Avec 27,73 % des suffrages exprimés au premier tour des élections régionales, dimanche 6 décembre, le Front national réalise son plus haut score historique dans des élections nationales. De plus, en recueillant 6 018 775 voix, selon les résultats définitifs communiqués par le ministère de l’intérieur, malgré une abstention légèrement supérieure à 50 %, il obtient le deuxième total de voix le plus élevé après celui réalisé par Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (6 421 426 voix). C’est plus que n’en avait recueilli Jean-Marie Le Pen en 2002 (5 525 906 voix), lorsqu’il s’était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.
Ainsi, le PS et ses alliés, qui avaient obtenu 29,5 % des suffrages au premier tour des élections régionales de 2010, reculent à 23,4 % cette année. Le recul est moins prononcé pour la droite mais tout aussi réel : en 2010, alors que le scrutin régional avait été catastrophique pour elle, l’addition des suffrages de l’UMP, du Nouveau Centre et du MoDem représentait 30,7 % ; les listes LR-UDI-MoDem en recueillent cette année 27,2 %. Le FN, lui, progresse de plus de 16 points en cinq ans.
Percée dans le Sud-Ouest
Pour mesurer l’évolution des scores du parti d’extrême droite, il vaut mieux se reporter aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, ces évolutions étant mesurées non en nombre de voix mais en pourcentage. D’emblée, un premier constat s’impose : c’est dans ses zones de forte implantation que le parti d’extrême droite enregistre ses plus fortes progressions. Ainsi, dans le Var, où il réalise son meilleur score (44,57 %), il progresse de près de 20 points. Dans le Pas-de-Calais, où il obtient 44,38 %, cela représente un bond de près de 19 points. Les Pyrénées-Orientales, 41,70 % (+17,5 points), la Somme, 41,02 % (+17,2 points), l’Aisne, 43,55 % (+17,2 points), le Vaucluse, 44,22 % (+17,2 points), l’Oise, 42,08 % (+17 points), et la Haute-Marne, 42,2 % (+17 points), sont autant de bastions du FN.
Globalement, le parti lepéniste enregistre une progression de plus de 10 points en trois ans et demi dans 42 départements. Dans 12 d’entre eux, cette évolution est supérieure à 15 points. Cependant, ces fortes progressions révèlent aussi de nouvelles zones d’implantation du FN, parfois inattendues. Ainsi, dans les Hautes-Alpes, il passe de 17,70 % en 2012 à 32,58 %, soit près de 15 points de plus. Toujours sur le flan est de l’Hexagone, le FN progresse de 12,5 points dans le Doubs, passant de 19,19 % à 31,74 %.
Autre percée inattendue dans le Sud-Ouest, dans trois départements où la gauche est traditionnellement forte. Dans le Tarn, le parti d’extrême droite passe de 18,93 % à 30,83 % (+11,9 points). En Ariège, il gagne 11,65 points en passant de 16,79 % à 28,44 %. Enfin, dans le Gers, la liste conduite par Louis Aliot recueille 26,35 % des suffrages quand Marine Le Pen en avait obtenu 15,90 %, soit une progression de 10,45 points. A croire que le bonheur n’est plus dans le pré !
Une autre zone de renforcement se dessine, sur un arc qui va de la Sarthe à la Nièvre. Dans la Sarthe, département dont François Fillon fut longtemps l’élu, le FN gagne 10,5 points en passant de 19,17 % à 29,67 %. L’Indre-et-Loire mitoyenne connaît elle aussi une progression de 10,2 points de la formation lepéniste, qui passe de 15,98 % à 26,18 %. Puis c’est l’Indre qui, elle aussi, voit le FN bondir de 19,55 % à 30,21 %, en gagnant 10,66 points. Le Cher voisin enregistre une progression de 12,09 points : la présidente du parti d’extrême droite y obtenait 19,73 % des suffrages en 2012, la liste de Philippe Loiseau en réunit 31,82 %. Enfin, cette progression est aussi marquée dans la Nièvre, fief mitterrandiste s’il en fut : le FN gagne 11,79 points, son score grimpe de 19,58 % à 31,37 %. Un autre département connaît une forte progression du FN en Ile-de-France, la Seine-et-Marne, où il passe de 19,65 % à 30,93 %, soit +11,28 points. Il apparaît a priori difficile de relier entre elles les raisons de cette forte poussée de la formation lepéniste dans ces départements.
La Haute-Loire, une exception
La progression du FN est limitée à moins de 10 points dans 52 départements. Elle est inférieure à 5 points dans sept d’entre eux : Val-de-Marne (+4,93 points), Finistère (+4,54 points), Puy-de-Dôme (4,16 points), Côtes-d’Armor (+3,93 points), Hauts-de-Seine (+3,83 points), Paris (+3,45 points) et le Cantal (+2,26 points). Autant de départements où les scores de Marine Le Pen n’excédaient pas 15 % en 2012, voire étaient inférieurs à 10 %, comme à Paris et dans les Hauts-de-Seine.
Le FN recule dans un seul département métropolitain, en Haute-Loire : il perd 2,15 points, reculant de 20,40 % à 18,25 %. Peut-être faut-il y trouver une explication dans le positionnement très à droite de Laurent Wauquiez, chef de file de LR dans ce département dont il est élu député et maire du Puy-en-Velay. Le FN enregistre également un recul sensible dans deux départements d’outre-mer : en Guadeloupe, où il ne recueille que 1,4 %, soit un repli de 3,76 points, et à La Réunion, où il chute de 10,31 % à 2,39 %, soit une perte de 7,92 points.
Des exceptions très marginales au regard de la poussée historique enregistrée par l’extrême droite à l’occasion de ce scrutin, qui révèle également une nouvelle étape dans son développement territorial.
Patrick Roger
Journaliste au Monde
* « Une poussée de l’extrême droite au-delà de ses bastions ». LE MONDE | 08.12.2015 à 11h12 :
http://www.lemonde.fr/elections-regionales-2015/article/2015/12/08/une-poussee-de-l-extreme-droite-au-dela-de-ses-bastions_4826932_4640869.html
Le Front national, première force d’opposition
Marine Le Pen veut devenir présidente de la République. Elle ne l’a jamais caché et a exposé très clairement la façon dont elle entendait s’y prendre : faire « turbuler » le système, casser la droite et la gauche pour imposer le Front national comme la première force politique du pays. Son pari suppose un élan, une dynamique forte, une sorte d’effet boule de neige qui, d’élection en élection, est susceptible de la porter vers son but. Cela aussi elle l’a décrit, rendant d’autant plus inquiétant ce qui s’est produit dimanche 6 décembre : de quelque côté que l’on se tourne, le FN est sorti grand gagnant du premier tour des élections régionales.
Dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Marine Le Pen, et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marion Maréchal-Le Pen engrangent des scores inédits : plus de 40 % des voix dans les deux cas. La PME familiale se porte bien. Mais il y a aussi l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne avec Florian Philippot (36,06 %), Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées avec Louis Aliot (31,83 %), Centre-Val de Loire avec Philippe Loiseau (30,49 %), Bourgogne-Franche-Comté avec Sophie Montel (31,48 %)… Dans six régions métropolitaines sur treize, le FN arrive en tête ; dans une, la Normandie, il est au coude-à-coude avec la droite, et dans deux territoires stratégiques en raison de leur poids économique, l’Ile-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, il est faiseur de roi.
Douche froide
Pour les deux grands partis de gouvernement, le choc est terrible. Nicolas Sarkozy affichait dimanche soir une mine sinistre. Manuel Valls, quant à lui, a préféré déserter les plateaux de télévision. Pour la droite et pour la gauche, c’est la douche froide. Les scores du Front national sont si hauts que ni l’une ni l’autre ne plaident plus la thèse de l’accidentel ou du conjoncturel, comme elles l’ont souvent fait dans le passé. Cette fois, elles ont compris : la dynamique est bel et bien du côté de Marine Le Pen, qui s’est appropriée leurs mots – la « République », la « Nation », la « souveraineté », le « rassemblement » – et en appelle au peuple pour renverser la table.
Le système craque de partout, les garde-fous électoraux imaginés pour contrer la poussée lepéniste sont enfoncés. Qui peut encore prétendre maîtriser le cours des choses alors que, du terrain, remontent des signaux alarmants du type « droite et gauche, ras-le-bol » ou encore « on solde trente ans d’impuissance politique » ?
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La première fois que le Front national a chamboulé le système politique, c’était aux élections régionales de 1998, quand quelques élus de droite, bravant les consignes nationales, ont fait alliance avec l’extrême droite pour se faire élire présidents de région en Bourgogne, dans le Centre, en Languedoc-Roussillon, en Picardie et en Rhône-Alpes. A l’époque, la gauche pesait 36,9 %, la droite idem, et le Front national 14,7 %. Dix-sept ans plus tard, la configuration est autrement plus inquiétante : le FN pèse 28,42 % des voix. Cela veut dire que les trois blocs – gauche, droite et extrême droite – se tiennent dans un mouchoir de poche.
Le FN, seul parti à bénéficier de la dynamique
Le tripartisme s’est installé en France il y a un an, lors des élections européennes de mai 2014, qui furent marquées par la crise et le rejet grandissant de l’Europe. Il s’est ensuite consolidé aux élections départementales de mars, lors desquelles le FN est arrivé en tête des formations politiques avec 25,24 % des suffrages exprimés. Il vient de marquer un nouveau point, dimanche, au profit exclusif du Front national qui est le seul parti à bénéficier de ce Graal en politique : la dynamique.
Les partis de gouvernement ont longtemps voulu croire que l’extrême droite servait de réceptacle à un vote protestataire né de la crise et des difficultés sociales. Ils réalisent aujourd’hui qu’il existe une adhésion aux idées de Marine Le Pen qui infuse dans différentes strates sociales. La concurrence devient de ce fait très dangereuse. « Le FN a toujours eu un discours prospectif, et aujourd’hui, les faits viennent consolider sa représentation du monde », souligne le politologue Gérard Le Gall.
L’actualité sert Marine Le Pen. Du rétablissement provisoire des frontières à la déchéance de nationalité pour les binationaux ayant commis des actes de terrorisme, la présidente du Front national présente les dernières initiatives de François Hollande comme une reconnaissance de ses prédictions. On voit le piège : plus le président de la République, en habit de guerrier, cherche à couper l’herbe sous les pieds du FN, plus il offre du carburant à une Marine Le Pen qui n’a pas hésité à durcir son discours dans les jours précédant le premier tour. Entre les deux, Nicolas Sarkozy a le plus grand mal à exister.
Longtemps, le front républicain a servi de barrage au FN. Aujourd’hui, la construction est morte. Nicolas Sarkozy l’a définitivement enterrée dimanche soir, de peur de disparaître complètement. Ni « retrait » ni « fusion », a déclaré l’ancien chef de l’Etat. La gauche a aussitôt crié à « l’irresponsabilité » et proclamé l’entrée « en résistance » en se faisant hara-kiri dans trois régions, Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pour elle, voilà qui est très cher payé et pourtant vital en vue du combat de 2017. Car l’enjeu se résume désormais à une seule question : qui sera capable d’arrêter Marine le Pen ?
Françoise Fressoz
éditorialiste
* LE MONDE | 07.12.2015 à 09h25 • Mis à jour le 07.12.2015 à 09h29 :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/12/07/le-front-national-premiere-force-d-opposition_4826096_823448.html