Et à regarder le détail de ce que prévoit la loi, difficile de donner tort à M. Bournazel. On y retrouve la majorité des réformes dans les projets des Républicains ou dans les recommandations des organisations patronales, à commencer par le Mouvement des entreprises de France (Medef).
1. L’accord d’entreprise comme standard : un souhait du Medef depuis 2012
QUE DIT LE PROJET DE LOI ?
Le projet de loi propose une importante refonte du code du travail, avec l’insertion de soixante et un « principes essentiels », issus des travaux de la commission confiée à Robert Badinter.
L’idée centrale est de définir d’une part le principe général (« ordre public »), les possibilités de négociation (« champ de la négociation collective ») et les règles qui s’appliquent à défaut d’accord (« dispositions supplétives »). Une très large place est laissée à l’accord non plus par branche d’activité, mais au sein de chaque entreprise.
QUI PROPOSAIT CELA ?
La réforme du code du travail est demandée depuis des années par le Medef, qui n’a de cesse de souligner l’inflation d’articles dans ledit code et de proposer des réformes allant dans le sens d’une négociation entreprise par entreprise — comme par exemple dans le recueil de propositions de son président, Pierre Gattaz, « Un million d’emplois, c’est possible ».
Quant à l’idée de négocier avant tout au sein de chaque entreprise, on la retrouve parmi les idées phares de… l’UMP. Dans une proposition de loi de 2014, ceux qui ne s’appelaient pas encore Les Républicains proposaient déjà « la priorité aux accords dans les entreprises par rapport aux accords de branche ».
2. Primauté aux accords d’entreprise : une vieille demande du Medef, inscrite au programme de Nicolas Sarkozy en 2012
QUE DIT LE PROJET DE LOI ?
Le projet de loi ouvre aussi la possibilité, à défaut d’accord collectif dans l’entreprise, de conduire des accords individuels sur les horaires dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
La loi change aussi les règles de validité des accords d’entreprise, qui seront supérieurs aux contrats de travail, supprimant notamment la clause qui permettait à un syndicat majoritaire de s’y opposer, pour instaurer une règle de majorité (les syndicats signataires doivent représenter 50 % des salariés, à partir de 30 % ils peuvent organiser une consultation visant à valider l’accord).
Autre possibilité, celle d’accords « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi », alternative aux actuels accords de « maintien de l’emploi » qui permettent d’abaisser les salaires ou d’augmenter le temps de travail pour faire face à des difficultés. Ces nouveaux accords permettront d’aménager horaires et salaires le temps par exemple de se lancer à la conquête de nouveaux marchés.
QUI PROPOSAIT CELA ?
On l’a dit, la primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche est évoquée depuis longtemps par la droite. Quant au fait de prévoir de nouveaux accords « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi » plus souples que les accords « de maintien de l’emploi », ils correspondent à un souhait du Medef. Prenant acte en 2015 du faible succès de l’accord « de maintien de l’emploi », l’organisation patronale souhaitait le modifier, notamment pour faire en sorte que le salarié qui refuse cet accord ne bénéficie pas des avantages d’un licenciement économique. C’est le cas dans le projet de loi.
On peut également citer les « accords compétitivité emploi » de Nicolas Sarkozy en 2012, qui devaient permettre des modulations de temps de travail en fonction de l’activité. Critiqués par le candidat Hollande, qui les avait abrogés avant même leur entrée en vigueur, ils étaient réapparus sous l’appellation « accord sur l’emploi » un an plus tard.
3. Assouplissement des conditions horaires : une idée proche de celle des « accords compétitivité emploi » de la droite
QUE DIT LE PROJET DE LOI ?
Le projet de loi de Mme El Khomri dit : « La primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun. » En clair, le temps de travail pourrait être négocié entreprise par entreprise.
Cette négociation a également été facilitée pour les entreprises. A l’heure actuelle, on touche des heures supplémentaires lorsqu’on travaille au-delà de trente-cinq heures, avec une majoration variable, mais qui ne peut descendre sous les 10 %. Le projet de loi maintient cette limite, mais permet à l’accord d’entreprise de « surpasser » un accord de branche (une entreprise peut décider d’une majoration de 15 % des heures supplémentaires, même si dans la branche elle était fixée à 20 %, par exemple).
De même, le projet augmente la limite haute du temps de travail : de quarante-quatre heures hebdomadaires et dix heures par jour, on passe à quarante-six heures (voire soixante en cas de « circonstances exceptionnelles ») et à douze heures par jour, avec la possibilité de moduler le temps de travail sur l’année et au-delà, par exemple d’imposer durant plusieurs semaines quarante ou quarante-cinq heures hebdomadaires.
La loi prévoit une série d’autres dispositions, par exemple le fait de considérer l’astreinte (rester à disposition de l’entreprise en cas de besoin) comme du repos dès lors qu’on n’a pas été appelé (actuellement une astreinte est assimilée à un jour travaillé). Ou encore de dépasser le plancher de onze heures de repos quotidien par tranche de vingt-quatre heures, « en cas de surcroît exceptionnel d’activité ».
QUI PROPOSAIT CELA ?
Même si les mots sont choisis et même si trente-cinq heures demeure le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, cette proposition revient, en pratique, à en finir avec ces dernières et à laisser aux entreprises une très large souplesse dans le temps de travail. Et donc à sérieusement écorner la philosophie des fameuses « trente-cinq heures » négociées par la gauche entre 1997 et 2002. Et ici encore, on est proche de ce que prônait Nicolas Sarkozy en 2012 dans ses « accords compétitivité emploi », à l’époque combattus par la gauche.
4. Modifications des conditions de licenciement : une proposition identique à celle du Medef en 2012
QUE DIT LE PROJET DE LOI ?
Le licenciement économique sera assoupli, il pourra intervenir non seulement en cas de difficultés, comme c’est le cas à l’heure actuelle, mais aussi si l’entreprise est confrontée à des « mutations technologiques » ou doit mener une réorganisation « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ».
En cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse », les indemnités que le salarié peut réclamer aux prud’hommes seront plafonnées en fonction de son ancienneté, de trois mois de salaire pour un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté à quinze mois pour un salarié qui est dans l’entreprise depuis plus de vingt ans.
Autre disposition : un salarié qui refuserait de se conformer à un accord d’entreprise pourrait se voir licencier pour motif personnel, et non plus pour motif économique (il ne toucherait donc plus d’indemnités).
QUI PROPOSAIT CELA ?
On trouve la même proposition, mot pour mot ou presque, au Medef en 2012 : « Pour faciliter l’ajustement des effectifs, nous proposons de revoir la définition du licenciement économique afin qu’elle englobe l’amélioration de la compétitivité. » Ce que fait précisément le projet de loi.
De même, l’idée de plafonner les indemnités prud’homales est une revendication ancienne de l’organisation patronale. On la trouve page 34 du Livre jaune de M. Gattaz : « Sécuriser, dans des conditions satisfaisantes pour les deux parties, la rupture du contrat de travail, en introduisant un barème d’indemnités pour le salarié, par exemple en fonction de son ancienneté. »
Pierre Breteau
Journaliste aux Décodeurs
Samuel Laurent
Responsable des Décodeurs - Vérifications, contexte, données.
* « Droit du travail : une réforme directement inspirée de propositions du Medef et de la droite ». Le Monde.fr | 19.02.2016 à 18h44 • Mis à jour le 19.02.2016 à 20h49 :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/19/droit-du-travail-une-reforme-directement-inspiree-des-propositions-du-medef-et-de-la-droite_4868716_4355770.html
Temps de travail, licenciement, prud’hommes : ce que contient le projet de loi d’El Khomri
La ministre du travail, Myriam El Khomri doit présenter, le 9 mars en conseil des ministres, son projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Le texte, qui vient d’être transmis au Conseil d’Etat et que Le Monde s’est procuré, entend donner un poids accru à la négociation collective.
Temps de travail assoupli
La durée maximale de travail pendant une journée reste fixée à dix heures, mais un accord collectif peut porter ce seuil à douze heures « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise », à condition de ne pas aller au-delà.
De même, la durée maximale de travail pendant une semaine est fixée à quarante-huit heures mais les services du ministère du travail peuvent, ponctuellement, élever ce plafond à soixante heures, en cas de « circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci ». En outre, les salariés peuvent, si un accord collectif le prévoit, être amenés à travailler quarante-six heures par semaine, au maximum, pendant seize semaines. Et voir leur temps minimal de repos quotidien provisoirement réduit. Enfin, les entreprises de moins de cinquante personnes pourront, même en l’absence d’un accord collectif, proposer à leurs salariés de passer au forfait jour (un dispositif dérogatoire aux trente-cinq heures fondé sur le nombre de jours effectués dans l’année et non pas sur le nombre d’heures).
Un nouveau régime pour les heures supplémentaires
Toute heure de travail effectuée au-delà de trente-cinq heures par semaine constitue une heure supplémentaire qui « ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur ». Le montant du « coup de pouce » donné à la rémunération peut être fixé par un accord à un taux qui ne doit pas être inférieur à 10 %. En l’absence d’accord, la majoration est de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires, 50 % ensuite. Les accords de branche ne pourront plus « verrouiller » le pourcentage de majoration applicable aux entreprises du secteur concerné (comme c’est le cas, à l’heure actuelle, dans la métallurgie, par exemple).
Indemnités prud’homales plafonnées
Les dédommagements accordés par les prud’hommes aux travailleurs du privé victimes d’un licenciement abusif seront plafonnés en vertu d’un barème fondé sur l’ancienneté. Si le salarié est employé depuis moins de deux ans dans son entreprise, il percevra, au maximum, trois mois de salaire en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». La somme montera à six mois de salaire s’il s’y trouve depuis deux à cinq ans ; à neuf mois de salaire s’il y est depuis cinq à dix ans ; à douze mois de salaire si son ancienneté est comprise entre dix et vingt ans ; à quinze mois de salaire au-delà de vingt ans de présence dans l’entreprise. Toutefois, le juge pourra s’affranchir de cette grille (et octroyer des sommes plus élevées) dans l’hypothèse où le patron a commis une faute d’une « particulière gravité » (« harcèlement moral ou sexuel », « licenciement discriminatoire »...).
Licenciements économiques : des règles clarifiées
L’avant-projet de loi précise les motifs qui peuvent être invoqués pour prononcer des licenciements économiques : difficultés caractérisées notamment par « une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs », « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois », « importante dégradation de la trésorerie ». Peuvent aussi être mises en avant des « mutations technologiques » ou une « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ». Un accord de branche peut fixer la durée de la baisse de commandes ou du chiffre d’affaires, qui ne peut cependant être inférieure à deux trimestres consécutifs, ou la durée des pertes d’exploitation (au moins un trimestre). A défaut d’accord, ces durées sont respectivement fixées à quatre trimestres consécutifs et un semestre.
Accords « offensifs » en faveur de l’emploi
Jusqu’à présent, les entreprises avaient la possibilité de conclure avec les représentants du personnel un accord (dit « défensif ») pour moduler, temporairement, le temps de travail et la rémunération des salariés, en cas de difficultés conjoncturelles. Elles pourront désormais faire de même, dans un but « de développement de l’emploi » — par exemple si elles veulent conquérir de nouveaux marchés (accord dit « offensif »). Le « deal » ficelé avec les syndicats primera sur le contrat de travail.
Si un salarié refuse ces changements, il pourra être congédié, en vertu des règles applicables au licenciement « pour motif personnel » (et non plus pour des raisons économiques, comme c’était le cas jusqu’à maintenant dans les accords « défensifs ») ; il aura, cependant, droit à des indemnités liées à la rupture de son contrat de travail et sera éligible à l’assurance-chômage.
Des référendums en entreprise
Pour être valable, un accord d’entreprise devra désormais être approuvé par des syndicats ayant recueilli au moins 50 % (et non plus 30 %) des suffrages exprimés lors des élections professionnelles. Toutefois, une autre option est prévue dans l’hypothèse où le texte a été paraphé par des organisations de salariés représentant au moins 30 % des voix (mais pas la moitié) : le personnel pourra être consulté ; si le oui l’emporte, l’accord entrera en vigueur et les syndicats majoritaires ne pourront pas faire jouer leur droit d’opposition.
Des droits sociaux tout au long de la carrière
Le texte donne un contenu au compte personnel d’activité. Ce dispositif, qui intègre le compte personnel de formation et le compte pénibilité, permettra à tous les actifs, quel que soit leur statut, de conserver leurs droits sociaux tout au long de leur vie professionnelle.
Bertrand Bissuel
Journaliste au Monde
* Le Monde.fr | 18.02.2016 à 12h52 • Mis à jour le 20.02.2016 à 07h42 :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/18/droit-du-travail-ce-que-contient-l-avant-projet-de-loi-de-myriam-el-khomri_4867746_4355770.html
35 heures : la loi El Khomri, dernière d’une longue série d’assouplissements
Voir ici (avec tableaux) :
Valentin Pasquier
Journaliste au Monde
Anne-Aël Durand
Journaliste au Monde