L’histoire des mouvements français de soutien à la cause palestinienne reste encore à écrire. Mis à part les premiers apports du livre de Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey, Itinéraires de Paris à Jérusalem [1], et de celui de Denis Sieffert, Israël-Palestine, une passion française [2], ce pan de l’histoire de la lutte palestinienne n’a pas beaucoup suscité l’intérêt des chercheurs. Cette lacune historiographique est d’autant plus regrettable que les clivages politiques autour du conflit israélo-palestinien a structuré, et structure encore, en partie l’échiquier politique français ; que le soutien à la cause palestinienne est à l’origine de la politisation de nombreux militants, français ou immigrés, encore actifs aujourd’hui ; et que la « bataille de France » [3]est un enjeu politique majeur pour les organisations palestiniennes. Faudra-t-il attendre que le conflit colonial trouve sa solution pour que la recherche scientifique se penche sur ce sujet ? Cet article ne vise pas à décrire l’émergence et les évolutions historiques et politiques des mouvements de soutien à la cause palestinienne [4], mais à apporter une contribution, ou un éclairage, sur l’implication des immigrés arabes en France, et en particulier sur les comités de soutien à la révolution Palestinienne (CSRP), dits « comités Palestine ».
Créés en réaction à Septembre Noir (1970) et dissous au printemps 1972, les comités Palestine, composés d’ouvriers et d’étudiant(e)s arabes en majorité, font partie des premières organisations de soutien au peuple palestinien en France et sont à l’origine de la création du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) en 1972. En lien avec les maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP), les militants arabes des comités Palestine entretiennent des relations étroites avec les organisations palestiniennes au Moyen-Orient (Liban, Palestine) et en France, notamment avec les premiers représentants officieux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) : Mahmoud Hamchari et Azzedine Kalak. Pour comprendre l’action des comités Palestine, il faut revenir : sur la logique de politisation de leurs militants arabes, logique qui s’inscrit dans le cadre d’un nationalisme arabe marxisant et dans la perspective de la « Révolution arabe » ; sur le contexte politique et social de la fin des années 1960 où la cause palestinienne est littéralement hérétique ; sur l’organisation et les actions des comités Palestine ; et enfin sur les facteurs explicatifs de leur dissolution et de la transition vers le MTA.
L’espace politique des militants arabes à Paris à la fin des années 1960
Les comités Palestine sont composés de militants arabes et français d’obédience maoïste. Les premiers sont des étudiants récemment arrivés à Paris, n’ayant pas forcément eu d’activité politique dans leur pays d’origine, et des ouvriers politisés dans la lutte palestinienne et/ou l’extrême gauche française. Ils viennent de Tunisie, du Maroc, d’Algérie, du Liban et de Syrie, et ont la conviction que la révolution arabe est en marche, transcendant toutes les appartenances nationales restreintes. La reconstitution de leur parcours politique et migratoire [5] montre qu’ils et elles se trouvent dans des positions de rupture vis-à-vis de plusieurs ordres sociaux (patriarcal, national et de l’émigration), ce qui les rend plus sensibles à la justice sociale et les prédispose à l’action politique. Un certain nombre de caractéristiques sociales, comme le célibat, le niveau d’études, le statut d’étudiant, l’apprentissage de la clandestinité, l’héritage des luttes anticoloniales, etc., rendent possible leur engagement politique. Celui-ci est d’autant plus improbable que l’écrasante majorité des travailleurs immigrés n’ont pas d’activité politique : c’est l’exception qui confirme la règle. Et le soutien au peuple palestinien joue un rôle déterminant dans la prise de conscience politique des militants arabes des comités Palestine.
Ces militants ne sont pas les seuls Arabes à se mobiliser sur la cause palestinienne. Le vocable « comité Palestine » est fort répandu à la fin des années 1960, tout comme celui de « comité Vietnam ». Cependant, les militants des CSRP se distinguent des autres par leur plus grande sensibilité à la condition des travailleurs immigrés en France. Les comités Palestine ne sont pas exclusivement consacrés à la cause palestinienne, mais constituent un véritable laboratoire politique où fusionnent les luttes de soutien au peuple palestinien, contre les crimes racistes, pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs immigrés, etc.
L’engagement politique des immigrés au sein de la société française ne va pas de soi. Au contraire, l’une des caractéristiques majeures de leur activité politique est qu’elle se dirige quasi exclusivement vers le pays d’origine : l’opposition aux régimes de Hassan II ou de Bourguiba est prioritaire par rapport à la lutte pour l’amélioration des conditions d’existence des immigrés maghrébins en France. Or, les militants des comités Palestine sont les premiers « immigrés politiques » (c’est-à-dire ayant une conscience politique et se livrant à une activité politique) qui considèrent le territoire français comme un terrain de lutte pour la « cause immigrée », et non pour la cause nationale (comme ce fut le cas de la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN), qui mobilisa la communauté algérienne de France au service de l’indépendance de l’Algérie). Contrairement à la plupart des militants arabes de Paris, les immigrés politiques des comités Palestine développent une sensibilité particulière aux problèmes rencontrés par l’immigration maghrébine en France : d’où leur spécificité par rapport aux opposants des régimes dictatoriaux du Maghreb. Pour comprendre cette particularité, il est nécessaire de reconstituer l’espace politique de l’immigration dans lequel les militants arabes se sont organisés, car la position des militants des comités Palestine n’a de sens que par rapport à celle des autres types de militants. Depuis le début du XXe siècle, la capitale française a accueilli des étudiants et des travailleurs provenant des colonies françaises. Elle a même vu naître le nationalisme qui a radicalement revendiqué l’indépendance des pays colonisés. Le voyage « au cœur de la bête » impériale a contribué à la radicalisation de la subversion de l’ordre colonial. Les colonisés anticolonialistes avaient créé un espace politique clandestin dans lequel ils pouvaient se rencontrer, se mouvoir, s’informer, etc. Il en est de même des militants arabes de la fin des années 1960, enfants des indépendances, qui héritent, d’une certaine mesure, des structures créées par les indépendantistes des années auparavant.
Les principaux lieux de rencontres des militants arabes sont la Cité universitaire internationale (en particulier la Maison du Maroc) dans le 14e arrondissement de Paris, le local-café de l’Association des Marocains en France (AMF) 20, rue Serpente dans le 5e arrondissement, et enfin le 115 boulevard Saint-Michel. Le local rue Serpente était le « point de chute des UNFPistes et des réfugiés de passage » [6]. Les étudiants de l’Union nationale des étudiants marocains (UNEM) y trouvent un point d’appui essentiel pour l’organisation des travailleurs immigrés marocains en France et le recrutement des étudiants pour la cause révolutionnaire au Maroc. Mais le haut lieu de l’immigration politique est le « 115 » : le siège de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), fondée en 1926 par Abdelkrim Khattabi, Mohammed Taalbi, Habib Thamr et Messali Hadj. L’objectif est de créer un espace d’entraide pour les étudiants musulmans nord-africains. D’autre part, l’endroit sert de restaurant où les étudiants peuvent manger de la viande halal. A la fin des années 1960, cette association regroupe les trois principales composantes du syndicalisme étudiant maghrébin : l’UNEM, l’Union générale des étudiants algériens (UGEA) et l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET). Les étudiants communistes, au sens partisan du terme, dominent les sections françaises de ces trois syndicats. Le « 115 » est un lieu de restauration, de rencontres, de débats, de diffusion d’information sur l’actualité politique concernant le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Pour tout nouvel exilé à Paris, ces lieux servent d’espaces de socialisation, dans le sens général et politique du terme. Le milieu des étudiants arabes permet à l’immigré politique de se forger une opinion sur la société française, à travers les discussions avec les amis ou compatriotes, et de se tenir au courant des événements qui secouent le pays natal. Cet espace, dont certains lieux sont un héritage de la lutte anticoloniale, s’est considérablement restructuré après les indépendances des pays du Maghreb.
Le fait majeur ayant bouleversé la situation politique de l’immigration algérienne, c’est le départ relativement massif des cadres de la Fédération de France du FLN, pour qui la construction de l’Algérie était la priorité, alors qu’à l’inverse se déclencha un flux massif d’émigration d’ouvriers algériens pour les besoins de l’économie française : « D’une façon générale, ceux qui avaient participé à la lutte de libération étaient les moins enclins à quitter le pays. L’émigration se recrutait donc surtout parmi les éléments les moins conscients, les moins politisés », débouchant sur un « processus de dépolitisation » [7]. Cependant, entre l’indépendance et la fin des années 1960, il semble que le désenchantement, la déception et le découragement politique - qui ne datent pas du coup d’Etat militaire de Boumediene de 1965, il n’a fait qu’accélérer une désillusion ayant germé pendant la période Ben Bella - ont entraîné le retour au pays d’un certain nombre d’anciens militants algériens émigrés. Par conséquent, il n’est pas étonnant que la Cité universitaire n’abrite que très peu d’étudiants algériens, en tout cas que ceux-ci soient absents lors de la constitution des comités Palestine.
Les structures de l’État algérien ont sûrement « aspiré » les cadres politiques émigrés en France, laissant un vide structurel dans lequel l’Amicale des Algériens en Europe (organisation légale qui a remplacé la Fédération de France du FLN) s’est engouffrée. Disposant de moyens importants (d’ordre financier bien sûr, mais aussi en termes de réseaux de connaissance) et de 43 000 cotisants [8], elle est perçue par l’immigration algérienne comme une succursale de l’État algérien, et ses activités relèvent de la confusion entre travail social et contrôle politique, prolongeant ainsi, paradoxalement, la même confusion qui a structuré l’administration coloniale vis-à-vis des colonisés, puis l’administration de l’immigration. Sa volonté de contrôle et d’encadrement de l’immigration algérienne restreint considérablement le champ d’action des militants arabes des comités Palestine, puis du MTA, qui désirent une organisation autonome par rapport aux organisations politiques françaises et aux États ou organisations maghrébines. Même dans le domaine du soutien à la résistance palestinienne - entre autres raisons, du fait de leurs rapports étroits avec les maoïstes -, ils sont perçus par l’Amicale algérienne comme des « agitateurs » qui concurrencent son hégémonie et troublent les lignes de fractures nationales. Il s’est noué une alliance de fait, confirmée par la pratique, entre les amicales (algérienne et marocaine surtout), le gouvernement français, le Parti communiste français (PCF) et la Confédération générale du travail (CGT), pour contrer l’influence des militants des comités Palestine et du MTA.
Il existe quatre tendances dans l’opposition algérienne, mais elles ne bénéficient pas d’une grande influence dans l’émigration algérienne [9]. Le Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS) « pratique à l’égard du gouvernement Boumediene un soutien critique souvent proche du ralliement pur et simple », et entretient des rapports prudents avec le PCF ; le FLN clandestin « développe une critique sévère [du président Boumediene], mais tend à idéaliser la politique du gouvernement Ben Bella » ; le Parti de la révolution socialiste (PRS) de Mohammed Boudiaf « rejette les uns et les autres dans la même condamnation » ; et le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed ne semble influente que parmi les seuls immigrés algériens kabyles.
Alors que le parti destourien comptabilise seize sections dans la région parisienne en 1967, le parti de Bourguiba ne dispose que d’une seule à Paris, qui se confond avec les effectifs de l’ambassade de Tunisie. Son audience auprès de l’immigration tunisienne est très faible : « On peut observer le vide total créé par les immigrés tunisiens autour des agents officiels au sein de l’Amicale des Tunisiens en France, organisation para-officielle sans activité effective ». Finalement, certains groupes d’opposition tunisiens, comme Perspectives tunisiennes, se retrouvent à Paris suite à la répression politique de Bourguiba. En tant qu’opposants au régime de Bourguiba, les exilés politiques se rencontrent et accueillent les nouveaux venus, mais les préoccupations sont toutes concentrées sur la Tunisie. La situation des immigrés tunisiens en France est secondaire.
L’activité politique des immigrés marocains se structure autour de l’AMF. Affiliée au parti marocain Istiqlal, elle se rallie ensuite à l’Union nationale des forces populaires (UNFP), elle-même issue d’une scission de l’Istiqlal en 1959. Après l’indépendance en 1956 et les tentatives de renversement de Hassan II par la voie parlementaire et légale, l’UNFP, co-fondée par Mehdi Ben Barka, décide ce qui a été appelé l’« option révolutionnaire » en 1963. Entre 1963 et 1971 (date des procès contre les opposants au roi), les Marocains nationalistes marxisants [10], opposés à la monarchie chérifienne, prennent le maquis pour détrôner militairement Hassan II, arrivé au pouvoir à l’aide de la force de frappe de l’armée française [11]. Avec les camps d’entraînement palestiniens, libyens et algériens, Paris est une base de repli dans cette guerre contre la monarchie. L’attention des émigrés politiques marocains en France, qui adhèrent pour la plupart à l’UNEM et à l’UNFP, se concentre sur l’espoir d’une révolution à venir, mais qui va être réprimée dans le sang.
Les militants des comités Palestine ont « baigné » dans cet espace politique, dont les caractéristiques principales sont : une attention rivée sur les événements des pays arabes, empêchant du coup une prise de conscience et une mobilisation collective pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs immigrés ; l’émergence du poids politique des Amicales dans le but de contrôler politiquement les immigrés maghrébins ; un grand désenchantement par rapport aux indépendances, d’où une désaffiliation croissante des immigrés par rapport aux institutions représentant leurs pays d’origine ; l’absence d’une organisation exprimant les besoins et préoccupations des travailleurs immigrés pour qui la perspective du retour commence à s’éloigner. Cette situation, facteur de découragement et de désengagement politique, va déboucher sur les deux tendances majeures de l’action politique de l’immigration politique : le soutien à la lutte du peuple palestinien et les luttes de l’immigration à proprement parler (usines, foyers, cartes de travail, etc.).
Si les militants du MTA sont parmi les premiers à se saisir des préoccupations des travailleurs immigrés en France, c’est parce qu’au sein de l’espace politique des militants arabes, leurs itinéraires politiques les prédisposent à une plus grande prise de distance vis-à-vis des luttes dans les pays d’émigration, et à une inscription plus précoce dans le champ politique français. Derniers arrivés avant les fortes restrictions dans les flux migratoires entraînées par les circulaires Marcellin-Fontanet, ils prennent conscience de l’impossibilité du retour. Sans avoir provoqué une rupture (bien au contraire) avec leur pays d’origine, ils considèrent que, selon l’expression des tracts du MTA, la lutte des travailleurs arabes en France fait partie de la révolution arabe. Mais cette conversion à l’idée de la nécessité de lutter dans les usines françaises, et sur la condition des immigrés, ne s’opère qu’à travers l’expérience des comités Palestine. L’inscription de leur activité politique sur le territoire français s’explique aussi par une plus grande proximité avec les groupes maoïstes, en particulier la Gauche prolétarienne. C’est l’action politique au sein de la GP qui a amené certains d’entre eux à militer sur la Palestine et sur les questions de l’immigration. A partir de leur vision du champ politique français, ou par adhésion affective aux thèses maoïstes, la plupart d’entre eux ont trouvé dans la GP une organisation grâce à laquelle les militants arabes pouvaient avoir une place, contrairement au PCF, à la CGT, etc. Si cette évaluation de l’organisation est pertinente, il reste à comprendre les ressorts sociologiques et historiques de cette adhésion à la Gauche prolétarienne.
L’attraction des militants arabes pour la Gauche prolétarienne
Écrire l’histoire des comités Palestine et du MTA en forme de note de bas de page de l’histoire de la Gauche prolétarienne mutilerait complètement l’objet de recherche. Si l’on ne peut nier l’influence de l’organisation maoïste dans la formation politique de certains militants du MTA (mais pas tous), il serait réducteur de les concevoir comme une clientèle arabe obéissant aux ordres du bureau politique de la GP. Les frontières entre les deux organisations sont certes poreuses, mais les comités Palestine bénéficient d’une réelle indépendance d’action et se retrouvent parfois en opposition radicale avec la GP. Ce qui est en jeu dans la relation entre GP et CSRP (puis MTA), c’est la fameuse question de l’autonomie des luttes des travailleurs arabes. L’affirmation de l’autonomie est fondamentale pour eux, mais les quelques textes d’archives n’en proposent pas de définition véritablement claire. Ce flou artistique s’articule autour de trois enjeux majeurs. Le premier est celui de l’autonomie culturelle. Alors que la vision dominante de l’immigration en France se fonde sur le concept d’assimilation-intégration (c’est l’injonction adressée aux immigrés de se fondre dans le « creuset français »), les revendications culturelles des militants des comités Palestine (apprentissage de la langue arabe, reconnaissance des fêtes religieuses...) s’en écartent, sans pour autant tomber dans le séparatisme culturel ou religieux. Le deuxième est celui de l’autonomie politique et organisationnelle. Dans l’usine ou au foyer, la parole et le pouvoir de décision des travailleurs immigrés sont niés, d’où la volonté de s’émanciper des tutelles syndicales et corporatistes et de s’auto-organiser. Le troisième enjeu est celui du double isolement : les militants doivent éviter de se couper de la société française et de l’immigration maghrébine en France, pour pouvoir être efficaces et avoir une assise politique. Mais la nécessité de l’autonomie n’apparaît pas tout de suite, et l’engagement de certains militants du MTA, étudiants comme ouvriers, trouve une issue « naturelle » dans la participation à la GP.
Certains sont impliqués dans la Gauche prolétarienne avant de fonder les comités Palestine. Les premiers contacts ont lieu dans les meetings ou les cafés, et les « maoïstes arabes » de la GP ne se connaissent pas forcément entre eux lorsqu’ils s’engagent dans l’organisation. Certains y ont tissé des liens bien avant septembre 1970 autour de la question palestinienne. D’autres s’établissent en usine, comme la pratique maoïste de l’époque le recommandait. Entre les étudiants français et les jeunes intellectuels arabes, il existe une ressemblance des profils sociaux qui a rendu leur proximité politique plus probable : étudiants arabes à Paris, « francisés », exilés, marxistes-léninistes, engagés pour la Palestine, etc. En fait, le lien s’établit avec les étudiants dans la rue - plusieurs militants arabes font observer que les maoïstes sont les seuls à « faire du terrain » dans les marchés et les cafés de Barbès et de Belleville - au cours des actions de soutien à la révolution palestinienne.
D’autres militants arabes les rencontrent à l’usine. Alors que les centrales syndicales traditionnelles rechignent à prendre en compte les spécificités des luttes des immigrés (carte de résidence, carte de travail, etc.), les tracts et les discussions avec les maoïstes semblent être plus respectueux de l’histoire des travailleurs immigrés. Selon Hervé Hamon et Patrick Rotman, « [l]es jeunes immigrés maghrébins (…) forment la « véritable base ouvrière » de la GP » [12]. A la différence des autres mouvements révolutionnaires, qui essentialisent la classe ouvrière comme une entité mythique, les maoïstes soulignent son hétérogénéité. Pour Tiennot Grumbach, un « gépiste » promoteur de l’enquête [13] selon les consignes du Petit Livre rouge de Mao, « la classe ouvrière n’était pas un bloc uni » [14]. En allant enquêter, les étudiants maoïstes se rendent compte de la différence entre ouvriers spécialisés (OS) et ouvriers professionnels diplômés (OP), et de l’existence d’un sous-prolétariat immigré au sein même du prolétariat. La pratique de l’enquête « naquit du refus de la représentation mythique ou transcendantale qui faisait de la classe ouvrière un unique bloc uniforme dépourvu de toute aspérité » [15].
Contrairement aux anciens ouvriers maghrébins syndiqués ou non à la CGT et à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), les jeunes ouvriers maghrébins constituent le « réservoir de recrutement » le plus important de la Gauche prolétarienne dans les usines. La stratégie des maoïstes consistant à entrer dans les usines pour « semer les graines de la révolution » - malgré la très grande difficulté à agir de l’intérieur (à cause de l’hostilité des centrales syndicales et de la répression patronale) -, les jeunes travailleurs maghrébins représentent pour eux une « cible » privilégiée, parce qu’ils n’ont pas été « encadrés » par les syndicats et les amicales.
Les prédispositions à l’action politique héritées de leur trajectoire personnelle et de leur parcours d’émigration vont s’exprimer dans l’organisation qui passe pour être la plus intéressante sur la cause palestinienne. Le discours des trotskystes pour une « Palestine socialiste » ne résonne pas aux oreilles de ceux pour qui la cause palestinienne est avant tout nationale et anticoloniale. Contrairement à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui prône le « soutien critique », la GP prend les Palestiniens « tels qu’ils sont » et soutient le caractère national de la lutte d’indépendance. L’Union des jeunes communistes marxistes-léninistes (UJCml), qui a précédé la GP, avait été l’un des premiers soutiens à l’OLP en France lors de la guerre éclair de juin 1967, en défilant à Paris des Gobelins à la rue Mouffetard. Avec l’appui de la Chine qui soutient les Palestiniens, l’UJC(ml) fait alors preuve d’un antisionisme radical.
Le 10 février 1969, la Gauche palestinienne est même à l’initiative de la création de comités Palestine, bien qu’ils ne semblent pas avoir eu d’activité constante entre février 1969 et septembre 1970, date de la création des CSRP. La plate-forme politique des comités Palestine de la GP se fixe pour objectif de « soutenir la lutte révolutionnaire du peuple palestinien contre le sionisme et l’impérialisme, avec à sa tête l’impérialisme américain, et d’appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine » [16]. Suivant à la lettre les positions politiques de l’OLP, ces comités soutiennent les revendications nationales des Palestiniens sur tout le territoire de la Palestine historique. Ils adoptent une posture antisioniste radicale : « Les [CP] soutiennent le mouvement de libération [p]alestinien dans sa volonté de détruire l’[É]tat (JE NE COMPRENDS PAS LES CROCHETS. CE SONT DES CORRECTIONS : LE é EST EN MINUSCULE ET LE p EN MAJUSCULE DANS LE TEXTE d’Israël en tant qu’Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste ». La plate-forme crée un lien avec les juifs antisionistes et condamne « le sionisme et le racisme anti-juif qui sont à l’origine de la création de l’Etat d’Israël ». Les cadres de la GP sont initiés aux enjeux du conflit par Adel Rifaat, l’aîné de la famille (judéo-arabe) de Tony et Benny Lévy, et Bahgat El-Nadi, connus sous leur nom de plume « Mahmoud Hussein » [17]. Adel Rifaat, installé à Paris, est lié au premier représentant de l’OLP à Paris, Mahmoud Hamchari. Dès janvier 1969, la GP organise un meeting de soutien au peuple palestinien avec pour slogans : « El Fath vaincra ! », « Le sionisme ne passera pas ! ». Hamchari leur propose de visiter les camps palestiniens ; la GP accepte l’invitation [18] pour le mois d’août 1969.
Les représentants de la GP, Alain Geismar et Léo Lévy (la femme de Benny), se rendent au camp de Karameh, en Jordanie, où est installé l’état-major de l’OLP et la branche militaire du Fath (parti de Yasser Arafat), appelée al-Assifa [19]. Reconnu par les cadres du Fath, Geismar est même invité sur les ondes de la radio palestinienne. Les conversations avec les Palestiniens portent sur deux interrogations : pourquoi Sartre, qui a été un soutien sans faille de la révolution algérienne, a-t-il versé dans le sionisme ? Et comment faire connaissance avec l’opposition israélienne, qui pourrait être un allié dans une perspective de paix en Palestine ? Geismar s’engage à faciliter les contacts, à travers ses réseaux parisiens. A la rentrée 1969, Olivier Rolin, l’expert des opérations militaires de la GP, est contacté par un émissaire du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache. Celui-ci propose des stages d’entraînement gratuits dans les camps palestiniens. Mais la GP refuse, car elle « reste jalouse de son autonomie » [20].Le soutien à la cause palestinienne relève plus du symbolique que du militaire, notamment à travers des actions spectaculaires. La nuit du samedi 25 au dimanche 26 septembre 1969, les maoïstes inscrivent sur les murs de l’hôtel particulier des Rothschild, considérés comme étant « à la fois des oppresseurs du peuple palestinien, les trésoriers d’Israël, et les oppresseurs du peuple français » [21], des slogans à la peinture rouge tels que « El Fath vaincra », « Rothschild, le peuple français et le peuple palestinien te vaincront » et « Ben Gourion fasciste ». Le dimanche 26, 300 manifestants, français et arabes, se réunissent au métro Notre-Dame-de-Lorette et incendient le siège de la banque Rothschild. Plus tard dans la journée, les manifestants lapident le local du journal L’Aurore, rue de Richelieu, sur la devanture duquel ils accrochent un drapeau palestinien.
1970 a été une année charnière pour la Gauche prolétarienne, puisqu’elle illustre le passage de l’apogée (médiatique) aux prémisses de l’éclatement de l’organisation, qui devient clandestine après sa dissolution par le gouvernement le 27 mai 1970. Face à la répression gouvernementale (arrestations et saisies), la stratégie du bureau politique de la GP peut se résumer ainsi : « S’ouvrir, sans se disperser à tous les vents » [22]. Stratégie dans laquelle les travailleurs immigrés trouvent une place importante. Au début de l’été 1970, la GP s’est fixée trois objectifs. Tout d’abord, elle décide de consacrer un investissement plus important dans le monde ouvrier, notamment immigré, par le renforcement des comités de lutte dans les usines. Ensuite, la création d’un « front démocratique » à travers le Secours rouge [23], afin de se « protéger » en s’alliant avec des intellectuels « démocrates » connus. Enfin, l’autonomie de l’aile militaire, dirigée par Rolin, qui prend le nom de Nouvelle résistance populaire (NRP) ou de Milice ouvrière multinationale (MOM).
Entre les militants arabes qui veulent organiser le soutien au peuple palestinien et les maoïstes à la recherche de nouvelles recrues, une sorte d’accord « naturel » et implicite s’établit. Pour la Gauche prolétarienne comme pour les militants arabes, l’enjeu est de savoir si le potentiel explosif du monde arabe peut être canalisé pour alimenter et unifier, dans une perspective révolutionnaire, les révoltes croissantes des travailleurs immigrés dans les usines françaises. Le lien entre la lutte du peuple palestinien et la lutte des travailleurs immigrés en France est établi en vue de mobiliser toute l’affection, la colère et l’espoir que peut susciter l’identification aux fedayin, pour les réorienter dans la lutte de classes en France. Sans nier la sincérité de leur engagement et parler d’« utilisation » de la cause palestinienne, la Palestine est un formidable moyen de mobilisation politique et la figure du fedaï un symbole fort d’identification.
La Palestine : une cause hérétique
Pour comprendre la naissance des comités Palestine, il est nécessaire de restituer l’atmosphère politique et médiatique autour de la question palestinienne. Leur création s’inscrit dans une arène politique où beaucoup d’acteurs politiques, institutionnels et individuels s’affrontent pour imposer leurs points de vue sur un conflit à la fois israélo-arabe et israélo-palestinien. Un fait majeur apparaît entre 1967 et 1973 : la France découvre l’existence des Palestiniens en tant que peuple, résultat que les comités de soutien ont modestement contribué à rendre possible. La guerre de juin 1967, l’embargo contre Israël, la bataille de Karameh et la guerre d’octobre 1973 constituent autant d’événements qui ont de considérables répercussions en France.
La guerre de juin 1967 provoque un « véritable vent de folie » et un « déchaînement de haine anti-arabe » [24]. Les militants arabes vont observer une scène médiatique et politique objectivement inféodée aux positions de l’État d’Israël. L’enjeu pour les pro-israéliens est d’amener le général de Gaulle et sa politique étrangère à soutenir l’effort de guerre israélien. Le 16 mai 1967 naît le Comité de solidarité français avec Israël, qui regroupe l’Alliance France-Israël, l’association France-Israël, et les groupes d’amitiés France-Israël du Parlement français. Sont rassemblées toutes les composantes du paysage politique français à l’exclusion des communistes et de l’extrême gauche - mais comprenant la gauche non communiste - et des figures politiques importantes comme Michel Poniatowski (ministre de l’Intérieur en 1974), Pierre Mendès France ou François Mitterrand. Le soutien à l’effort de guerre israélien va même jusqu’à la constitution d’un Fonds de solidarité avec Israël le 30 mai, qui recueille en trois jours un milliard d’anciens francs. Le 29 mai, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir publie dans Le Monde un appel de soutien à Israël, signés par d’autres intellectuels de gauche comme Robert Misrahi et Claude Lanzmann.
La mobilisation de soutien à Israël atteint son paroxysme dans une manifestation d’environ trente mille personnes devant l’ambassade d’Israël. Presque toutes les familles politiques, les institutions juives, les associations de rapatriés d’Algérie, les mouvements d’anciens combattants, résistants ou déportés, les universitaires, les professions libérales et le monde du spectacle communient dans un même élan de soutien à Israël. Même les consciences de gauche ayant soutenu l’indépendance de l’Algérie n’hésitent pas à se mêler aux nostalgiques de l’Algérie française : « Jamais un conflit lointain dans lequel la France n’était pas engagée n’avait provoqué une telle mobilisation de moyens ni suscité autant de bruit et de fureur. Et jamais l’opinion publique française ne s’était rangée aussi massivement du côté de l’un des belligérants, en l’occurrence Israël » [25]. Le fondement du soutien à Israël doit être recherché dans le prolongement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire que les Arabes sont accusés de vouloir « achever » le génocide des juifs dans le monde. A l’opposé des réels rapports de force en présence (l’État hébreu bénéficie d’une écrasante supériorité militaire), se répand la croyance de la vulnérabilité d’Israël et de la volonté d’extermination des Israéliens par les nations arabes.
Cinq ans après la fin de la guerre d’indépendance de l’Algérie, les thèmes de la campagne font ressurgir les représentations coloniales sur le monde des Arabes et des musulmans : monde irrationnel, mu par la cupidité et la fourberie, un islam dont l’essence serait la haine raciale et la tyrannie, etc. La complexité des événements historiques ayant abouti au sort des Palestiniens est réduite à des reconstructions historiques pour justifier les thèses sionistes : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la « fuite » des Palestiniens en 1948, etc. Nasser est dépeint comme un nouvel Hitler ou un Mussolini panarabe, porteur d’un national-socialisme arabe, etc. Il s’agit de « l’une des plus formidables campagnes racistes que la France ait connues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » [26]. Tous les thèmes racistes attribués aux juifs dans les années 1930 sont recyclés pour qualifier l’Arabe : « L’Arabe fut substitué au juif comme incarnation du Mal : fourbe, nez crochu, ogre insatiable dans les dessins de caricature ; couardise, hypocrisie, voracité, saleté ; menace arabo-communiste substituée au danger du judéo-bolchévisme » [27].
Au début du mois de juin 1967, la virulente campagne anti-arabe, qui justifie un racisme banalisé et agressif, est légitimée par les élites politiques et médiatiques, et provoque une recrudescence des agressions à caractère raciste contre des travailleurs et des étudiants arabes. Mis à part le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), toutes les organisations antiracistes, comme la Ligue internationale contre le racisme (LICR) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) éludent le problème. Selon Kassir et Mardam-Bey, la LDH « ferme les yeux sur toute manifestation du racisme anti-arabe si les sionistes, ou leurs amis, en sont responsables » [28]. La cécité des intellectuels de gauche peut s’expliquer non pas par une haine viscérale envers les Arabes, mais, pour certains, par un nationalisme juif, ou par un européocentrisme ambiant. Sartre ne signe aucune pétition contre l’occupation israélienne, Simone de Beauvoir se conforme au point de vue israélien, et la LDH, suivant les positions de son président Daniel Mayer, refuse même de se rendre en Palestine suite à une demande d’enquête pour un cas de torture à Gaza. Les seuls éléments de la gauche française favorables à la cause palestinienne sont le PCF et son journal L’Humanité (mais pour qui la question nationale n’apparaît pas), certains gaullistes de gauche, le courant chrétien de gauche représenté par Témoignage chrétien, et des orientalistes arabisants comme Jacques Berque et Maxime Rodinson. Les « gauchistes », trotskystes ou maoïstes, sont les premiers à souligner la dimension palestinienne du conflit, mais toutes ces voix minoritaires ont peu d’influence sur l’opinion française, malgré les tentatives de création de groupes de pression. La démarche la plus significative est la création à la fin de l’année 1967 de l’Association de solidarité franco-arabe (ASFA), animée par Lucien Bitterlin et parrainée par d’anciens résistants en majorité gaullistes de gauche et des universitaires spécialistes du monde arabe (comme Régis Blachère et Germaine Tillion). L’ASFA - qui commence la publication du bulletin France-Pays arabes en octobre 1968 - joue un rôle fondamental pour nouer des contacts entre l’OLP et la diplomatie française.
La quasi-unanimité du paysage politique français fait des militants pro-palestiniens des hérétiques dans le sens plein du terme. Mais peu à peu des voix (minoritaires) s’élèvent pour rompre l’homogénéité du discours sur le conflit. Ainsi, la création de l’OLP en mai 1964 et l’ascension du Fath stimulent les actions en faveur des Palestiniens. Les premières activités de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS) datent de 1965, en particulier dans les universités parisiennes, à l’initiative de Daoud Talhami, jeune ingénieur en BTP. En collaboration avec l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, la GUPS organise un meeting à la Mutualité, avec pour invité Maxime Rodinson, insistant sur le caractère politique, et non religieux ou racial, du conflit. On retrouve cette volonté de « démystification » du conflit dans le Livre blanc sur la question palestinienne, brochure publiée en juin 1967 à l’initiative du comité de liaison et d’information des organisations d’étudiants progressistes de Lyon [29]. Mai 1968 permet à la jeunesse étudiante de prendre conscience de l’existence des Palestiniens, dont la révolution est assimilée à celle des Vietnamiens et des Cubains.
La bataille de Karameh du 21 mars 1968, qui est restée dans l’imaginaire révolutionnaire comme la première victoire du Fath contre les troupes israéliennes dans la vallée du Jourdain, est un événement d’une considérable portée symbolique en France, en ce sens qu’elle renforce le soutien au Fath dans les universités françaises. Pendant l’occupation de la Sorbonne, des étudiants se sont senti assez sereins pour installer un stand Palestine dans le hall d’entrée, et distribuer des tracts dans le Quartier latin. Mais rapidement le stand est supprimé, en même temps que celui des étudiants sionistes, pour éviter des conflits pouvant entamer l’unité du mouvement étudiant. L’atmosphère est en effet très tendue, d’autant plus que les gauchistes ont écho d’un incident grave à Belleville, évoqué dans Vers la guerre civile d’Alain Geismar, Serge July et Erlyn Morane [30]. Prétextant d’une bagarre entre joueurs de carte, juifs et arabes, la police tente d’opposer habitants juifs et arabes de Belleville entre eux, en affirmant aux commerçants juifs que les Arabes comptent piller leurs magasins. Le quartier, quadrillé par des cordons de CRS, est le théâtre d’affrontements entre la police et les habitants arabes, soutenus par certains étudiants gauchistes. Ceux-ci veulent éviter que la lutte de classe, dans laquelle les travailleurs immigrés tiennent une place importante, soit remplacée par la lutte entre communautés.
Un des chefs d’orchestre du soutien à la cause palestinienne est Mahmoud Hamchari [31], le représentant officieux de l’OLP en France, qui a de plus en plus de relais dans l’Hexagone. Les anciens de la Fédération de France du FLN l’aident à décrypter la situation politique française, et Hamchari bénéficie de l’appui logistique de la Ligue arabe, de l’ASFA et de l’Amicale des Algériens en Europe. Il invite les soutiens français pour des délégations en Palestine. Il est à l’initiative du mensuel Fedayin à la fin de l’année 1969, dont les plumes sont majoritairement des intellectuels arabes maoïstes, et la diffusion assurée par les militants de la Gauche prolétarienne.
Avant Fedayin, le premier mensuel en français consacrée à la résistance palestinienne après juin 1967, Lutte palestinienne, paraît dès le mois de mars 1969. La directrice gérante de la publication est C. Krouch, basée à Paris. Ecrit par des étudiants arabes maoïstes [32], le journal rend compte des débats, conflits et scissions au sein de la résistance palestinienne. Mais il prend nettement position en faveur du Front populaire démocratique de libération de la Palestine [33] (FPDLP), d’inspiration marxiste-léniniste, qui fait scission en février 1969 avec le FPLP de Georges Habache. Afin d’informer le public français (étudiant), quelques articles jouent le rôle de « rappels historiques » sur l’histoire du conflit, et un numéro spécial de cent quinze pages, rédigé par des militants étudiants de Saint-Cloud et de l’École centrale, est consacré à « La lutte de libération nationale du peuple palestinien ». Très renseignés sur les actions commandos du Fath, les militants-journalistes entretiennent des rapports étroits [34] avec les mouvements de libération palestiniens. Le journal couvre aussi les actions des comités Palestine, qui se sont multipliés depuis 1967.
Au premier semestre de l’année 1969, il existait des comités Palestine au moins à Lyon, Saint-Étienne, Paris (en particulier à l’université Censier), Toulouse, Montpellier, à Nanterre (Comité Palestine universitaire Nanterre), mais aussi à l’étranger : Bruxelles (Comité de soutien à la résistance palestinienne et les peuples arabes, CSRPPA), Londres (Comité de soutien à la révolution palestinienne », en anglais CSPR), Scandinavie (Stockholm, Oslo), etc. Leurs actions sont essentiellement des manifestations ou des « journées Palestine », durant lesquelles les comités organisent des conférences, des projections de films, des expositions...
Écrits exclusivement en français dans un premier temps, les articles le sont de plus en plus en arabe, en vue de toucher les travailleurs maghrébins sur les marchés ou les sorties d’usine. Cet activisme en direction de ces travailleurs vaut à la directrice gérante de Lutte palestinienne plusieurs convocations par le ministère de l’Intérieur, et aux militants des arrestations par la police de Colombes [35]. L’attention portée aux travailleurs maghrébins s’affirme au sein de la rédaction, d’où certains articles sur leurs conditions de vie et de travail, graphiques à l’appui. On y retrouve aussi de nombreuses analyses des événements politiques du monde arabe : la répression contre l’UNEM au Maroc, la recomposition de l’extrême gauche tunisienne (le journal publie la plate-forme politique d’un nouveau groupe marxiste-léniniste « Tunisie-Rouge » [36]), etc. L’été 1969, Lutte palestinienne fait face à de considérables difficultés financières, les recettes n’étant pas suffisantes pour permettre sa survie.
Le choc de Septembre Noir
Le mois de septembre 1970 constitue un tournant majeur dans l’histoire du monde arabe et donne un des derniers coups de butoir aux espoirs des révolutionnaires arabes : le président égyptien Gamal Abdel Nasser, principal soutien des mouvements de libération du tiers-monde, meurt, et les camps palestiniens sont décimés par l’offensive du roi Hussein de Jordanie du 16 septembre. En plus des combattants palestiniens armés de fusil et de mitraillettes face aux blindés et à l’artillerie lourde des forces royales, des milliers de réfugiés, femmes et enfants, sont massacrés. Cette tuerie a un retentissement considérable en France, en particulier chez les militants arabes. Tout l’espace politique des étudiants arabes est secoué par la nouvelle, et les militants maoïstes arabes ressentent le besoin de se réunir pour organiser le soutien au peuple palestinien. S’il existait formellement des comités Palestine au sein de la Gauche prolétarienne depuis février 1969, ceux-ci n’avaient pas d’activité. Ce sont des « maos arabes » qui sont à l’initiative des comités Palestine. Certains se sont rencontrés dans les stages d’étude du Petit Livre rouge de Mao. Le degré d’implication des militants arabes au sein de la GP variait beaucoup de l’un à l’autre. Lorsque Mohammed [37], ouvrier algérien militant entretenant des relations avec la librairie Palestine d’Alger, est contacté par des maoïstes, il se méfie. Ils lui demandent s’il a des connaissances sur Paris mais il répond par la négative. Il assiste à un stage sur le Petit Livre rouge pas « inintéressant » mais, selon lui, « c’était pas [aux militants arabes] de s’engager sur le terrain pour développer les idées maoïstes » [38]. D’autres comme Mokhtar (ouvrier marocain), Saïd ou Thérèse (étudiants tunisiens) sont plus impliqués dans la GP. Thérèse (étudiante franco-libanaise) ressent même un sentiment de « fierté » en se présentant comme l’une de ses membres [39].
Septembre Noir est l’élément déclencheur de la création des comités Palestine, créés suite à une réunion d’urgence à la Maison du Maroc peu après les événements. Sont présents des Libanais, des Marocains, des Syriens, des étudiants tunisiens, des Palestiniens de la GUPS dont Kalak [40], dont des militants du futur MTA : Gilles alias « Fathi », Saïd, Hamza, Farid, Ali alias « Ali Clichy », « Mokhtar », Thérèse, Fawzia... Sont aussi présents des « Français de Mai 68 » [41], qui fournissent tout le matériel nécessaire à la mobilisation (ronéo, encre, voitures...). Le comité est conçu à l’image des comités Vietnam de base (CVB ) [42]. L’idée des comités, pour les maoïstes, est de populariser une lutte anti-impérialiste et de tisser un lien avec les conditions de vie et de travail des travailleurs (ou des « masses ») en France. Une des spécificités des CVB et des comités Palestine est leur alignement total sur la ligne politique des combattants. Ce n’est pas le cas des trotskystes, qui ont le projet de révolution socialiste en négligeant la question nationale. Comme pour la pratique de l’établissement [43], les comités visent à supprimer la frontière entre travailleurs et militants (étudiants bourgeois) par un travail de terrain quotidien en vue de politiser les travailleurs, tout en se faisant l’écho de leurs revendications éventuelles. Mais les comités Palestine, groupes non hiérarchisés, ne sont pas restreints aux seuls maoïstes. Le seul critère pour y participer était l’adhésion aux idées [44] des comités Palestine, dont le contenu devait reprendre les principaux termes de la plate-forme des comités Palestine de la Gauche prolétarienne de février 1969. Face à l’urgence de la situation, les comités Palestine répercutent le message de Yasser Arafat : « Ô masses arabes, bougez ! ». Pour disposer d’un outil d’information, ils publient à partir du 15 octobre 1970 le journal Fedaï, journal de soutien à la révolution palestinienne [45], dont une partie de la rédaction est issue de Fedayin, initié par Hamchari.
Fin septembre 1970, la GUPS organise un grand meeting de soutien à la cause palestinienne à la Mutualité, où l’on fait un appel aux dons de sang. C’est pour Fawzia, qui vient de débarquer de Tunis, son premier acte militant en France. Les priorités des comités Palestine sont en effet les besoins immédiats des combattants palestiniens : aide matérielle (envoi d’argent), aide médicale (don de sang) et soutien politique (conférences, journaux, etc.). Dès le 20 septembre, l’organisation du soutien immédiat se dirige vers la Cité universitaire, vers les lycées, mais surtout les quartiers de travailleurs maghrébins de la région parisienne : Gennevilliers, la Goutte d’Or, Belleville, Choisy, Aubervilliers et Saint-Denis. La cause palestinienne est pensée par les militants des CSRP comme un moyen de mobilisation des travailleurs maghrébins : « Le soutien à la résistance palestinienne est une forme de lutte qui aide à la constitution d’une force politique autonome des travailleurs immigrés dans les quartiers, les bidonvilles et les usines » [46].
En novembre 1970, les CSRP de la région parisienne tirent un bilan positif de la campagne autour de Septembre Noir. L’enthousiasme des travailleurs arabes est mesuré par l’achat de Fedaï et l’audience importante des meetings publics dans les salles de cinéma ou simplement sur les marchés durant le mois d’octobre. Dans certaines localités, la simple diffusion de tracts et le collage d’affiches, sans l’existence de comité, amènent une centaine de travailleurs à assister à un meeting. A Nanterre, 600 travailleurs maghrébins, et cent ouvriers français et étrangers, se mobilisent pour une réunion d’information et de soutien. Des ouvriers maghrébins d’une autre ville organisent un réseau de soutien matériel, qui réussit à réunir 2000 francs, que le comité Palestine local remet à une ambassade arabe. Certains ouvriers se présentent devant les militants pour s’engager dans la guerre auprès des fedayin palestiniens. Les usines constituent des terrains politiques de premier choix, à travers la distribution de tracts et la vente du journal à la sortie des usines. La campagne aboutit au rapprochement de plusieurs ouvriers maghrébins, qui vont devenir des activistes à l’intérieur des ateliers, essentiellement en diffusant de l’information sur la Palestine. Mais la répression policière ou les refus de salle (à la Mutualité et à la Cité universitaire) diminue fortement les capacités de mobilisation des comités Palestine. Par exemple, à Gennevilliers une réunion tenue dans la rue est interrompue, suivie de cinquante et une arrestations.
Juste après le massacre de Septembre Noir, la cause palestinienne suscite un vif enthousiasme auprès de l’immigration maghrébine. Tous les militants disent aujourd’hui qu’il suffisait qu’une dizaine de militants se rassemblent et marchent avec un drapeau palestinien à Barbès, pour que des habitants du quartier les suivent par centaines, et que « le drapeau de la Palestine sort[e] comme du blé ! » [47]. Mais il est difficile de cerner le sens de la mobilisation des « masses arabes ». Affirmer qu’elles se mobilisent parce qu’elles sont arabes relèverait d’une approche culturaliste : les Arabes manifesteraient leur solidarité aux Arabes parce qu’ils sont arabes. Les militants des comités Palestine empruntent volontiers cette thématique, mais soulignent que « la révolution palestinienne est justement l’exemple vivant de la souffrance, de la haine et de la force des masses arabes contre l’impérialisme. La [révolution palestinienne] cristallise l’espoir de vaincre l’impérialisme pour toutes les masses arabes y compris en France ». Pour eux, il existe une homologie de position entre les travailleurs maghrébins face au capitalisme français et les Palestiniens face à l’impérialisme sioniste et américain : « Les bidonvilles voient dans les fedayin, ceux qui ont transformé les camps de réfugiés en camp de résistance ».
Les comités étudiants, qui portent la mobilisation dans les universités, s’essoufflent durant le mois d’octobre. Les comités Palestine analysent cette situation comme le résultat d’une rupture avec l’immigration maghrébine : « Coupés des masses, ces comités se sont effrités ou dégénérés. D’ailleurs sans l’appuidesmasses arabes tout soutienresteralimitéet se fera facilement écraser. » Afin de créer ce « mouvement de masse », les étudiants arabes considèrent qu’ils ont un rôle central : « Ils ont un rôle à jouer au niveau de la confiance. Ils servent de pont entre les militants français et les travailleurs immigrés : langue, poids psychologique des étudiants arabes, connaissance des problèmes qui se posent aux travailleurs arabes dans leur propre pays, connaissance de la question palestinienne, etc. » [48]. Ils se rendent dans les cafés et sur les marchés fréquentés par les travailleurs maghrébins pour « faire de l’agitation et de la propagande » afin de créer des comités. Le principal souci quant à l’organisation des comités est qu’ils doivent au maximum être dirigés par des travailleurs activistes, et non par des étudiants : « Si l’on veut enraciner profondément les [comités Palestine] il faut aider les travailleurs immigrés à prendre en main des tâches d’organisation et de direction. Seule une prolétarisation des [comités Palestine] permettra leur développement et en fera une force politique réelle ». Selon cette logique, la prolétarisation de la direction est indispensable, parce que les choix des ouvriers sont nécessairement éclairés de l’expérience de leur condition. L’ouvriérisme est dans l’air du temps : la révolution mondiale est tangible et réalisable pour les militants d’extrême gauche, et les comités Palestine ne dérogent pas à la règle.
Cause palestinienne et cause des immigrés
Les activités de soutien au peuple palestinien se multiplient après septembre 1970, mais les comités Palestine affrontent d’autres problèmes, comme celui des crimes racistes. En février 1971, le président de la République algérienne, Houari Boumediene, décide la nationalisation du pétrole, ce qui provoque une nouvelle campagne de haine anti-arabe en France. L’immigration maghrébine est victime d’attaques dont la fréquence équivaut à légitimer et banaliser cette haine. De février à mars 1971, les CSRP se mobilisent à la fois sur le soutien à la révolution palestinienne, le droit à la parole des travailleurs immigrés, et contre les attaques racistes. Mais la répression contre les militants pro-palestiniens s’intensifie. Les forces de l’ordre tentent en effet d’expulser plusieurs d’entre eux : Abd al-Massih à Lille, « Vasco » à Paris, et Nabil à Lyon. Le jeune lycéen Hamza est arrêté le 29 décembre 1970 en distribuant un tract de soutien à la Palestine devant l’usine Citroën de Nanterre, et condamné à six mois de prison ferme pour port et transport d’armes (dont trois mois commués en sursis). Il entame le 14 janvier 1971 une grève de la faim à la prison de Fleury-Mérogis [49]. A sa sortie de prison, la préfecture le convoque le 30 juin pour être présenté devant une commission d’expulsion, mais une mobilisation de lycéens et les menaces de grève lui accordent un sursis. La police espère que la veille des vacances empêchera une mobilisation contre son expulsion. Vasco est expulsé avant même la commission spéciale (réunie le 12 mars) devant statuer sur son cas. La menace d’expulsion pèse toujours pour les militants arabes à qui on renouvelle les papiers tous les quinze jours, et qui sont constamment surveillés (avec des « visites » fréquentes à leur domicile pour vérification d’identité). De plus, des « attentats » touchent deux militants de Suresnes, et les comités de Marseille subissent des intimidations de la part des forces de police, qui pensent trouver des cellules clandestines du réseau du FPLP en France.
Le 23 juillet 1971, le roi Hussein de Jordanie est invité par Georges Pompidou à l’Élysée. Les comités Palestine ont la conviction que sa visite en France ne doit pas se passer dans le calme. Ils sont décidés à dénoncer l’anéantissement de la résistance palestinienne. Après les massacres de septembre 1970 et le cessez-le-feu, les troupes jordaniennes ont relancé une offensive militaire contre les combattants du Fath, commandés par Abou Ayad. Les Palestiniens sont encerclés dans la banlieue d’Amman ; certains préfèrent traverser le Jourdain et se livrer aux Israéliens plutôt que se rendre aux Jordaniens… Un petit cercle de militants maoïstes [50] organise le jour même, clandestinement, une réunion de coordination dans un amphithéâtre de l’université Dauphine. Les centaines de participants, dont certains membres des comités Palestine, prennent connaissance de l’objectif et du plan d’action le jour même. Tous les manifestants sortent ensemble, à petites foulées, et traversent le bois de Boulogne pour finalement atteindre l’ambassade de Jordanie, située sur le boulevard Maurice-Barrès, à Neuilly. A 18 h 30, le portail d’entrée est défoncé et plusieurs cocktails incendiaires sont projetés à l’intérieur de la représentation diplomatique, atteignant le bureau de l’ambassadeur Ali Abou Naouar (accusé d’avoir participé aux massacres de septembre 1970 par les militants). Les flammes commencent à noircir la façade lorsque les manifestants se replient, laissant derrière eux un drapeau palestinien accroché à une grille. C’est juste après l’incendie que Christian Riss, ancien élève de l’École normale supérieure et cofondateur de l’UJC(ml), est interpellé porte Maillot. Un des deux agents de police ouvre le feu sur lui, la balle traverse son poumon. Riss reste allongé sur le sol pendant une demi-heure avant qu’il ne soit évacué à l’Hôtel-Dieu. Le 29 juillet, un comité de défense de Christian Riss est créé par Michel Foucault, Maurice Clavel et Jean-Marie Domenach.
L’attaque devait normalement être suivie d’un meeting à la Mutualité pour expliquer le sens de l’action aux « masses ». Or, à cause de la négligence des militants des CSRP dans sa préparation, il fut annulé. L’absence de réunion publique explicative est considérée a posteriori comme une erreur politique grave puisque l’action pouvait être perçue par le public comme une simple vengeance personnelle contre Hussein et non comme un acte politique. De fait, il s’agit du genre d’actions qui n’est pas décidée démocratiquement au sein des comités, et tout le monde n’en fut pas informé. Il semble qu’elle relevait de l’initiative individuelle de quelques militants. En tout cas, elle suscite un débat au sein des comités : « Après l’attaque de l’ambassade, des divisions sont apparues. Certains préféraient passer leur temps à se disputer dans les réunions plutôt que de retourner dans les masses pour continuer le travail d’explication. Certains ont voulu faire des comités l’organisation de 80 personnes capables d’exécuter des actions militaires, au lieu d’en faire l’organisation des larges masses arabes qui participent à la lutte contre le sionisme » [51]. Le bilan de l’été 1971 explique cette dérive par l’isolement des ouvriers et par les « mauvaises méthodes de travail » entraînant une rupture vis-à-vis des travailleurs maghrébins. Les militants des comités Palestine retiennent alors la leçon politique suivante : « Si nous voulions développer la révolution arabe et soutenir la révolution palestinienne, il ne suffisait pas de faire des actions, mais il fallait que nous mobilisions, avec une propagande et des cibles claires et précises, le maximum de gens. »
Après l’attaque de l’ambassade de Jordanie, « ça commence à être très dur » [52] pour les militants « de base » des comités. Mohammed est interpellé par la police parisienne. Alors qu’il prépare son repas pour l’usine dans la cuisine collective de son foyer, des policiers lui intiment l’ordre de le suivre. Ils se rendent dans sa chambre, et les policiers aperçoivent tous les posters et photos à la gloire de la cause palestinienne : visages de Yasser Arafat, images de fedayins une Kalachnikov à la main, des keffieh palestiniens, etc. : « En effet, soupirent les policiers, tu es en plein dedans ». Ils l’emmènent au commissariat de police du 18e arrondissement de Paris. L’interrogatoire porte sur ses connaissances, son éventuelle participation à certains événements, ses éventuels voyages au Moyen-Orient. Il réplique qu’ils n’ont qu’à vérifier auprès de son usine les jours où il n’a pas pointé, et qu’il soutient la cause palestinienne comme beaucoup de monde, sans que ça ne soit illégal à ses yeux.
Selon Mohammed, les militants de banlieue « sur le terrain » ont été un peu « gênés » par l’action du commando militaire : « Ils ont un peu peur ». Il s’agit de nouveaux militants ouvriers maghrébins qui craignent un durcissement de la ligne politique des comités et de la répression policière : « C’est là qu’on a commencé à perdre des militants ». Politiquement, « ça a été un peu trop vite ». Même si les circonstances ont précipité les choses, ils n’avaient pas véritablement « forgé les grandes masses » pour que l’attaque soit soutenue politiquement. Pour Mohammed : « On a commis une erreur, il faut dire la vérité […] malheureusement on a jamais fait le bilan, c’est ça notre tort aussi ». Cette donnée a son importance puisque les actions militaires ont finalement joué en défaveur de la mobilisation : « Ça a joué un rôle de démobilisation sur la population, pas sur les militants ».
Au cours l’été 1971, les divisions au sein des CSRP très marquées. Sans que les archives puissent nous indiquer exactement les arguments des défenseurs de la proposition, certains militants ont apparemment avancé l’idée de la dissolution des comités. D’une part, cette idée est uniquement exprimée, pour la réfuter, dans le bilan du comité de Gennevilliers : « C’est dans les CSRP que les travailleurs arabes ont appris à retrouver leur dignité en tant qu’ouvriers arabes et qu’ils ont développé une résistance de masse. C’est autour des CSRP que l’autonomie du mouvement des travailleurs arabes s’est développée. […] La liquidation des CSRP serait une grave erreur. D’une part, la [révolution palestinienne] est une arme pour continuer à unir les larges masses arabes. D’autre part, le peuple palestinien a plus que jamais besoin du soutien des masses arabes : nous ne trahirons pas sa révolution » [53]. D’autre part, les divisions internes ont conduit la majorité des comités à effectuer un « assainissement » [54] : « Au cours de l’été nous avons combattu la droite au sein de nos rangs. La droite se manifestait de la manière suivante : ne pas mener la guerre contre les racistes et les flics ; se couper des usines ; faire un travail de routine dans les cafés. » Il semble que les cibles de l’« assainissement », qui se conclut par une augmentation des défections, soient les militants opposés à une ligne trop « militariste » des comités.
La dissolution des comités Palestine
Après la campagne de Marrakech [55] et l’affaire Djilali Ben Ali [56], l’enjeu est la transformation des comités Palestine. L’affaire Djilali a révélé un fait indéniable : l’Amicale algérienne est affaiblie à cause de ses compromissions successives. Pour les militants arabes des comités, « il y a une place [...] vide dans le 18e, c’est la place qu’occupait le FLN pendant la révolution. A Barbès, il est temps de créer une organisation de masse semi-clandestine ». [57] Par ailleurs, les militants font le constat que les techniques d’agitation maoïstes ne réussissent pas à déclencher une prise de conscience et l’engagement politique des travailleurs maghrébins : « Tant que les masses n’auront pas commencé à s’organiser en réseaux, on ne pourra pas appeler à des meetings, on ne pourra pas réunir les travailleurs immigrés. » Le rassemblement pour Djilali les convainc de l’existence d’un vivier de militants à Barbès et que les travailleurs maghrébins sont prêts à s’organiser pour continuer la lutte antiraciste. Les comités font une référence explicite aux méthodes du FLN algérien : organisation en cellules, travail clandestin, etc. L’objectif est alors de créer une organisation dont les cellules de base sont le café et le foyer de travailleurs immigrés. Il s’agit d’opérer une transformation radicale des comités tant au niveau de l’organisation qu’à celui des pratiques militantes : « Nous pensons qu’il faut que les comités Palestine se transforment en organisation des larges masses arabes, qu’il faut pour cela abandonner le style de travail de groupe d’agitateurs. » Le renoncement aux méthodes d’agitation vise à donner aux militants des gages de respectabilité et à créer une confiance pour des hommes et des femmes sérieux ayant le sens du devoir et de la responsabilité : « Il faut une organisation sérieuse : on ne peut plus travailler n’importe comment, sans local, sans finances, sans organisation matérielle (ronéo, etc.). Si on n’est pas sérieux les masses n’auront pas confiance et elles auront raison. C’est pourquoi les questions matérielles (librairie, local, cartes d’adhésion) sont très importantes. »
C’est ainsi que les comités Palestine décident leur dissolution [58] en vue de la création d’une autre organisation. En fait, tels qu’ils avaient été pensés en septembre 1970, ils ne sont plus adaptés au contexte de 1972. Puisque les militants arabes se donnent pour objectif de « libérer l’initiative des masses », ils ne peuvent pas ne pas prendre en compte, dans leur analyse politique de la situation, un certain nombre d’éléments absents au moment de leur fondation. Il s’agit pour eux de « suivre le mouvement de masse », ou de s’adapter au terrain, afin d’amplifier son essor et de lui donner des formes d’organisation. En effet, de nombreuses luttes ont été menées à travers le territoire français par des travailleurs ou familles maghrébins, et pas uniquement pour la Palestine. Elles émergent fin 1971 et courant 1972, et annoncent les thèmes porteurs des mobilisations à venir : luttes des mal-logés (familles populaires et célibataires des foyers), luttes pour les papiers, et luttes en usine par les travailleurs immigrés.
Depuis 1969, face à la pénurie de logements à Paris et l’insalubrité des bâtiments habités par les familles pauvres, un mouvement important d’occupation des logements vides est apparu. Des familles maghrébines et françaises occupent des immeubles vides des 14e, 18e, 19e et 20e arrondissements de Paris. L’occupation la plus emblématique est celle du 42 boulevard de la Chapelle, organisée au printemps 1972, qui aboutit à la création d’un comité de lutte de mal-logés. Pour les militants des comités Palestine, il s’agit d’aider les habitants dans leur lutte pour le logement.
Par ailleurs, le nombre des grèves ouvrières de travailleurs immigrés s’est accru. La première grande grève a lieu à Girosteel, petite entreprise du Bourget employant 120 travailleurs immigrés. Ils s’organisent en comité de grève et occupent l’usine pendant deux mois, de début février au 14 avril 1972. La grève est soutenue par une section de la CFDT mais dénoncée par la CGT. Le 20 janvier 1971, se déclenche à l’usine Pennaroya (affinage des métaux non ferreux) de Saint-Denis une grève d’ouvriers immigrés (120 Marocains, Algériens, Tunisiens, Maliens et Sénégalais) qui dure dix-sept jours. Les grévistes posent le problème du droit à la santé à travers la question du saturnisme (maladie laissant des séquelles graves et contractée par le contact avec le plomb). La plupart des ouvriers sont embauchés sans visite médicale à leur arrivée en France, et sont expulsés dans leur pays d’origine une fois devenus malades. Grâce à un travail de coordination, les ouvriers immigrés des usines Pennaroya de Saint-Denis, de Lyon et d’Escaudoeuvres déposent en même temps, le 27 décembre 1971, leurs trois cahiers de revendications, que la direction rejette aussitôt. Les ouvriers occupent alors deux des usines au mois de février 1972, pendant deux jours à Saint-Denis, et trente-deux à Lyon. Les grévistes ne bénéficient pas de soutien syndical puisque la CGT ne les a pas suivis. Ils s’organisent alors de manière autonome, en créant une section syndicale CFDT. Cependant, ils réussissent à tisser des liens de solidarité avec des paysans de la région lyonnaise et avec les grévistes de Girosteel pour qui ils font des collectes de solidarité et organisent un gala de soutien.
De plus, des travailleurs immigrés se mobilisent aux établissements Chausson, ainsi qu’à l’usine de sucre Lebaudy. Dans cette dernière, située dans le 19e arrondissement, la mobilisation est déclenchée par la mort de Saïd Bouchariou, ouvrier algérien. L’ingénieur en chef de l’usine de sucre lui avait demandé de nettoyer une cuve, mais alors qu’il descendait d’une échelle mobile, une machine s’était mise en marche et l’avait tué sur le coup. Les ouvriers dénoncent les conditions de travail et la négligence de la direction, qui n’a pas fait vérifier les installations depuis dix-sept ans.
Avant même les circulaires Marcellin-Fontanet qui, quelques mois plus tard, restreignent l’accès à la carte de séjour et déclenchent le mouvement des sans-papiers, les militants des comités Palestine ont écho du premier cas de grève de la faim d’un sans-papiers. A Amiens, en octobre 1971, les autorités françaises décident l’expulsion de Sadok Djeridi, ouvrier tunisien arrivé deux ans auparavant en France, et de sa famille, sous prétexte qu’il n’est plus apte à travailler (malgré de nombreuses visites et contre-visites médicales prouvant le contraire). Un comité antiraciste est créé à l’initiative de militants maoïstes et, suite à cette mobilisation, Sadok obtient sa carte. Durant la même période, les militants des comités Palestine répondent à des besoins d’ordre plutôt culturel ou religieux, qui constituent les premières brèches au mythe du retour et annoncent l’installation durable des familles maghrébines sur le territoire français. Fin janvier 1972, ils organisent la fête d’Aïd el-Kebir dans les rues de Belleville, malgré une forte présence policière. L’année précédente, ils avaient organisé la collecte de la zakat (aumône), pour le Croissant-Rouge palestinien.
Du point de vue des militants des comités Palestine, l’émergence du mouvement des mal-logés, la multiplication des luttes antiracistes, des grèves menées par des ouvriers maghrébins, et les nouveaux besoins culturels des familles maghrébines nécessitent la dissolution des comités et leur restructuration dans une organisation autonome des travailleurs arabes. Plus globalement, cette décision de dissolution, ainsi que l’apparent renoncement aux pratiques d’agitation propres aux maoïstes, reflètent l’isolement dans lequel les militants maoïstes se trouvent à cette époque. Ils sont face à une impasse politique. Pour les militants arabes des comités Palestine, le retour aux besoins des « masses arabes » illustre une volonté de survie politique. De leur point de vue, ne pas répondre aux attentes des travailleurs maghrébins aurait été un contresens historique et un suicide politique. Or nombre d’entre eux leur disent : « Vous nous parlez de la Palestine, nous on est dans la merde. Qui est-ce qui va nous défendre ? » [59]. Ils perçoivent que l’esprit des travailleurs a changé et que continuer dans la même direction ne correspondrait plus à la réalité vécue. D’où l’état d’esprit de Mohammed au moment de la dissolution des comités Palestine : « Il faut faire quelque chose sinon on va perdre le terrain [...] pour ne pas perdre le terrain, on a décidé de créer le MTA. »
La création du MTA en juin 1972 ne va pas diminuer l’ampleur du soutien à la cause palestinienne, bien au contraire. Les comités Palestine servent de base organisationnelle pour l’organisation du MTA sur tout le territoire français. A Paris, Marseille, Aix, Lyon, Grenoble, Lille, Roubaix, Toulouse..., les militants des ex-comités Palestine mobilisent leur savoir-faire politique et leurs connaissances sur la question palestinienne pour la création d’associations ou de collectifs de soutien à la cause palestinienne. Encore aujourd’hui, les anciens militants du MTA, devenus « militants indépendants » ou membres de collectifs locaux, participent à ce mouvement, illustrant leur continuel attachement au peuple palestinien.
Annexe Plate-forme politique du comité Palestine
Lundi 10 février 1969
– I) Les comités Palestine sont créés dans le but de soutenir la lutte révolutionnaire du peuple palestinien contre le sionisme et l’impérialisme avec à sa tête l’impérialisme américain et d’appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine.
– II) Les C.P. rejettent toute solution négociée qui ne tiendrait pas compte des droits nationaux du peuple palestinien sur la Palestine tout entière. Par conséquent, les C.P. rejettent la résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967.
– III) Les C.P. soutiennent la guerre populaire qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de récupérer ses droits historiques et légitimes. Cette lutte s’inscrit dans le cadre de la lutte mondiale contre l’impérialisme et ses alliés objectifs, les oligarchies intérieures.
– IV) Les C.P. soutiennent toute lutte du mouvement de libération palestinien contre tout régime, arabe ou non, réactionnaire ou pseudo progressiste, qui voudrait soit éliminer, soit récupérer le mouvement de lutte palestinienne.
– V) Les C.P. soutiennent le mouvement de libération palestinien dans sa volonté de détruire l’Etat d’Israël en tant qu’Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste. Les C.P. soutiennent donc, comme l’a déjà fait le mouvement de libération palestinien, tous les groupes et militants, dont les militants juifs qui à l’intérieur d’Israël ou ailleurs, combattent pour les mêmes objectifs que les Palestiniens arabes.
– VI) Les C.P. luttent contre le sionisme et le racisme antijuif qui sont à l’origine de la création de l’Etat d’Israël et contre l’exploitation raciste (antijuive ou anti-arabe) du problème palestinien par les groupes fascistes et néofascistes.
– VII) Les C.P. considèrent que la lutte révolutionnaire du peuple palestinien est partie intégrante de la révolution mondiale, qu’elle peut jouer un rôle important dans la prise de conscience anti-impérialiste en Europe et en France et qu’elle se trouve à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire des pays arabes et du Proche-Orient.
– VIII) Les C.P. forment une coordination. Cette coordination est composée de deux délégués de chaque comité Palestine. Des militants sont mandatés par l’assemblée pour certains travaux, ces militants sont révocables à tout moment.
Vive la lutte révolutionnaire du peuple palestinien !
Comité Palestine
Notes :
[1] Samir Kassir et Farouk Mardam-Bey, Itinéraires de Paris à Jérusalem. La France et le conflit judéo-arabe, tome II, 1958-1991, Paris, Minuit, coll. « Les livres de la Revue d’Études Palestiniennes », 1993.
[2] Denis Sieffert, Israël-Palestine, une passion française, Paris, La Découverte, 2004.
[3] Selon l’expression de Kassir et Mardam-Bey, op. cit.
[4] Cf. la thèse en cours d’Alexandre Mamarbachi (Université Paris X, Nanterre).
[5] Cf. Abdellali Hajjat, Éléments pour une sociologie historique du Mouvements des Travailleurs Arabes (1970-1976), mémoire de DEA de Sciences Sociales, Paris, ENS-EHESS, 2005, sous la direction de Stéphane Beaud.
[6] Mehdi Bennouna, Héros sans gloire. Échec d’une révolution 1963-1973, Casablanca, Tarik Éditions, coll. « Témoignages », 2002, p. 85.
[7] Cedetim, Les immigrés, Paris, Stock, 1975, pp. 107-108.
[8] Mogniss H. Abdallah, J’y suis, j’y reste ! Les luttes de l’immigration depuis les années 1960, Paris, Reflex, 2000, p. 19.
[9] Ne disposant d’étude complète sur la question, on se réfère aux indications fournies par le Cedetim (op. cit., p. 109 et suite). Sauf indication contraire, les citations suivantes sont extraites de cette référence.
[10] Issus de la lutte anticoloniale panarabe de l’Armée de Libération Nationale (ALN), de la relève de l’UNFP et de l’UNEM (notamment scolarisée dans le lycée nationaliste Nahda de Salé).
[11] Notamment en 1959, contre les éléments de l’ALN hostiles au roi Hassan II et prêchant la continuation de la lutte anticoloniale sur le front algérien : « La France, soucieuse de les dissuader de prêter main forte à leurs frères algériens, met ses pilotes au service du jeune prince » (Bennouna, op. cit., p. 36).
[12] Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération. Tome 2 : Les années de poudre, Paris, Seuil, coll. « Points », 1987, p. 390.
[13] Selon les préceptes maoïstes, tout révolutionnaire marxiste-léniniste se doit d’être attentif aux préoccupations et aux besoins des classes populaires. La pratique de l’enquête, qui consiste à s’immerger dans les « masses » - « comme un poisson dans l’eau » selon Mao, par des discussions, des observations, etc. - est la méthode recommandée des maoïstes.
[14] Christophe Bourseillier, Les maoïstes, Paris, Plon, 1996, p. 80.
[15] Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles, Complexe-Le Monde diplomatique, coll. « Questions à l’Histoire », 2005, p. 111.
[16] Cf. la plate-forme en annexe.
[17] Cf. Mahmoud Hussein, La Lutte de classes en Égypte de 1945 à 1968, Paris, Maspero, 1969.
[18] La délégation était composée de militants de la GP, de la Ligue communiste (Pierre Rousset), de l’Association de Solidarité Franco-Arabe, et d’individus sans affiliation organisationnelle.
[19] Il s’agit de la ville de la première action de guérilla de l’OLP en Palestine, à la veille du 1er janvier 1965. C’est le nom que prendra une version du journal du MTA et aussi la troupe de théâtre issue du MTA.
[20] Hamon et Rotman, op. cit., p. 94.
[21] « Liberté, Liberté, tu tueras tous les ennemis du Fath ! Nous sommes tous des Feddayins ! », La Cause du Peuple, n°13, 13 octobre 1969.
[22] Hamon et Rotman, op. cit., p. 187.
[23] Le Secours rouge est créé par la GP pour élargir l’audience de l’organisation vis-à-vis des non-maoïstes engagés dans certaines luttes (contre le racisme, soutien aux travailleurs immigrés, etc.), au moment de son isolement croissant et de la forte répression gouvernementale.
[24] Kassir et Mardam-Bey, op. cit., p. 127.
[25] Ibid., p. 131.
[26] Ibid., p. 140.
[27] Ibid.
[28] Ibid., p. 141.
[29] Ce comité est composé de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), l’AGEL, l’Association des étudiants arabes en France, l’Association des étudiants libanais en France, les Étudiants socialistes unifiés, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, l’Union des étudiants vietnamiens en France, l’UGET, l’UJCml, l’UNEA et l’UNEM.
[30] Alain Geismar, Serge July et Erlyn Morane, Vers la guerre civile, Paris, Éditions et publications premières, 1969, pp. 339-340.
[31] Fils de paysans, il est arrivé à Paris en 1969. Selon Kassir et Mardam-Bey, il était « à la fois ingénu et rusé, méfiant et jovial, [et] allait faire preuve d’incontestables qualités politiques » (op. cit.., p. 170).
[32] Les articles ne sont pas signés. Il est donc impossible d’identifier les auteurs.
[33] Cf. la publication de sa plate-forme politique dans Lutte Palestinienne, n°2, 15 avril, 1969.
[34] Cf. une interview d’un responsable du FPDLP dans Lutte Palestinienne, n°3, 1er juin 1969.
[35] Cf. le supplément « Nous sommes tous des fedayin » de Lutte Palestinienne, n°8, juin-juillet 1969.
[36] Fusion de« Vive la révolution » et du « Groupe Marxiste-Léniniste Tunisien ».
[37] Conformément à la volonté des militants rencontrés, leur nom patronymique n’est pas mentionné.
[38] Entretien avec Mohammed, banlieue parisienne, 9 avril 2005.
[39] Entretien avec Thérèse, Paris, 9 mai 2005.
[40] Il devient représentant officieux de l’OLP en France après l’assassinat de Hamchari, décédé le 9 janvier 1973, suite à un attentat perpétré par les services secrets israéliens le 8 décembre 1972. Kalak sera lui aussi l’objet d’un attentat le 3 août 1978 à Paris.
[41] Entretien avec Fawzia, Paris, 25 janvier 2005.
[42] Créés en 1967, les CVB représentent la forme d’organisation typique des maoïstes français. Dans une volonté de rupture avec les organisations traditionnelles, les CVB visent à offrir un maximum d’autonomie à la « base » et à pratiquer un travail de terrain, au plus près de la « base », en particulier en direction des quartiers ouvriers (Ross,op. cit., pp. 97-99).
[43] Afin de se « fondre » dans la classe ouvrière et supprimer la barrière entre étudiants bourgeois et ouvriers, certains groupes d’extrême gauche, trotskystes et maoïstes, ont pratiqué l’établissement, qui consiste à renier totalement sa classe sociale d’origine et à s’établir (travailler) en usine en tant qu’ouvrier.
[44] L’idée de charte et de statuts des CSRP n’apparaît qu’en septembre 1971.
[45] Dont les articles ne sont pas exclusivement consacrés à la Palestine. On y retrouve constamment des informations sur les luttes ouvrières du Maroc et de Tunisie. Sur le logo figurent des kalachnikovs.
[46] Cf. « Comités Soutien à la Révolution Palestinienne. Éléments de travail proposés par le comité d’initiative. Bilan politique de deux semaines de travail », Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), Mfc 215/6.
[47] Entretien avec Mohammed, op. cit.
[48] « Bilan politique de deux semaines de travail », op. cit.
[49] Cf. la lettre de prison de Hamza Bouziri dans « Un détenu politique arabe explique pourquoi il fait la grève de la faim », BDIC F delta rés. 576/5/9/1, où il écrit : « J’ai été jugé et condamné à 6 mois de prison ferme, parce que je suis arabe et que je soutiens la Révolution Palestinienne. Je suis solidaire de la lutte de tous les autres prisonniers politiques en France qui luttent contre le système pénitentiaire pour obtenir leurs droits politiques. Mais aussi, la grève de la faim que je mène, m’inspirant du glorieux exemple que nous ont donné nos camarades du FLN détenus pendant la guerre d’Algérie, est le moyen pour moi de soutenir activement la Révolution Palestinienne ».
[50] Organisés dans le groupe « Karameh » de la Milice Ouvrière Multinationale.
[51] « Bilan des Comités de Soutien à la Révolution Palestinienne », non daté (été 1971), BDIC F delta rés. 576/5/9/1.
[52] Entretien avec Mohammed, op. cit.
[53] « Supplément au bilan des Comités de Soutien à la Révolution Palestinienne », op. cit.
[54] CSRP, « Bilan Septembre 1971 », Mfc 215/6, écrit par les tenants de l’assainissement.
[55] Le 17 septembre 1971, le tribunal régional de Marrakech rend public son jugement des militants et cadres de l’UNFP accusés de trouble à l’ordre public, de détention d’armes et de tentative de coup d’État. Les Comités lancent une campagne de soutien aux accusés.
[56] Djilali Ben Ali, jeune Algérien de 15 ans, est assassiné le 27 octobre 1971 dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, par le concubin de la concierge de l’immeuble où il habitait. C’est le point de départ d’un grand mouvement anti-raciste qui culmine avec une manifestation de 3000 personnes sans précédent depuis le 17 octobre 1961 à Paris.
[57] « Où en sont les Comités Palestine depuis la campagne anti-raciste sur Djellali ? », non daté (fin 1971, début 1972), BDIC Mfc 215/6.
[58] Cf. la déclaration de dissolution des Comités de Soutien à la Révolution Palestinienne, BDIC Mfc 215/6, non daté (mars-avril 1972).
[59] Entretien avec Mohammed, op. cit.