Le président chinois, Xi Jinping, a mis le pied au Proche-Orient, plus précisément en Arabie saoudite, mardi 19 janvier, pour la première fois depuis sa prise de fonction il y a trois ans. M. Xi, également secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), sera en Egypte du 20 au 22 janvier puis se rendra à Téhéran le 23 janvier. Il devrait également faire étape en Arabie saoudite, une destination déjà envisagée au printemps 2015, mais Pékin avait alors préféré décaler du fait de la crise au Yémen, par souci sécuritaire et pour ne pas sembler approuver les frappes saoudiennes, contraires au principe de non-intervention dans les affaires d’autrui, cher à la diplomatie chinoise.
En amont, la Chine a publié, mercredi 13 janvier, un document de cadrage de sa politique arabe. La République populaire y reprend sans surprise des axes déjà bien connus : le développement économique d’abord, fondé sur le pragmatisme, mais aussi le respect de la souveraineté territoriale et la non-ingérence, en opposition aux pratiques américaines.
Concrètement, l’homme fort de Pékin va promouvoir son concept phare de politique étrangère, « une ceinture, une route », plus communément connu sous l’appellation de nouvelles routes de la soie, un ensemble d’initiatives censées rapprocher la Chine du reste de l’Asie et, au-delà, de l’Europe et de l’Afrique. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Arabie saoudite – Pékin est son premier client pétrolier –, mais aussi de l’Iran, du fait des sanctions occidentales.
Son rôle auprès de Riyad n’a cessé de croître depuis quinze ans, parallèlement au recul des livraisons pétrolières saoudiennes aux Etats-Unis, où se développait l’industrie du gaz de schiste. Le pivot saoudien vers l’Extrême-Orient s’apparente aussi à une réponse aux « infidélités » de Washington, partenaire historique, coupable de leur point de vue de s’être désinvesti du dossier syrien et de se rapprocher de l’Iran, leur grand rival régional, avec lequel ils viennent de rompre leurs relations diplomatiques, à la suite du saccage de leur ambassade à Téhéran.
Le président chinois s’efforcera de maintenir un équilibre entre Riyad et Téhéran. Il devra réaffirmer les liens de l’empire du Milieu avec l’Iran, à l’heure où l’accord sur le programme nucléaire iranien est synonyme de relatif réchauffement des relations avec les Etats-Unis et l’Europe. Par le passé, les produits russes et chinois s’imposaient par défaut en Iran.
« La Chine se voit comme un acteur marginal dans la région »
La méthode chinoise pour ne froisser ni l’Arabie saoudite ni l’Iran consiste à rester en retrait des problèmes politiques. La Chine avait proposé en 2012 un plan de paix en quatre points sur la Syrie, mais il restait suffisamment vague pour éviter des épines telles que le futur rôle de Bachar Al-Assad. « La Chine se voit comme un acteur marginal dans la région. Elle peut continuer à appeler les parties au dialogue mais ne pense pas avoir la capacité de faire davantage, ce qui ne serait désiré ni par les Iraniens ni par les Saoudiens. Elle n’est pas les Etats-Unis », résume Zha Daojiong, professeur au Centre d’études internationales de l’université de Pékin.
L’un des fruits de l’axe Pékin-Riyad est la raffinerie de Yanbu, sur la côte de la mer Rouge, entrée en service il y a un an. Mais Pékin veut montrer qu’il n’est pas intéressé que par le pétrole. Des entreprises chinoises construisent la ligne de chemin de fer Haramein, reliant La Mecque à Médine via Djedda. La Chine est aussi soupçonnée d’être un fournisseur de l’armée saoudienne à qui elle aurait vendu, en 2007, selon une enquête de Newsweek, des missiles balistiques de moyenne portée.
Les autorités saoudiennes apprécient d’autant plus de commercer avec Pékin que les Chinois se sont toujours abstenus de s’immiscer dans la politique de leur partenaire, contrairement aux Etats-Unis, qui critiquent à intervalles réguliers les pratiques du royaume en matière de droits de l’homme. Inversement, les responsables saoudiens, y compris religieux, évitent de critiquer la répression dont la minorité musulmane ouïgoure fait l’objet en Chine.
L’Egypte, une porte d’entrée en Afrique
Ce n’est pas toujours le cas en Egypte. L’université Al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite, avait dénoncé en 2015 l’interdiction faite aux musulmans du Xinjiang d’observer le ramadan. Pour autant, les relations entre les deux pays sont, là aussi, en plein essor. L’amitié vient de loin, car Nasser avait reconnu la République populaire au détriment de Taïwan très tôt, dès 1956, et elle ne s’est pas embarrassée depuis des « printemps arabes ». « La Chine a rapidement reconnu Morsi puis a su aussi vite basculer vers Sissi, qui lui prouve que la démocratie n’est pas faite pour la région, en contre-pied à la position occidentale », explique Jean-Pierre Cabestan, politologue à l’université baptiste de Hongkong.
En un an et demi au pouvoir, le maréchal-président Abel Fattah Al-Sissi, qui a succédé en juin 2014 au président déchu Mohamed Morsi, s’est déjà rendu à deux reprises en Chine, un pays dont il apprécie non seulement le dynamisme économique mais aussi l’absence totale de commentaires sur le bâillonnement de ses opposants.
La Chine voit le marché égyptien comme une porte d’entrée en Afrique. Durant son dernier passage, en septembre 2015, le chef d’Etat égyptien a finalisé une série de contrats, dont la construction d’une centrale électrique à Suez et d’une nouvelle ligne de chemin de fer entre Le Caire et sa banlieue. La venue de Xi Jinping au Caire pourrait déboucher notamment sur la création d’une zone industrielle chinoise sur le canal de Suez, un axe maritime élargi à grands frais par le pouvoir.
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
Journaliste au Monde
Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Correspondant au Proche-Orient