Les Chinois à Milan ! Le géant de la chimie asiatique, China National Chemical Corporation, qui pointe à la 19e place dans le Top 100 des plus importantes entreprises du secteur, s’apprête à prendre le contrôle du célèbre spécialiste de pneumatiques italien, Pirelli, et 5e fabricant mondial. Créé en 2004, ChemChina est présent dans 140 pays et contrôle déjà Aeolus Tyres. Le colosse pèse 70 milliards d’euros de chiffres d’affaires contre 6 milliards et 838 millions de bénéfices pour Pirelli. L’opération, qui valorise Pirelli à plus de 7 milliards d’euros, s’est conclue, dimanche 22 mars, après les réunions de plusieurs actionnaires ce week-end.
Techniquement, et sous réserve de l’accord de l’autorité boursière Consob, ChemChina prendrait le contrôle de la holding Camfin qui détient 26,1 % de Pirelli pour un prix de 15 euros l’action. Camfin est elle-même détenue pour moitié par le géant pétrolier russe Rosneft et pour le reste par Nuove Partecipazioni ainsi que de manière minoritaire par les banques UniCredit et Intesa Sanpaolo. Cette somme serait simultanément réinvestie dans une nouvelle société contrôlée par ChemChina qui lancerait une OPA sur l’ensemble des actions Pirelli.
L’habile Marco Tronchetti Provera
Créée en 1872 à Milan par l’ingegnere Giovanni Battista Pirelli spécialiste du caoutchouc vulcanisé, Pirelli, la société du même nom cotée à la Bourse de Milan depuis 1922, incarne le « capitalisme de relation » à l’italienne, système complexe et opaque fait de participations croisées, de liens familiaux et d’investisseurs institutionnels. Et son PDG en est également un digne représentant. Fils d’un industriel milanais, diplômé de l’université Bocconi, Marco Tronchetti Provera, 67 ans, cheveux argentés, a épousé la fille de Leopoldo Pirelli, le neveu du fondateur et également actionnaire du groupe.
Sous sa houlette, l’entreprise se développe en abandonnant des activités moins rentables. A la recherche permanente d’argent frais pour développer la marque présente notamment en formule 1, M. Tronchetti Provera a noué, au cours de ces cinq dernières années, des accords successifs avec différents partenaires, dont la puissante famille génoise Malacalza, le fonds d’investissement italien Clessidra, ou encore le pétrolier russe Rosneft. Le groupe Benetton et la banque d’affaires Mediobanca figurent également au capital de l’entreprise. Toutefois, le PDG est toujours parvenu à en garder le contrôle, bien qu’il ne détienne que 6 % de Nuove Partecipazioni… Une habileté qui lui vaut la réputation de « commander avec l’argent des autres ».
Pour le monde entier, Pirelli est également l’éditeur du célèbre calendrier du même nom, une tradition glamour qui remonte à 1963. D’abord pensé comme un cadeau d’entreprise par la filiale anglaise du groupe, « le cal », ou « the cal » comme on l’appelle, est devenu un must et un objet de collection. Les plus grands photographes (Annie Leibovitz, Terry Richardson ou encore Richard Avedon) y ont fait poser les plus beaux mannequins (Naomi Campbell, Laetitia Casta, etc.), en général assez dévêtues.
Changement « symptomatique »
Pour la presse italienne, ce changement de propriété, qui suit ceux de Parmalat ou Bulgari, est diversement interprété. Pour le quotidien La Stampa (propriété du groupe Fiat Chrysler Automobile, FCA), il est « symptomatique ». « Mis à part quelques groupes comme FCA, Luxottica ou Autogrill, écrit-il, nos entreprises sont sous-capitalisées et ne sont pas assez grandes pour tenir la compétition dans le marché mondial. Cela condamne l’Italie. »
A ce constat, le quotidien économique Il Sole 24 Ore (propriété de la Confindustria, l’équivalent du Medef) ajoute l’entrée en vigueur de l’euro, la fin des dévaluations compétitives, l’arrivée des économies émergentes et le changement générationnel à la tête des entreprises transalpines. Mais il conclut : « Tronchetti Provera fait de Pirelli une multinationale avec une base italienne. Il la met en situation de continuer à tenir un rôle de prédateur et pas seulement de proie. » Il a six ans pour démontrer que son choix est le bon. Les Chinois lui ont assuré qu’il resterait à son poste jusqu’en 2021.
Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Journaliste au Monde