Après l’échec de la réunion ministérielle restreinte de fin juin, le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, a tenté de surmonter les divergences par des négociations resserrées entre les six principaux protagonistes des dossiers agriculture/produits manufacturés réunis dans ce qu’on appelle le G6 (Australie, Brésil, Japon, Inde, UE, USA). Du 22 au 24 juillet, s’est tenue à Genève une réunion des ministres du G6. Les négociations ont eu lieu sur deux projets de texte connus depuis fin juin : sur l’agriculture et sur l’accès au marché aux produits non agricoles (AMNA). Après une ultime session de 14 heures, l’échec a dû être constaté. Au cours d’une réunion informelle des 149 ambassadeurs, Pascal Lamy a déclaré :
« Sans les modalités pour l’agriculture et l’AMNA, il est évident qu’il ne sera pas possible de mener à bien le cycle de négociations pour la fin de 2006. (...). Devant cette impasse persistante, j’estime que la seule voie possible que je puisse recommander est de suspendre les négociations pour l’ensemble du cycle afin de permettre aux participants d’accomplir le travail de réflexion sérieux qui est manifestement nécessaire. Ménageons-nous une pause pour examiner la situation, étudier les options possibles et revoir les positions. »
LES ELEMENTS DU BLOCAGE
La prétention du programme de négociations arrêté en 2001 à Doha était de faire du commerce l’instrument privilégié du développement. Il est apparu très vite que cette ambition affichée n’était qu’un appât pour amener les pays du Sud à souscrire aux attentes des pays industrialisés. A la vieille de la conférence de Cancun, aucune avancée n’avait été enregistrée dans les matières où les pays du Sud étaient demandeurs. Dans les domaines où les pays industrialisés escomptaient tirer le plus de profit, le secrétariat de l’OMC, relayant fidèlement les attentes des milieux d’affaires, concentrait l’essentiel des négociations : ouverture des marchés des pays du Sud aux produits agricoles, aux produits manufacturés et aux services du Nord.
Les trois points qui ont provoqué l’échec de juillet dernier concernent les produits agricoles et les produits manufacturés : la réduction des subventions américaines à la production agricole ; la réduction des tarifs douaniers européens appliqués aux produits agricoles importés ; la diminution des tarifs douaniers appliqués par les pays émergents à l’entrée des produits industriels occidentaux.
Une polémique s’était installée entre USA et UE sur le niveau réel des efforts que les uns et les autres étaient disposés à consentir. Ils n’ont pas été en mesure de présenter ensemble une proposition globale susceptible d’entraîner l’adhésion des pays émergents et leur agrément sur la question de l’ouverture des marchés aux produits manufacturés. Un accord au G6 sur ces trois points aurait placé le reste des États membres de l’OMC dans l’impossibilité de refuser cet accord.
L’échec de fin juillet a particulièrement déçu les pays du Sud. Il a démontré la volonté obstinée des pays riches de faire prévaloir ce qui leur est profitable. Il a illustré une fois de plus que la rhétorique sur le commerce au service du développement n’était qu’un leurre et que UE comme USA privilégient les intérêts des firmes transnationales.
PAUSE OU ARRET DEFINITIF ?
« Ménageons-nous une pause » a déclaré Pascal Lamy, tandis qu’à l’extérieur de l’OMC certains, heureux de voir s’éloigner un accord aux conséquences dramatiques pour l’immense majorité des pays du Sud, annonçaient l’abandon de l’Agenda de Doha pour le Développement (ADD) et même, parfois, « la mort » de l’OMC ! Il importe de raison garder.
La suspension des négociations de l’ADD ne signifie ni la disparition de l’OMC, ni l’extinction des accords qu’elle administre, ni même l’abandon de l’ADD. L’OMC continue de fonctionner. A la seule exception de l’AGCS, tous les accords s’appliquent. Et produisent leurs effets néfastes, en particulier l’accord sur les droits de propriété intellectuelle. Et la négociation de l’ADD n’est que suspendue.
Aucun pays ne demande à quitter l’OMC, aucun pays ne demande la suppression de l’OMC ; les États membres de l’OMC, dans leur écrasante majorité, souhaitent que le commerce soit un des instruments du développement et appellent de leurs vœux un accord équilibré.
Nul ne peut ignorer l’intense pression que les lobbies exercent sur les gouvernements pour la reprise des négociations. Ils répètent que « les négociations commerciales internationales ne se limitent pas à l’agriculture et ne peuvent être bloquées par le seul dossier agricole ».
La position intransigeante des USA, à trois mois des élections qui se tiennent à mi-mandat de la législature présidentielle (renouvellement de 100 sièges de sénateurs et de 435 sièges de députés) était attendue de la part d’une administration républicaine fragilisée et dès lors bien décidée à ne faire aucune concession qui aurait pu lui aliéner son électorat rural. Mais après le 7 novembre ? Même si les démocrates renforcent leurs positions au Congrès, ils ne constitueront pas un obstacle pour faire passer des décisions qui favorisent l’ouverture des marchés aux produits industriels et aux services américains.
On peut en outre compter sur le secrétariat de l’OMC pour préparer le terrain à une reprise des négociations une fois passée l’échéance électorale américaine. Pascal Lamy ne s’en est pas caché. Des consultations bilatérales informelles vont d’ailleurs commencer sous peu.