Chaque matin depuis le 16 novembre, il doit faire une heure de route pour aller « pointer » au commissariat central de Toulouse. Même trajet le soir à 20 heures, pour retourner à Blagnac chez sa compagne, en banlieue toulousaine. Mickaël L. 30 ans, a été le premier à se voir notifier une assignation à résidence en Haute-Garonne, car il est suspecté d’appartenir à « un réseau terroriste et salafiste ». Seul problème : le jeune homme est catholique.
Mickaël L. mène une vie d’auto-entrepreneur dans le secteur du nettoyage industriel, et même si il a déjà eu affaire avec la justice - deux condamnations en 2006 et 2008 pour vol et recel -, il affirme haut et fort être « totalement étranger à ces histoires ». Il se dit aujourd’hui « victime d’un cauchemar administro-judiciaire. Je peux comprendre l’état d’urgence vu ce qu’il s’est passé, mais dans mon cas je veux juste que la justice reconnaisse ses erreurs et me laisse retrouver une vie normale ».
« J’ai cru à une blague ou à une erreur »
Tout débute le 15 novembre au soir, vers 22 h 30. Alors qu’il regarde la télé avec ses deux enfants de 5 et 10 ans, un ami l’appelle pour lui signaler que la police vient de le perquisitionner et recherche Mickaël activement. Cet ami, « que je connais assez bien et qui avait été concerné par l’affaire Mohamed Merah » a vu débarquer dans la soirée un important dispositif policier du RAID et la BRI. « J’ai cru à une blague ou à une erreur. »
Mickaël se rend donc vers 23 heures au commissariat de Toulouse et se voit immédiatement notifier une assignation à résidence. Cette assignation est signalée à l’adresse du domicile de son ami, et non chez sa compagne. « Je vis entre Vitrolles (Bouches-du-Rhône) chez ma tante et mes cousins, et Blagnac pour voir mes enfants, mais je reçois mon courrier au centre communal d’action sociale de Toulouse, explique-t-il. J’ai bien dit le premier soir que je vivais à Blagnac, mais les policiers n’ont rien voulu entendre. » Il raconte même que ceux-ci lui auraient répondu qu’il n’avait qu’à « acheter une tente Quechua et s’installer au pied du domicile » de son encombrant copain.
Le jeune homme a certes un parcours un peu chaotique, mais de sa voix douce et très émue, il avoue qu’il n’a parlé de cette histoire à sa mère, qui vit toujours à Toulouse, qu’au bout de deux semaines : « Vous vous rendez compte ce que cela signifie pour mes enfants et mes proches ? On me traite de terroriste ! C’est complètement fou. »
« Je suis même allé à Lourdes avec mes enfants »
Dès le lendemain de la notification de son assignation, il se rend au commissariat de Blagnac pour prouver sa bonne foi. Aux policiers, il dévoile un énorme tatouage sur son bras droit représentant une grande main tenant un chapelet. « Je suis catholique pratiquant. Le tatouage, je l’ai depuis environ quatre mois. Je suis même allé à Lourdes avec mes enfants il y a trois semaines. J’adore visiter les églises et j’y vais souvent avec les gamins pour leur montrer. »
Finalement auditionné le 24 novembre, il passe seulement une demi-heure au commissariat. « Je ne sais pas qui c’était, il y avait juste deux policiers, se souvient-il. Mais ils ont de suite avoué qu’il s’agissait d’une erreur, d’une méprise. »
La machine administrative ne s’arrêté pas pour autant, et malgré les démarches de son avocat, Me Yves de Courrèges d’Agnos, Mickaël redoute plus que tout la prolongation de l’état d’urgence. Une première requête a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif, le 1er décembre. Il ne s’agit pas d’une ordonnance sur le fond, mais seulement sur l’urgence. Son avocat a engagé en fin de semaine un pourvoi au Conseil d’Etat. « On s’aperçoit que les décisions sont prises directement de Paris et je constate surtout des dérives insensées depuis la mise en place de l’état d’urgence », glisse Me de Courrèges d’Agnos.
Entre temps, Mickaël a appris qu’il faisait l’objet d’une fiche « S » depuis juin 2015. Il serait « une personne dangereuse, faisant du prosélytisme religieux avec un groupe d’islamistes radicaux, à Blagnac ». Ce groupe, Forsane Alizza, a pourtant été dissout en 2012 et ses membres sont en prison - le procès a eu lieu en juillet.
« La DGSI nous envoie des dossiers comme on les jette à la poubelle »
En attendant, Mickaël, qui travaille principalement pendant la saison estivale, touche juste son RSA, et vient de mettre sa voiture en vente : « J’ai perdu 5 kg, je dors mal et surtout je m’inquiète pour les fêtes de Noël. Je ne vais pas pouvoir les passer en famille, alors que c’est très important pour nous. »
Ce matin du 4 décembre, alors que nous quittons le commissariat avec lui, nous croisons par hasard dans la rue un officier de police judiciaire qui connaît Mickaël.
"Comment ça va M. L. ?
– Très mal, heureusement que vous avez été sympa avec moi, mais la justice ne veut rien entendre.« Gêné, le policier lui répond : »C’est le bordel entre les services. La DGSI nous envoie des dossiers comme on les jette à la poubelle. Je comprends votre désarroi.« En Haute-Garonne, depuis le 15 novembre et jusqu’au mardi 1er décembre, quarante-cinq perquisitions administratives avaient été menées, soit trois par jour, donnant lieu à douze gardes à vue, et quatre assignations à résidence ont été prononcées, selon les chiffres de la préfecture, qui se refuse à commenter »tout cas particulier".
Philippe Gagnebet (Toulouse, correspondant)
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