Bis repetita. Mais cette fois, avec en prime, un joli record. Comme lundi, les autorités financières de Pékin ont dû se résigner jeudi à activer les coupe-circuit des Bourses de Shanghai et Shenzhen. Mais jeudi, le bouton n’a pas été placé sur la position off, comme lundi, à quelques heures de la clôture des deux places chinoises. Mais 857 secondes (soit moins de quinze minutes) après l’envoi du top départ de l’ouverture des cotations. Du jamais vu. Ce temps record a suffi pour que se volatilise, par le biais de la forte baisse des cours, l’équivalent de 837 milliards de dollars (770 milliards d’euros) ! Soit une baisse de 7 % (comme lundi) des indices boursiers de Shanghai et Shenzhen. Certes, sur les marchés financiers, une telle somme, aussi stratosphérique soit-elle, n’est jamais tout à fait sonnante et trébuchante. Mais cet argent, que les investisseurs auraient pu récupérer en vendant leurs actions et autres obligations, n’y est plus. Du moins pour l’instant. Et rien ne plaide en faveur d’une prochaine accalmie et donc d’un retour aux bonnes affaires boursières.
Feu aux poudres
Les raisons récentes de cette nouvelle bourrasque financière sont connues. Lundi, ce sont les indices PMI (Purchasing Managers Index) des directeurs d’achat des grandes entreprises, publiés par le Bureau national des statistiques (officiel), puis par le groupe privé Caixin, qui ont mis le feu aux poudres. Les investisseurs ont pris cette nouvelle révision à la baisse de ces indices comme une confirmation de plus d’un ralentissement de l’activité chinoise. Inquiétude d’autant plus grande que Pékin annonçait au même moment une réduction de la valeur du yuan face au dollar, la monnaie chinoise passant sous la barre des 6,5 yuans pour un dollar pour la première fois en plus de quatre ans et demi, alors que la pression sur la devise ne cesse de s’accroître suite au ralentissement de la croissance.
Jeudi, les autorités ont annoncé une nouvelle dévaluation. Rien ne semble donc rassurer les investisseurs chinois et occidentaux, qui n’ont plus qu’un objectif : se débarrasser au plus vite de leurs actions avant qu’il ne soit trop tard. Ils se croyaient riches hier, lorsque les cours montaient. Voyant ces derniers s’effondrer, ils s’imaginent (demain) nettement moins argentés. C’est ce phénomène que les économistes qualifient « d’effet richesse ». L’inquiétude est d’autant plus grande, que comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance. Elle mise désormais sur 2,9 % en 2016 contre 3,3 % en juin. A Shanghai, mais aussi à Shenzhen, les séances désastreuses pourraient désormais se suivre et se ressembler.
Zone instable
La Chine, que beaucoup présentaient comme le sauveur de la croissance mondiale, serait en passe de devenir la zone du monde la plus instable économiquement. C’est ce que redoutent de plus en plus d’économistes qui n’hésitent plus à parler d’atterrissage brutal de l’économie chinoise. Chacun tente de plonger loin dans les profondeurs du modèle chinois pour comprendre ces violents retournements financiers. « La Chine est désormais confrontée à un problème fondamental qui reflète une double évolution, estime l’économiste Patrick Artus. D’un côté, une hausse très rapide des salaires moyens. Et de l’autre, des surinvestissements. C’est son modèle de croissance qui est aujourd’hui remis en cause. » Un avis que partagent de plus en plus d’économistes.
En raison de salaires très bas nourris par un exode rural massif, de nombreuses entreprises ne rêvaient hier que d’une chose : délocaliser leur production en Chine, devenue « l’atelier du monde ». Mais cet eldorado n’est plus. La faute à la hausse du coût unitaire du travail qui, selon la plupart des données statistiques, aurait augmenté d’environ 8 % par an depuis une quinzaine d’années. « Au bout du compte, c’est la rentabilité du capital qui s’effondre », poursuit Patrick Artus. La preuve par le commerce extérieur de la Chine. Afin de faire tourner son économie, la Chine importait, assemblait et exportait. Dans ce régime de croissance, la part de l’industrie dans les exportations représentait encore 70 % en 2010. Elle n’est plus que de 30 % aujourd’hui. Une baisse qui a son corollaire : celle des importations de produits semi-ouvrés et autres matières premières qui entrent dans l’assemblage de produits manufacturés avant de repartir aux quatre coins du monde.
Les détenteurs de capitaux, qu’ils soient Chinois ou non, n’ont plus qu’un objectif : faire des placements, productifs ou financiers, ailleurs qu’en Chine. Et c’est exactement cette situation qui frappe Pékin. Là encore, les statistiques sont suffisamment parlantes pour illustrer le phénomène de recherche de nouvelles opportunités financières. 150 milliards de dollars quittent, chaque mois, la Chine pour se réfugier sous des cieux plus cléments. Soit une saignée de 20 % du PIB sur un an. « Aujourd’hui tout le monde vend, alors qu’hier tout le monde était acheteur », ajoute Pierre Larrouturou, l’un des rares économistes qui avait annoncé la crise financière chinoise. Mais, selon lui, cette dernière exprime surtout un excès d’investissement dans la construction de logements. Une véritable bulle immobilière s’est constituée au fil des années. « Lorsque l’Espagne explose, c’est avec un secteur de la construction qui pèse 14 % du PIB. En Chine, c’est plus 16 % aujourd’hui. Ce sont en réalité des millions de mètres carrés qui ne trouvent plus preneurs », poursuit Pierre Larrouturou.
Mais il est, selon ce dernier, une autre partie de l’économie qui montre une fragilité et qui explique la crise financière : la consommation des ménages chinois. « Elle reste deux fois plus petite en Chine que dans le reste du monde. En clair, le socle de l’économie de l’Europe, des Etats-Unis ou encore de l’Inde se caractérise par cette consommation, qui atteint des taux supérieurs à 60 % du PIB. La Chine ne dépasse pas les 30 %», conclut l’économiste.
Perdants et gagnants
Le pays n’a donc pas été capable de créer un nouveau modèle de croissance dans lequel la demande intérieure prendrait la relève d’un système fondé sur les bas coûts salariaux pour servir l’exportation. Certes, les autorités chinoises peuvent jouer sur la valeur de la devise locale en misant sur une série de dévaluations, histoire de restaurer la compétitivité perdue. Mais c’est au risque de ne pas inciter à la modernisation de l’appareil productif. Beaucoup estiment que le salut viendrait du côté des services, dont la part ne cesse de monter dans le total du PIB (40 % de l’économie). Mais pas de quoi (encore) prendre la relève d’une industrie en panne. En attendant, l’effondrement de l’économie chinoise entraîne dans son sillage des perdants et des gagnants. Les premiers sont les émergents (Taïwan, Corée du Sud…) et les gros pays exportateurs (Etats-Unis, Allemagne, France…) qui voient se réduire la part des exportations en direction de la Chine. Les seconds sont le Vietnam, le Cambodge, l’Inde, le Bangladesh… Autant de pays qui récupèrent une partie des capitaux en fuite.
Mais voilà, ces derniers sont peu de chose face à la menace que fait peser au reste du monde cette crise économique et financière. Les marchés financiers ne seront pas les seuls touchés. Les économies partenaires de la Chine le seront aussi. Et l’ogre chinois, dont l’appétit en matières premières ne cesse de diminuer, n’est plus une locomotive pour les pays émergents. Le ralentissement chinois contribue enfin à la baisse du prix du pétrole.
Chine, pétrole : de quoi gripper une économie mondiale déjà (trop) faible et dont le dynamisme des émergents, moteur de la croissance, décline à mesure que plonge la Chine… De quoi ranimer les peurs d’une grande déflation mondiale.
Vittorio De Filippis