Son one-man-show joué actuellement en Italie s’intitule « Grillo contre Grillo ». Le comique fait face à lui-même, à son double fondateur du Mouvement 5 Etoiles (M5S), une créature qui le dépasse parfois et avec laquelle il a annoncé vouloir « faire un pas de côté ». Le magazine L’Espresso lui réserve sa une cette semaine sous ce titre prémonitoire « Grillo dove vai » (où vas-tu Grillo ?) et évoque « un homme honnête mais en crise ».
Où vais-je ? A droite toute, a répondu Beppe Grillo samedi. Dans une note de blog publiée en fin de journée sur le site beppegrillo.it, il appelle ses sénateurs qui devront, à partir de cette semaine, voter les articles du projet d’union civile à user de leur « liberté de conscience » pour se prononcer sur le point le plus litigieux du texte offrant la possibilité d’adopter les enfants du conjoint. Une volte-face pour le M5S (deuxième formation politique du pays) qui avait jusqu’alors affirmé vouloir voter cette proposition de loi avec le Parti Démocrate (PD, centre gauche) à condition qu’aucune modification n’y soit apportée.
Beppe Grillo justifie sa décision en expliquant que le Mouvement n’a plus le temps d’organiser un référendum des militants par internet sur le texte. Pourtant rappelle l’édition en ligne du quotidien La Stampa, en octobre 2004, 80 % des militants consultés avaient approuvé une motion « sur les droits et les devoirs des unions libres assimilées à un mariage à l’exclusion de la possibilité d’adopter des enfants étrangers au couple ».
Dès lors le sort de la loi Cirinnà en Italie, dernier pays d’Europe occidentale à n’accorder aucun statut aux couples du même sexe, est en péril. Au Parti démocrate, qui n’a pas la majorité à lui seul au Sénat, 34 sénateurs ont faire connaître leurs réserves. Le Parti du Nouveau centre droit (NCD), allié du gouvernement, est fondamentalement contre le texte. Il brandit la menace d’une « crise » si celui-ci était adopté avec les suffrages des élus de l’opposition. L’Eglise est vent debout. Enfin Matteo Renzi lui-même ne soutient la loi que du bout des lèvres et s’en remet lui aussi à la liberté de conscience de ses élus.
Les parlementaires ouvertement catholiques se frottent les mains. Angelino Alfano, ministre de l’intérieur et président du NCD exulte sur tweeter : « le match est relancé. Toute la loi pourrait sautée ». La ministre de la Santé, Beatrice Lorenzin, a salué « la victoire de ceux qui réclamaient l’ouverture d’une discussion franche et sincère sur les possibles conséquences néfastes » de l’adoption. Pour une grande partie des catholiques l’adoption serait un encouragement à recourir aux mères porteuses. Des dizaines de milliers d’entre eux étaient rassemblés samedi dernier à Rome pour manifester leur opposition.
En revanche les nombreux commentaires des militants du M5S sur le blog beppegrillo.it sont marqués d’une grande désillusion. Certains internautes fustigent l’attitude « démocrate chrétienne » de leur chef. Sur les réseaux sociaux, le mot-clé #dietrofrontM5S (la volte-face du M5S) est en tête des hashtags. Par le passé, Beppe Grillo a déjà suscité la stupeur de ses fidèles en affichant des positions à rebours de leurs convictions sur les questions de l’immigration ou du droit du sol.
Reste le cas Beppe Grillo. Est-il un homme de droite qui a su séduire des électeurs radicaux ? A-t-il laissé les commandes à son mentor Gianroberto Casaleggio, un entrepreneur gestionnaire de son site, réputé conservateur ? Le Mouvement 5 Etoiles - où les catholiques, militants comme élus, ne sont pas absents - cherche-t-il à élargir sa base électorale en vue des municipales de juin ? Joue-t-il un coup en tentant de priver le centre-gauche et Matteo Renzi d’un succès, aux détriments des droits des homosexuels ? Bref, fait-il, lui aussi, de la politique « avec un petit p »...
Philippe Ridet