Les défenseurs du cheikh Al-Nimr redoutaient le pire depuis que les forces de sécurité saoudiennes avaient été mises en état d’alerte il y a quelques jours. Leurs craintes se sont révélées exactes. Le célèbre prédicateur chiite a été exécuté samedi 2 janvier, avec quarante-six autres personnes condamnées pour « terrorisme », dont des militants d’Al-Qaida. Sa mise à mort promet d’attiser les haines sectaires au Moyen-Orient, d’accroître les tensions entre l’Iran et le royaume wahhabite, qui se combattent déjà, par alliés interposés, en Syrie et au Yémen, et donc de nuire aux efforts, récemment relancés, pour régler ces deux conflits.
« Je ne doute pas que ce sang pur tachera la maison [de la famille] Al-Saoud et qu’ils seront balayés des pages de l’histoire », a réagi l’ayatollah iranien Ahmad Khatami, en référence à la dynastie au pouvoir à Riyad. « Le monde islamique va exprimer son indignation et dénoncer ce régime infâme autant que possible », a ajouté le dignitaire iranien, membre de l’assemblée des experts. « Riyad paiera un prix élevé », a déclaré le porte-parole du ministère des affaires étrangères de l’Iran.
Désobéissance au souverain
Agé de 56 ans, Nimr Baqer Al-Nimr, avait été le chef de file des manifestations qui avaient ébranlé la province orientale du royaume, fief de la communauté chiite saoudienne, entre 2011 et 2012, en parallèle des « printemps arabes ». Dans ce pays qui se définit comme le gardien de l’orthodoxie sunnite, régi par le wahhabisme – une version ultrapuritaine de l’islam –, les chiites, qui sont deux millions sur une population dix-huit millions, s’estiment souvent marginalisés et harcelés par l’appareil policier.
Le cheikh Al-Nimr s’était distingué par quelques prêches provocateurs, notamment celui où il s’était réjoui de la mort du prince héritier Nayef, en 2012. Un an plus tôt, dans une autre diatribe, il avait appelé à une sécession de l’est de l’Arabie saoudite et à sa fusion avec le royaume voisin de Bahreïn, ébranlé à l’époque par la révolte de la majorité chiite contre la dynastie sunnite des Al-Khalifa. Surtout apprécié de la jeunesse déshéritée de Qatif, la capitale des chiites sur la côte est, le religieux était considéré comme un dur par rapport à d’autres religieux, plus modérés, comme le cheikh Hassan Al-Safar.
Il n’avait cependant jamais cautionné les actes de violence perpétrés à la fin du soulèvement, et de façon résiduelle depuis, par une poignée de radicaux, implantés principalement à Awamiyah, un quartier de Qatif. Une prudence insuffisante aux yeux des autorités. Arrêté en juillet 2012, Al-Nimr avait été condamné à mort en octobre 2014 pour sédition, désobéissance au souverain et port d’armes par un tribunal de Riyad spécialisé dans les affaires de terrorisme.
Mélanger opposants et terroristes
A l’époque, de nombreux observateurs s’attendaient à ce que la cour suprême cassât ce verdict préliminaire, unanimement condamné par les organisations internationales de défense des droits de l’homme. Ou bien à ce que le roi Abdallah le commuât en peine de prison à perpétuité. Mais celui-ci, mort trois mois plus tard, a été remplacé par un nouveau souverain, Salman, obnubilé par la menace iranienne – et par extension chiite –, comme l’a montré sa décision d’entrer en guerre contre les milices houthistes au Yémen, de confession zaïdite, une branche du chiisme.
Les deux super-ministres sur lesquels le roi s’appuie, son fils et vice-prince héritier, Mohammed Ben Salman, titulaire du portefeuille de la défense, et son neveu et dauphin Mohammed Ben Nayef, chargé de l’intérieur, ont par ailleurs construit leur ascension politique sur une image d’homme à poigne, inflexible. Ils pouvaient d’autant moins y renoncer qu’une rivalité feutrée les oppose. Le triumvirat en place à Riyad n’était donc pas porté naturellement à la clémence.
Les dirigeants saoudiens redoutaient probablement aussi d’être accusés de mollesse par le clergé wahhabite, l’autre pilier du royaume avec la famille Al-Saoud, qui considère le chiisme comme une branche déviante de l’islam. Une grâce du cheikh Al-Nimr serait mal passée dans les milieux les plus conservateurs du pays, alors que des dizaines de sunnites, impliqués dans des attaques revendiquées par Al-Qaida, s’apprêtaient à être mis à mort et que le royaume durcit le ton contre l’organisation Etat islamique, en annonçant la formation d’une coalition antiterroriste.
La liste des personnes tuées samedi inclut le nom de Fares Al-Shuwail, présenté par les médias saoudiens comme un leader religieux d’Al-Qaida, arrêté en août 2004, à l’époque où l’organisation d’Oussama Ben Laden commettait de nombreux attentats dans le royaume. En exécutant le même jour à la fois des chiites et des sunnites, quitte à mélanger opposants et terroristes, le royaume espère désamorcer les critiques qui l’accusent de discriminations antichiites.
La manœuvre ne devrait pas avoir beaucoup de succès. Riyad a déjà envoyé des renforts de police à Qatif, en prévision d’une relance des troubles dans la province orientale. A Bahreïn, archipel satellite de l’Arabie saoudite, des manifestations de protestations ont commencé dans les villages chiites du sud de Manama, la capitale. La mise à mort d’Al-Nimr risque d’approfondir la défiance entre Téhéran et Riyad, au moment où le lancement de pourparlers de paix, sur le Yémen (un deuxième round de négociations est prévu pour la mi-janvier en Suisse) et sur la Syrie (une première rencontre entre pro et anti-Bachar Al-Assad est programmée pour le 25 janvier à Genève), nécessite au contraire un rapprochement entre les deux rivaux. Au Yémen, le mouvement houthiste a annoncé porter le deuil « d’un guerrier saint » exécuté « après une parodie de procès et en violation flagrante des droits de l’homme ». La coalition arabe menée par Riyad a enterré pour sa part le cessez-le-feu entré en vigueur le 15 décembre et violé à de multiples reprises depuis cette date.
Dans une déclaration à l’Agence France-Presse, Mohamed Al-Nimr, le frère du défunt cheikh, a espéré que « la voix de la modération et un règlement politique prévaudront ». Mais il est peu probable que ses mots de paix soient entendus.
Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Correspondant au Proche-Orient
* « L’exécution du cheikh Al-Nimr creuse la cassure confessionnelle du Moyen-Orient ». Le Monde.fr | 02.01.2016 à 13h23 • Mis à jour le 02.01.2016 à 15h54 :
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/02/execution-d-al-nimr-riyad-prend-le-risque-d-attiser-les-haines-sectaires-au-proche-orient_4840902_3218.html
L’Arabie saoudite exécute 47 personnes, dont le cheikh chiite Al-Nimr
L’Arabie saoudite n’aura pas tardé pour pratiquer ses premières exécutions de l’année. Le royaume a tué quarante-sept personnes condamnées pour « terrorisme », dont le dignitaire chiite Nimr Baqer Al-Nimr, figure de la contestation contre le régime. C’est ce qu’a annoncé, samedi 2 janvier, le ministère de l’intérieur. Cette exécution a aussitôt suscité l’indignation des populations chiites de la région.
Virulent critique de la dynastie sunnite des Al-Saoud, le cheikh chiite Nimr Baqer Al-Nimr a été le fer de lance d’un mouvement de protestation qui avait éclaté en 2011 dans l’est du pays. C’est dans cette région que vit l’essentiel de la minorité chiite, qui dénonce sa marginalisation par les autorités. Nimr Baqer Al-Nimr avait été condamné à mort en octobre 2014 pour sédition, désobéissance au souverain et port d’armes par un tribunal de Riyad.
Téhéran dénonce cette exécution
Son frère, Mohammed Al-Nimr, a prévenu samedi que son exécution pourrait provoquer une poussée de « colère des jeunes » chiites dans le royaume. « J’espère qu’il y aura un mouvement de protestation pacifique », a-t-il ajouté. Ali Al-Nimr, 20 ans et neveu du cheikh Nimr, condamné à la peine de mort en mai 2014 pour avoir participé à des manifestations dans l’est du pays, ne figure pas parmi les personnes exécutées.
Téhéran a également réagi samedi, accusant Riyad de « soutenir les terroristes » tout en « supprimant » les opposants. « Le crime de l’exécution du cheikh Al-Nimr fait partie du fonctionnement criminel de cette famille [Al-Saoud] traîtresse. Le monde islamique va exprimer son indignation et dénoncer ce régime infâme autant que possible, a déclaré l’ayatollah Ahmad Khatami. Je ne doute pas que ce sang pur tachera la maison [de la famille] Al-Saoud et qu’ils seront balayés des pages de l’histoire », a ajouté le dignitaire iranien.
A Bahreïn, des dizaines de personnes ont manifesté dans le village chiite d’Abou Saïba, à l’ouest de Manama, la capitale, pour dénoncer cette exécution. En Irak, Khalaf Abdelsamad, le chef du bloc parlementaire du parti chiite Al-Daawa – le parti du premier ministre Haïder Al-Abadi – a exhorté le gouvernement à « fermer l’ambassade d’Arabie saoudite en Irak, expulser l’ambassadeur et exécuter tous les terroristes saoudiens emprisonnés en Irak ». « L’exécution du cheikh Al-Nimr aura de graves conséquences », a-t-il prévenu. Le Hezbollah chiite libanais a également condamné « un crime haineux [perpétré] sur la base de fausses allégations, de lois corrompues et d’une logique pervertie ».
Un nombre d’exécutions record en 2015
Parmi les quarante-sept personnes tuées samedi figurent des sunnites condamnés pour leur implication dans des attentats revendiqués par Al-Qaida entre 2003 et 2006. Plusieurs milliers de personnes sont actuellement emprisonnées en Arabie saoudite pour leur participation présumée à cette série d’attaques, qui ont tué des centaines de personnes.
Le communiqué du ministère de l’intérieur diffusé samedi débute par des versets du Coran censés justifier le recours à ces exécutions, et la télévision saoudienne a rediffusé des images des attentats.
L’an dernier, l’Arabie saoudite a exécuté au moins cent cinquante-trois personnes – la plupart par décapitation –, le chiffre le plus élevé en près de deux décennies, selon plusieurs organisations de défense des droits de l’homme. En 2014, quatre-vingt-dix personnes avaient été exécutées.
Le Monde.fr
* Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 02.01.2016 à 10h07 • Mis à jour le 02.01.2016 à 16h09 :
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/01/02/l-arabie-saoudite-execute-47-personnes-dont-le-cheikh-chiite-al-nimr_4840883_3218.html