’euros, puisqu’il faudra que les « dommages-intérêts correspond(ent) au préjudice que celui-ci a réellement subi ». On pourrait même assister à des peines de prison dans certains pays.
Face à une telle menace financière et judiciaire, qui acceptera de prendre de tels risques ? Quel employé - comme Antoine Deltour à l’origine des révélations sur le le scandale Luxleaks - osera dénoncer les malversations d’une entreprise ? Les sources seront les premières victimes d’un tel système, mais pas un mot ne figure dans le texte pour assurer leur protection.
Les défenseurs du texte nous affirment vouloir défendre les intérêts économiques des entreprises européennes, principalement des « PME ». Étonnamment, parmi celles qui ont été en contact très tôt avec la Commission, on ne relève pas beaucoup de petites PME, mais plutôt des multinationales rôdées au lobbying : Air Liquide, Alstom, DuPont, General Electric, Intel, Michelin, Nestlé et Safran, entre autres.
Ces entreprises vont utiliser ce nouveau moyen offert sur un plateau pour faire pression et nous empêcher de sortir des affaires …
Vu l’actualité Luxleaks, nous ne tolérons pas que nos élus se prononcent sur un texte aussi grave pour la liberté d’expression sans la moindre concertation avec les représentants de la presse, les lanceurs d’alertes et les ONG. Seuls les lobbies industriels ont été consultés.
Nous, journalistes, refusons de nous contenter de recopier des communiqués de presse pour que vous, citoyens, restiez informés. Et comme disait George Orwell : « Le journalisme consiste à publier ce que d’autres ne voudraient pas voir publié : tout le reste n’est que relations publiques ».
C’est pourquoi je demande, avec l’ensemble des signataires ci-dessous, la suppression de cette directive liberticide.
Une commission de députés européens, la commission JURI, se réunit dans les prochaines semaines pour valider ou non ce texte. C’est le moment de nous mobiliser pour dire non à la censure en Europe.