La crise grave que connaît la LCR Lyonnaise est l’occasion d’examiner des questions politiques laissées à l’abandon dans nos débats pendant des années. Les développements ci-dessous ont pour objectif de les remettre en discussion dans plusieurs dimensions. Pour beaucoup de militants, surtout parmi ceux et celles (la majorité) qui sont à la ligue depuis moins de 10 ans, ce sera peut être la première confrontation avec ce genre de problématique. C’est ce qui constitue ma motivation pour l’aborder du point de vue le plus général, en laissant de côté certains aspects tactiques, ou de pratique politique.
Deux points de vues que je conteste, convergents dans l’analyse et de nature différente quant aux objectifs, sont au départ de ce texte :
Dans le projet de plate-forme pour le congrès local de Lyon, les camarades : Armand C, Bernard T, D M, DM, E B, E M, G L… déclarent : « La construction d’une nouvelle force politique anticapitaliste, démocratique, écologiste, féministe… reste le projet stratégique de notre organisation. »
Les camarades E B, M A, N D concluent leur lettre de démission de la LCR par : “les membres des directions et d’autres sont loin de considérer la ligue comme un outil transitoire de reconstruction d’une gauche anticapitaliste, donc amené à disparaître. »
Partant du principe que tous les débats précédents, « depuis la fondation de la IVe Internationale et la première édition du Programme de transition » ne sont pas largement connus, je me suis attaché, à chaque étape du raisonnement, à définir les termes du débat , et ce sans faire référence à l’autorité des textes sacrés.
1) Notre projet stratégique c’est : d’un point de vue social, la révolution, d’un point de vue organisationnel un parti révolutionnaire de masse
La force des idées
Nul ne peut prévoir une crise révolutionnaire et aucun parti révolutionnaire ne peut la déclencher. Mais il appartient aux forces organisées qui interviennent dans la lutte d’en orienter le cours en y faisant des propositions, en y menant des batailles. Ces propositions seront suivies ou non, des batailles politiques seront gagnées ou perdues, des forces politiques différentes développeront des projets contradictoires mais au bout du compte, le cours suivi par la lutte, le cheminement sera le résultat de batailles politiques menées par des forces concrètes (combien de militants, quelle implantation …) ayant un projet. Ce qui est vrai de toutes les luttes sociales le serait à plus forte raison dans une situation révolutionnaire.
Dans notre tradition, nous avons l’habitude d’analyser l’échec des grandes expériences révolutionnaires et sociales à travers l’absence d’un parti révolutionnaire. Essayons nous à un autre exercice : comment les forces politiques organisées ont puissamment et efficacement inscrits leurs analyses et leurs projets dans les mouvements qu’elles ont dirigé : Attachons nous, non pas à ce qui a manqué, mais à ce qui a réellement existé.
Allende pensait en 1970-73 qu’on pouvait réformer l’Etat de l’intérieur : Le gouvernement d’Unité Populaire a appliqué son programme jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à la mort, sans rien y changer. Ceux qui espéraient que la pression des masses et la dynamique de la lutte des classes déborderaient le gouvernement ont eu tort. Le programme du parti dirigeant ne s’est pas infléchi.
La révolution iranienne a représenté un des plus formidables mouvements de masse du siècle, avec un place grandissante du mouvement ouvrier et de son auto organisation. Ceux qui comptaient sur l’impétuosité du mouvement des masses pour déborder le réactionnaire Khomeyni, ceux qui en vertu de cette analyse lui apportèrent leur soutien critique se sont dramatiquement trompé et beaucoup l’ont payé de leur vie. C’est le parti dirigeant (le parti religieux) qui a appliqué son programme jusqu’au bout.
La lutte de libération du peuple vietnamien a été dirigée de manière extrêmement efficace par le Parti Communiste Vietnamien (PCV). Quant au « socialisme » vietnamien, il s’est coulé dans le moule idéologique importé d’URSS. Que ce soit en terme de libération nationale ou de « socialisme » le PCV a mis en œuvre son projet politique et ce n’est pas parce que, par sa pratique de la guerre d’indépendance, le PCV s’est opposé à la diplomatie de l’URSS, qu’il en découlait un projet socialiste que rien n’annonçait : La dynamique de la lutte n’a pas entraîné une redéfinition du projet socialiste. En matière de socialisme le PCV a appliqué son programme. Ce programme était connu (l’assassinat des dirigeants communistes du Sud Vietnam pour cause de trotskisme avait révélé sa conception de la démocratie et du pluralisme) et pourtant l’émergence de ce stalinisme d’Extrême Orient a frappé de stupeur les militants solidaires du monde entier.
Il peut sembler choquant de parler du Cambodge dans ce contexte. Surmontons notre répulsion pour examiner un seul fait : Le génocide Khmer est la conséquence d’une politique qui avait été théorisée et non le dérapage incontrôlé d’un mouvement. Ce fut la fusion de ce que le stalinisme a porté de pire (pour autant qu’il y ait une hiérarchie du pire) et du nationalisme paysan. Ça a donné une théorisation politique de la transformation sociale comme processus violent, exercée contre le peuple, par un parti qui prescrit le type d’homme et le type de société qui doit exister. L’humanité conçue comme matériau ( « l’homme, capital le plus précieux selon Staline » ), le parti dirigeant qui prend la place de la société, l’annulation de la séparation entre la ville et la campagne par le transfert forcé des citadins hors des villes, tels étaient les fondements théoriques des Khmers Rouges. Je dis bien théoriques, et non pas pathologiques ou délirants, le délire sanguinaire est venu après, dans la mis en œuvre. La mise en œuvre a été possible dans une société pulvérisée par la guerre, sans capacité de résistance. La « difficulté » de cette mise en œuvre en avait été appréciée à sa juste mesure par le parti Khmer Rouge puisqu’il était resté clandestin après la prise du pouvoir.
Revenons à l’examen de situations plus proche de l’humanité habituelle.
A Cuba, Fidel Castro a renversé la dictature de Batista. Dans ce cas, fait rarissime, la dynamique de la lutte a radicalisé le projet initial. Un projet socialiste et internationaliste s’est développé et s’est approfondi au cours des premières années. Une révolution a eu lieu. Mais ce qui frappe, c’est la facilité avec laquelle le régime cubain s’est coulé dans le moule du « socialisme réel » made in URSS pratiquement sans résistances internes, en tous cas sans que des résistances laissent des traces organisées dans l’espace politique cubain. N’ayant pas de programme (de projet) concernant la société socialiste à construire, le modèle disponible (stalinien) s’est imposé de lui même : la fusion entre le parti et l’Etat n’a pas rencontré d’opposition principielle, pas plus que le refus du pluralisme politique. Parallèlement au rapprochement avec l’URSS, le Parti Communiste stalinien, dont l’URSS était le modèle, montait en puissance au sein du pouvoir cubain et il le marquait profondément de son empreinte idéologique.
En Pologne, au sein de Solidarnosc, le courant symbolisé par « Rendez nous nos usines » était minoritaire. Le coup d’Etat de Jaruzelsky a bloqué son développement. Malgré une pratique autogestionnaire, malgré une dynamique d’appropriation sociale engagée en pratique par le mouvement gréviste de 1979-80, l’idéologie pro-libérale des dirigeants s’est appliquée sans faillir au sein de Solidarnosc, quel qu’en soit le coût pour cette organisation, jusqu’au naufrage complet Solidarnosc aujourd’hui quasiment rayé de la scène, jusqu’à la pitoyable fin de carrière de Walesa.
Au Nicaragua, la dynamique de libération nationale et sociale inscrite dans le programme sandiniste s’est développée très en avant, jusqu’au renversement de la dictature, puis dans le cadre d’une transformation sociale radicale. Pourtant, la défaite a révélé la faiblesse de la direction politique : soutien populaire oui mais qu’en était-il du pouvoir populaire ? Des organisations de masse soutenaient l’Etat mais elles ne constituaient pas l’Etat. Et quant le pouvoir sandiniste fut vaincu à l’issue de la guerre fomentée par les USA puis par les élections, une des expériences révolutionnaires les plus prometteuses de cette moitié de XXéme siècle disparut presque sans laisser de traces.
Quand à l’expérience historique de la gauche au pouvoir en France après 1981, c’est une banalité de dire que c’est le parti dirigeant de cette expérience qui en a déterminé le cours.
La fascination qu’exerce pour l’observateur la force des idées dans les mouvements vient du fait qu’elles gardent leur vitalité et leur cohérence jusqu’au bout, que cela conduise les dirigeants à la victoire (Khomeyni) ou au naufrage (Walesa …) et même à la mort (Allende).
Alors ?
Alors, il ne peut pas y avoir de révolution victorieuse menant au socialisme sans un projet politique émancipateur cohérent.. C’est ce qui détermine, au bout du compte, notre projet politique (notre programme) et les moyens de le mettre en œuvre (le parti que nous construisons). Ce parti doit se former dans le cours de la lutte des classes : les rapports de forces entre réformistes et révolutionnaires ne sont évidemment pas intangibles. Mais au moment décisif, celui de l’épreuve de force face au pouvoir d’Etat, c’est le rapport des force politiques entre les classes, et en même temps entre réformistes et révolutionnaires qui détermine l’issue.
Le poids du futur
Les révolutions du passé permettent de poser un certain nombre de balises : sur ce qu’il ne faut pas faire et sur ce qui fait progresser une dynamique révolutionnaire. Nous pouvons énumérer quelques repères :
• Ne pas prétendre transformer l’Etat bourgeois de l’intérieur (une majorité parlementaire, qui se contenterait de faire de bonnes lois...).
• Respecter l’indépendance entre le mouvement social et le parti. Ne pas fusionner l’Etat et le Parti. dans l’Etat « socialiste ».
• Ne pas ignorer l’armée, militer pour sa dislocation.
• La propriété privée des moyens de production est la base du pouvoir politique de la bourgeoisie, la destruction de l’une et de l’autre vont de pair.
• Les diverses formes d’oppressions (patriarcales, racistes, sexuelles) bien qu’articulées au mode de production capitaliste ne tombent pas d’elles même lors du combat anticapitaliste.
• La destruction de la nature est inscrite dans la logique capitaliste, mais le combat contre l’exploitation ne conduit pas automatiquement au combat écologiste.
Ces questions, et bien d’autres interfèrent les unes sur les autres :
– Sur la manière de mener les luttes au jour le jour :
Exemple : Auto organisation (comités de grève, assemblées générales, démocratie syndicale) parce que cela renforce les luttes d’aujourd’hui et parce que ça prépare le socialisme de demain.
– Sur la tactique électorale : Si on ne peut pas changer l’Etat de l’intérieur, nous n’allons pas aux élections, ni nous n’occupons pas les positions élues, de la même façon que les réformistes.
– Sur les mouvements que nous soutenons : si l‘écologie, le féminisme, etc ne découlent pas automatiquement de la lutte entre le capital et le travail, alors nous menons un travail spécifique dans ces directions.
Il ne s’agit pas de tout énumérer. Ces exemples montrent qu’il y a cohérence entre le type d’organisation que nous construisons et notre vision du projet d’émancipation. Selon les réponses que nous apportons à ces questions, nous ne construisons pas la même organisation, y compris sur le plan du fonctionnement. Il n’est qu’à observer, déjà au sein de l’extrême gauche les différences visibles à l’œil nu.
Ces différences s’articulent à l’action d’aujourd’hui, mais elles sont surdéterminées par la vision que nous avons de l’avenir, en particulier sur deux questions : qu’est ce qu’une révolution, qu’est ce que le socialisme.
En ce sens, ce qui nous détermine, plus encore que l‘héritage politique, plus encore que la pratique militante d’aujourd’hui, c’est le futur que nous voulons faire advenir.
Nos incertitudes sur la forme de la révolution, et sur la nature du socialisme ne changent rien à ce fait. Beaucoup de réponses que nous apportons sont provisoires, mais toutes nos hypothèses sont articulées entre elles et le fait d’évoluer sur l’une a des répercussions sur beaucoup d’autres. La quatrième Internationale a fonctionné pendant plus d’une décennie sur l’hypothèse de victoires possibles de guérillas en Amérique du Sud : les organisations de ce continent ; et au delà, en ont été affectées. De manière plus modeste, l’embauche de plusieurs centaines de camarades dans l’industrie au cours des années 80 (c’était une orientation internationale) était articulée à la conception d’un auto développement de nos sections, la construction de « petits partis ouvriers », et d’un type de fonctionnement qui depuis a évolué : des cellules d’entreprises composées d’une majorité de membres qui « aidaient » la minorité qui se trouvait à l’intérieur.
C’est parce que nous sommes révolutionnaires, c’est parce que nous nous construisons pour un projet à-venir et non pas pour gérer une situation que nous devons travailler de manière volontariste à ce que les divers aspects de notre politique soient articulés entre eux. Cela n’a pas de rapport avec la « vérité » dont on ne sait pas qui a le droit de la proclamer : que nous ayons tort ou raison (et nous nous sommes souvent trompés) nous sommes obligés, sous peine de disparaître, d’expérimenter ensemble et de corriger ensemble nos éventuelles erreurs.
Dans notre tradition, construire une organisation centralisée est souvent présenté comme la construction d’un outil efficace pour intervenir dans la lutte révolutionnaire. Cela reste vrai, mais nous ne mettons pas assez l’accent sur l’outil d’élaboration d’une stratégie politique, articulée sur une pratique et une expérimentation. Nous avons commis de gigantesques erreurs, mais nous avons survécu politiquement parce que nous les avons commises ensemble et que nous avons rectifié ensemble les orientations erronées. Nous avons survécu parce que (entre autres choses) nous sommes une organisation centralisée. Le PSU a disparu.
Les réformistes sont portés par le courant : celui ci ramène constamment dans le flot toutes les déviances et toutes les expérimentations locales même les plus éloignées de « la ligne ». Tant que nous sommes à contre courant, aucune force extérieure à nous même ne peut reconstruire les cohérences perdues. Notre fonctionnement centralisé est une condition de notre survie politique.
La centralisation permet l’expérimentation en commun des hypothèses politiques, des plans tirés sur l’avenir (qui par définition ne nous est pas connu – seuls les croyants connaissent l’avenir et notre engagement n’est pas religieux - ). Elle est le moyen politique de mettre en cohérence les hypothèses, les pratiques et le projet stratégique révolutionnaire.
Evidemment, la centralisation ne se décrète pas, elle se conquiert politiquement. Mais la conscience de sa nécessité ne doit jamais nous échapper.
Le programme révolutionnaire et le mouvement social
Notre tradition léniniste.
Il ne s’agit pas en se disant léninistes de se revendiquer d’un catéchisme révolutionnaire type « mode d’emploi de la prise du palais d’hiver ». Quand ce genre de rhétorique apparaît dans nos rangs, c’est le signe d’une certaine décomposition du débat politique. Laissons ce genre de représentation du léninisme à nos adversaires.
A sa fondation, la tradition socialiste (Marx, puis la social démocratie d’avant 1914) visait à la représentation politique par le parti, en l’occurrence le parti social démocrate, de l’ensemble du mouvement ouvrier. La première Internationale, plus particulièrement, se voulait dès le départ représentative de la classe dans son ensemble (elle fédérait partis, syndicats, mutuelles d’entraide, journaux).
Constatant la dérive parlementariste, dénoncée par ailleurs et depuis longtemps, par Rosa Luxemburg (« un socialiste au gouvernement, c’est un socialiste de moins »), effarés par l’appel unanime des sociaux démocrates à partir en guerre en août 14, les initiateurs de la IIIe internationales, refondèrent le mouvement communiste sur une base radicalement différente : le parti se construit par l’adhésion à un projet politique, à un programme. Ils suivaient en cela les théorisations déjà développées par Lénine. Il ne s’agissaient plus de regrouper ceux qui luttent, fussent-ils radicaux ; il ne s’agissait plus de représenter à priori toute la classe : Il fallait se regrouper autour d’un programme articulant l’intervention dans la luttes des classe et la préparation de la prise du pouvoir. L’hégémonie sur la classe n’est dès lors plus le point de départ, la fonction première, mais le résultat d’un combat politique.
C’est ce modèle qui est resté le nôtre jusqu’à aujourd’hui . Nous ne sommes pas seulement le regroupement de ceux qui luttent mais avant tout un projet politique révolutionnaire articulé à une pratique de luttes.
De ce point de vue, nous nous sommes léninistes.
Le « Parti de Travailleurs » brésilien est, au contraire de cette tradition politique, issu de la constitution en parti politique d’un puissant mouvement social : la lutte contre la dictature, les grèves ouvrières de la région de Sao Paulo, le mouvement paysan notamment des sans-terre. Ce fut un mouvement exemplaire, par son ancrage social et sa radicalité. Le PT fut pendant des années un parti anticapitaliste de masse « non délimité stratégiquement » comme nous le disons dans notre tradition politique. Non délimité stratégiquement cela veut dire que ce parti n’avait pas, lors de sa constitution, de point de vue arrêté, partagé par ses militants, sur le rapport aux institutions, sur la prise du pouvoir, sur les formes de propriété, sur le féminisme, et probablement de nombreuses autres questions.
Ce parti renouait en un sens avec la tradition de la première Internationale de représentation politique des luttes. Nos camarades de la IVe internationale ont participé à sa fondation et l’ont construit jusqu’à aujourd’hui. Mais ils n’ont pas renoncé pour autant à leur propre identité, à leur programme. Ils sont restés organisés à l’intérieur, passant parfois des alliances, mais toujours structurés comme organisation spécifique. Ils n’ont pas renoncé à construire un parti révolutionnaire. Le bilan de ces choix n’est pas encore tiré, mais personne ne peut aujourd’hui se prévaloir de l’expérience brésilienne pour affirmer qu’un parti anticapitaliste large rend obsolète la construction d’un parti révolutionnaire. Au contraire, le bilan de la construction d’un parti révolutionnaire de masse devra être intégré au bilan plus global d’un parti anticapitaliste large au Brésil.
Quoiqu’il en soit de l’avenir, l’évolution du PT, depuis sa fondation a confirmé toutes les évolutions connues depuis la fondation du mouvement ouvrier : l’inéluctable attraction du réformisme. Il n’y à cela rien d’étonnant : la classe ouvrière exploitée et opprimée se constitue, se structure, acquiert sa conscience par la pratique des luttes. Mais cette conscience ne progresse pas spontanément plus en avant que la défense contre les effets du capitalisme (trade-unionnisme, c’est à dire syndicalisme, en référence à la puissance sociale et à la faiblesse politique du mouvement ouvrier anglais du début du siècle). Le projet émancipateur, révolutionnaire, ne peut venir que de l’extérieur : Non pas de l’extérieur de la classe ouvrière mais de l’extérieur de la lutte économique et cet extérieur c’est la théorie et l’organisation politique, c’est la constitution en parti révolutionnaire. Théorie veut dire mise en relation de la pratique des luttes, des expériences du passé, des expériences d’autres pays, et de la nécessité d’une prise du pouvoir par la classe opprimée et exploitée. Cette théorie ne découle pas directement de la pratique, du vécu des militants : l’histoire et la diversité géographique ne sont pas des faits d’expérience, ils ne sont accessibles que par un savoir abstrait, théorique. Toutes les questions non résolues en théorie, laissées en suspens du fait de la seule mise en commun des luttes, seront inévitablement investies par l’idéologie dominante, celle de la bourgeoisie. Ces questions sont par exemple le rapport aux institutions, la relation entre lutte sociale et prise du pouvoir, la dialectique internationale des luttes et des rapports de forces, etc ..)
A la différence de la bourgeoisie révolutionnaire des siècles précédents, la classe ouvrière n’a aucune possibilité de mettre en œuvre par petits bouts des éléments de la société future : elle reste irrémédiablement, dans la société capitaliste, dépourvue du contrôle de moyens de production. A contrario, la bourgeoisie du Moyen Age, en devenant propriétaire, construisait progressivement les bases d’une autre société et ainsi son pouvoir politique. Dans beaucoup de pays elle s’est dispensé de faire la révolution.
Dans la société capitaliste, la construction indispensable pour la libération de la classe opprimée est l’outil stratégique permettant d’orienter la lutte vers la prise du pouvoir : le parti révolutionnaire. Ce n’est pas une construction sociale (à l’exemple de la propriété privée dans le monde féodal) mais une construction politique articulant en théorie 3 choses : la lutte immédiate, la prise du pouvoir, le projet de société.
La question qui nous est posée à cette étape de l’histoire, est « est ce que cette manière d’inscrire le projet révolutionnaire dans ce type de rapport classe – parti – mouvement de masse reste encore la notre ? ». La conclusion est pour moi « incontestablement oui ».
Evidement, tout ça se situe à un certain niveau de généralité. Ni les questions de démocratie, ni le rapport parti / mouvement, ni le fonctionnement des organisations, ni le rapport à l’Etat et aux institutions, ne se posent dans les mêmes termes qu’au siècle dernier
Mais celles et ceux qui ne sont plus d’accord avec les grands lignes, les questions structurantes décrites ci dessus ne peuvent plus se dispenser d’expliciter quels termes de ce raisonnement (qui, rappelons le, faisait notre socle commun) doit selon eux être révisé.
Le pire de tout serait de laisser advenir les nouvelles expériences politiques, les nouvelles générations, les nouvelles pratiques sociales, sans que ces question ne fassent l’objet d’une nouvelle appropriation par tous les militants de la LCR. Cela veut dire leur déclinaisons dans les termes de la lutte telle qu’elle se mène dans les sociétés capitalistes du XXIe siècle. L’absence de point de vue sur ces questions laisserait, dans la Ligue comme dans n’importe quel autre parti « non-délimité-stratégiquement », l’idéologie dominante remplir les espaces laissés vacants. Electoralisme, gradualisme, fédéralisme(1) pourraient alors s’immiscer sans débat de fonds dans nos pratiques puis progressivement dans certaines théorisations.
Un parti anticapitaliste de masse comme étape nécessaire
Deux raisons majeures de construire tels partis (même non-délimités-stratégiquement).
La trop longue marginalité des partis révolutionnaires.
Le phénomène de secte est indissociable, dans l’histoire humaine, de la diffusion des idées nouvelles. Nous devons avoir le plus grand respect pour les sectes car ce phénomène nous concerne. Quand un groupe humain veut perpétuer des idées dans le temps (à l’échelle de plusieurs générations) et dans l’espace (dans des régions du monde où il n’a pas de racines sociales) la secte est inévitable : C’est un repli autour de quelques idées simples, cohérentes entre elles et structurant un univers de pensée. Le groupe qui n’a pas percé socialement n’a le choix qu’entre le repli sectaire (plus ou moins radical) et la disparition. Il fait ainsi vivre et perpétue des idées déconnectées, pendant une longue période, d ‘une pratique sociale.
Pour les trotskistes, le défi a été de transmettre sur plusieurs générations une cohérence politique révolutionnaire alors qu’aucun des partis constituant ce courant n’a fait, depuis 1917, l’expérience concrète et directe d’une révolution. Pendant ¾ de siècle, aucun parti de la IVe internationale n’est devenu un parti de masse, aucun n’a connu une insertion sociale et politique lui permettant d’appréhender une société quelconque dans toute sa diversité, dans toute sa complexité. Et les fondateurs, seuls porteurs, dans notre histoire, de l’expérience concrète de partis révolutionnaires de masse et de la direction d’une révolution, ont disparu depuis longtemps.
Pour apprécier à sa juste valeur le poids de la tradition à perpétuer (par rapport aux tâches politiques du moment), il faut relire les thèses du congrès de fondation de la Ligue Communiste en 1969. Les références aux origines (citations de Lénine et de Trotsky) sont omniprésentes. Il ne s’agit pas ici de dénigrer, mais au contraire de prendre la mesure de la tâche immense de conservation d’une tradition politique que s’est assigné notre mouvement, de son poids écrasant.
Ce repli forcé, cette marginalité et le prix à en payer ont toujours été compris dans notre courant : un des arguments ( - pas le seul - ) des opérations d’entrisme dans les partis socialistes, puis au PCF était de chercher une réinsertion de petits groupe que nous étions dans des partis de masse. La pratique militante dans les mouvements de masse a toujours structuré nos organisations, et elles n’ont jamais été réduites au sens strict à de petits groupes propagandistes, même quand il n’y avait plus que quelque dizaines de militants comme à la fin des années 50. Pour bien comprendre ce qu’est un groupe purement propagandiste dans lequel le phénomène sectaire l’a emporté sur tout le reste, il n’y a qu’à regarder un machin comme RI que nous subissons régulièrement dans les meetings à Lyon. Il y en a bien d’autres dans le pays. Nous n’avons jamais ressemblé à ça. Mais cela ne nous exonère pas d’un examen lucide du prix à payer pour si une longue marginalité.
Les traits plus ou moins sectaires visibles dans les pratiques et les modes de fonctionnement du PT (le français), dans une moindre mesure de LO, ne doivent pas nous faire oublier que nous sortons d’un moule commun, qu’ils sont comme nous des héritiers, ni plus ni moins indignes que nous, de la IVe Internationale. Le regard extérieur que nous portons sur d’autres partis peut être cruel mais la vision « de l’intérieur » que nous avons de nous même n’est pas nécessairement la plus réaliste.
Notre courant a bien sûr toujours eu, même dans les périodes les plus difficiles, une pratique militante « de masse » au sens où il structurait des luttes et des mouvements : la « fédération des auberges de jeunesse » après 1945, la luttes contre la guerres d’Algérie dans les années 54-62, contre la guerre du Vietnam, de tous temps évidemment le syndicalisme … la liste est très longue.
Aujourd’hui la diversité de nos champs d’intervention s’est considérablement élargie. Pour autant nous ne « couvrons » encore qu’une part infime de l’espace social. Ce qui est vrai sur le terrain des luttes est encore plus accentué dans le domaine de l’insertion sociale. Nous sommes une organisation très homogène socialement, issue du milieu étudiant et travaillant dans le « secteur tertiaire », et très peu présente dans les milieux populaires dont nous pensons par ailleurs qu’ils devront être la force motrice d’un processus révolutionnaire. Nous nous reproduisons à notre image et n’arrivons pas à gagner à nous durablement des militants issus du monde ouvrier ou issus de l’immigration, et ce malgré des efforts méritoires mais jusqu’ici vains (embauche dans l’industrie, interventions en banlieues ..). Le PCF, du moins ce qu’il en reste, nous montre à contrario ce qu’à pu être une insertion sociale de masse dans les milieux populaires.
Le décalage, depuis 10 ans, entre notre influence politique grandissante et notre surface militante ne se comble pas. 10 ans, c’est la période au cours de laquelle notre place politique dans le pays a changé qualitativement : d’une part un rôle majeur dans des luttes comme l’antifascisme, le mouvement des retraites, les coordinations contre les licenciements, à plusieurs reprises une influence électorale, et d’autre part un nombre de militants qui, bien que doublé, ne change pas qualitativement la donne.10 ans, c’est beaucoup, ça permet de faire un bilan politique des possibilités et des limites. Ce décalage entre nos responsabilités et les moyens de les assumer ne peut pas être maintenu indéfiniment. Or je fais l’hypothèse que notre incapacité à croître n’est pas dû qu’à des cause objectives qui nous sont extérieures. Notre longue histoire de parti marginal, de petit groupe qui n’est en prise que sur une minuscule partie de la réalité sociale, pèse sur nous. Croire que nous pouvons trouver en nous les ressources pour sortir de l’état groupusculaire, pour aller vers de nouveaux milieux sociaux, pour intégrer des militants sur d’autres pratiques, d’autre rapports à la politique que ce qui nous caractérise, a été jusqu’à ce jour démenti par les faits. Or ce qui fonde notre pratique politique est extrêmement étroit, très idéologique , ne laisse aucune place, par exemple, à des militants pour qui l’action concrète est la motivation première, à des militant qui puisent leur énergie dans le refus de cette société, mais pour qui les préoccupations stratégiques ne viennent pas en premier lieu.
Rien de l’expérience des dix dernières années d’« émergence politique » ne laisse présager que nous sommes capables de construire un parti de masse à partir de notre simple développement, à partir de la croissance numérique de notre organisation. Pire : nous ne sommes pas capables de mettre en adéquation notre influence politique et notre surface militante.
Il ne s’agit pas de nier ici les causes objectives, sur lesquelles nous n’avons pas prise, qui rendent très minoritaires dans la société l’idée révolutionnaire. Pour les mesurer, il suffit de rappeler que Léon Blum affirmait dans les années 30 qu’il fallait abolir la propriété privée des moyens de production. Il déclarait que son désaccord avec le mouvement communiste ne portait pas sur le but mais sur les moyens. A son époque, l’idée de révolution était largement partagée au sein du mouvement ouvrier, toutes tendances confondues. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Mais nous devons dépasser les limitations qui nous sont propres : Il ne s’agit pas ici de celles qui sont liées aux conditions politiques de la période mais de celles que nous héritons de notre histoire : notre composition sociologique et à certaines tares d’un parti très idéologique parce que trop longtemps marginalisé. L’expérience des 10 dernières années semble montrer que nous n’en avons pas les ressources en nous. Certains modes de fonctionnement, certaines pratiques politiques (les sociologues parleraient d’habitus) nous plombent alors que nous n’avons même pas conscience. Pour me faire comprendre, j’établirai une analogie avec les comportements machistes (ou plus prosaïquement virils) qui ne peuvent pas être révélés et combattus par l’introspection, l’auto analyse, l’autocritique des « pratiquants » mais par le rapport de forces exercé par celles qui les subissent.
L’insertion véritable dans un parti anticapitaliste de masse, populaire, ouvrier, pourrait alimenter le processus de notre transformation. A moins que des évènements politiques majeurs, grâce à un rôle déterminant que nous pourrions y jouer, ramène à nous d’un seul coup une masse importante de nouveaux militants qui de manière brutale nous obligerait à nous remettre en cause.
La destructuration profonde du mouvement ouvrier
Notre courant a été fondé il y a 70 ans à partir de l’hypothèse suivante : Le mouvement ouvrier a été trahi par ses dirigeants parce que, insérés dans l’appareil d’Etat (PS) ou dans un appareil politique international conservateur (Internationale Communiste), ceux ci n’ont plus d’autre objectif que la préservation de l’ordre capitaliste existant. La tâche de révolutionnaires était donc de leur en disputer la direction.
Cette réalité d’une époque, du fait même de sa durée sur des décennies, change de nature. Le mouvement ouvrier se trouve transformé en profondeur, dans ses structures et dans son idéologie, par la bureaucratie et le réformisme. A cela s’ajoute le poids des défaites.
Nous ne sommes plus en présence d’un mouvement ouvrier en lutte pour le socialisme qui serait trahi par ses dirigeants, mais d’un mouvement ouvrier qui ne lutte plus pour le socialisme. Nous ne sommes plus en présence d’une « classe ouvrière » organisée et consciente de sa force, mais d’un monde salarié profondément divisé. Nous ne sommes plus en présence d’une utopie socialiste largement partagée (utopie pris dans son sens positif de projection sur un avenir imaginé) fondée sur la propriété collective et l’abolition du salariat, mais d’un doute sur les possibilités concrètes de l’appropriation sociale, nous n’avons plus une « voie royale » de la lutte vers le socialisme qui partirait de la lutte sociale pour aboutir à la propriété collective, mais nous sommes en présence d’une séparation non résolue entre luttes sociales contre l’exploitation d’une part, l’écologie et le féminisme d’autre part.
L’hypothèse d’une organisation qui se donnerait pour objectif la lutte pour la direction de la classe ouvrière, la lutte pour remplacer les directions traîtres par une direction révolutionnaire, hypothèse qui avait présidé à la fondation de la IVe Internationale, est devenus totalement insuffisante. Notre projet politique doit s’insérer dans une refondation totale du mouvement social.
Cette refondation est en cours avec l’émergence du mouvement altermondialiste (porteur d’un nouvel internationalisme qui intègrerait écologie et féminisme aux questions sociales), avec l’existence depuis 30 ans d’un mouvement féministe influent mais resté aux marges du mouvement ouvrier, avec la montée en puissance des questions écologiques. Mais elle bute sur la régression et la décomposition du mouvement syndical et les défaites ouvrières accumulées.
Pour avancer d’un pas, cette recomposition qui se manifeste sur le terrain social doit trouver une expression politique. Prétendre que nous serions, à nous seuls cette représentation politique, ou faire le pari que cette représentation politique se construirait autour de nous, est prétentieux (c’est à dire très probablement irréaliste), et pourrait être vécu comme manipulatoire.
Nous participons à une refondation, et pas seulement à une réorientation politique, du mouvement ouvrier et social. En conséquence, nous affirmons notre disponibilité pour construire une organisation politique intègrerait en son sein les pratiques anticapitalistes et anti-impérialistes qui émergent en France et dans le monde. Cette organisation politique serait fondée sur la mise en commun des luttes radicales dont nous sommes d’ores et déjà partie prenante et cela en toute indépendance des institutions de l’Etat bourgeois ou de ses prolongements internationaux (FMI, Banque Mondiale, ONU ..). Mais bien des question resteraient non résolues : en ce sens, ce parti ne serait [pas] « délimité stratégiquement »
Les expériences concrètes et leurs limites
Note préliminaire : cette partie est écrite avec pour source d’information principale (et donc limitée) « Inprecor » revue de la IVe Internationale.
J’ai parlé du PT Brésilien : un parti de masse issu des luttes ouvrières et démocratiques. Le PT arrive aujourd’hui à un tournant de son histoire, au terme ( ?) d’une dérive social-libérale. Nos camarades de Démocratie Socialiste ont essayé depuis le début de construire, à partir de ce mouvement, un projet politique radical, et en son sein une tendance révolutionnaire. Leur influence politique y est indéniable : en tant que tendance, ils ont influencé jusqu’à 30% des délégués dans des congrès du PT (qui, rappelons le, compte des centaines de milliers de membres) et en tant que représentants du parti, ils ont conquis (provisoirement) des positions institutionnelles comme la ville de Porto Alegre ou l’Etat du Rio Grande Do Sul.
L’influence politique des révolutionnaires au Brésil est , du fait de leur participation au PT, sans équivalent et sans précédent dans l’histoire de la IVe Internationale, et même du courant trotskiste dans son ensemble. Cependant la capitalisation et la pérennisation de cette influence n’est pas acquise.
Ils n’ont pas réussi à empêcher la dérive social démocrate du PT.
La situation ne s’est pas suffisamment décantée, selon nos camarades, pour tirer un bilan définitif et envisager une réorientation. Cependant nous pouvons déjà faire une remarque sur cette expérience : Si leur influence politique est grande, ils sont restés un petit groupe au sein d’un grand parti, une organisation de cadres et non un organisation de masse. Le saut qualitatif pour qu’apparaisse une organisation révolutionnaire de masse, ou du moins ayant une certaine consistance numérique n’a pas été franchi. DS au brésil n’organise pas au sens strict un courant révolutionnaire plus grand que, par exemple, la LCR en France.
En Italie, nos camarades ont choisi de s’insérer dans le PRC, issu du parti communiste, et de le construire. Il s’agit là d’une expérience tout à fait différente puisque le PRC est le prolongement non pas d’un mouvement social de masse comme au Brésil, mais du parti communiste historique après son explosion. Ce parti compte plusieurs dizaines de milliers de membres (70 000 ?). Il s’est positionné de manière positive en faveur des luttes sociales et en pleine insertion dans le mouvement altermondialiste. A l’échelle internationale, il a entretenu des rapports avec la gauche révolutionnaire en même temps qu’avec les PC traditionnels. Il connaît en ce moment une dérive droitière.
L’influence de nos camarades au sein du PRC est, proportionnellement, du même ordre de grandeur que celle de DS dans le PT : une importante minorité. Mais là aussi, il semble que le nombre de militants de la IVe Internationale n’a pas changé qualitativement depuis leur entrée dans le PRC. Par aiilleurs, ils y sont comme courant structuré, ils ne s’y sont pas fondus.
Au Portugal, le Bloc des Gauches est issu du regroupement de plusieurs courants de la gauche radicale. Il est en concurrence avec un PC resté influent et stalinien. Nos camarades jouent au Bloc de Gauches un rôle moteur. Ayant acquis une influence électorale et sociale non négligeable, le Bloc des Gauches n’est pas pour l’instant devenu un parti de masse de la taille du PRC et encore moins du PT. Il n’a pas dépassé en surface militante la taille de « gros » partis d’extrême gauche d’autres pays d’Europe.
D’autre expériences ne furent pas concluantes : Le PDS d’Allemagne, issu d’une refondation critique du parti communiste d’Allemagne de l’Est, a connu un dérive social démocrate intenable. Il ne semble pas que nos camarades allemands aient réussi à tirer profit , en terme de construction, de leur passage au PDS.
Au Sénégal, l’expérience semble avoir sombré corps et biens, en Turquie le projet d’un parti large piétine, et en Grèce les tentatives de regroupement électoral à gauche ne sont pas pour l’instant stabilisées.
Nous voyons que l’insertion dans des partis anticapitalistes « de masse » n’est pas une voie royale par laquelle se résoudrait automatiquement notre marginalité politique. Par ailleurs, la construction de partis anticapitalistes n’en fait pas non plus automatiquement des partis de masse (le Bloc des Gauches portugais reste un petit parti). Nous voyons aussi que, même quand ils ont une gauche révolutionnaire influente en leur sein, ces partis subissent une attraction qui semble irrésistible vers la social démocratie. Nous voyons enfin que l’influence de notre courant dans ces partis ne conduit pas mécaniquement au développement numérique d’une frange révolutionnaire. De ce dernier constat (les limites du développement numérique du courant révolutionnaire), nous devons tirer une leçon pour notre éventuelle participation à un parti anticapitaliste de masse : La construction d’un courant révolutionnaire en son sein ne découlera pas mécaniquement de l’influence politique des révolutionnaires. Cela devra rester une tâche politique à part entière.
Cela n’invalide pas le projet d’un « parti-anticapitaliste-large-non-délimité-stratégiquement » d’autant plus que, par ailleurs, les tentatives d’auto construction de partis révolutionnaires autonomes n’ont pas été couronnée de succès. La LCR de France reste l’organisation autonome la plus importante de la IVe. Le PRT mexicain, ou la LCR de l’Etat Espagnol, à une époque aussi importants que la LCR, voire plus, ont explosé en vol. A l’échelle internationale (le cas de l’Inde et du Népal mis à part … ?) il n’existe pas semble t-il, tous courants confondus, de parti « révolutionnaire » (même en élargissant la signification de terme au delà notre propre conception) qualitativement supérieur, d’un point de vue numérique, à la LCR.. Ceci dit à partir de l’appréciation selon laquelle des rapports numériques du simple au double, ou au quadruple, ne constituent pas des différences qualitatives. Rappelons que le PCF au faîte de sa puissance (pendant 25 ou 30 ans) comptait 600 000 membres ou le PS des années 70 comptait 250 000 à 300 000 membres.
D’un point de vue numérique, l’enjeu ne se situe pas probablement pas à ce niveau actuellement en France : c’est plutôt l’organisation, dans une structure politique, de quelques dizaines de milliers de militants radicaux du mouvement social et du syndicalisme qu’il faut viser.
Enfin, nous ne perdons de vue que la construction de partis anticapitalistes larges n’est pas opposée dans notre pratique à la bataille pour une convergence des courants révolutionnaires : nous sommes moteurs des rencontres Européennes de la « Gauche Anti Capitaliste Européenne » et à l’occasion des forum sociaux mondiaux de Porto Alegre et de Mumbay des rencontres internationales de l’extrême gauche.
Pour conclure en résumant
1 ) La construction de partis anticapitalistes larges n’est pas une fin en soi mais un moyen pour
• Aller vers de nécessaires parti révolutionnaires de masse.
• Participer à une refondation globale du mouvement ouvrier et social, et pas seulement de ses directions.
Il s’agit d’une hypothèse qui mérite d’être interrogée et réévaluée à chaque étape. Visiblement c’est une route longue et semée d’embûches.
2 ) La construction de partis révolutionnaires est une tâche à part entière quelle que soit la situation, autonomie ou immersion dans un mouvement plus large. C’est une tâche de longue haleine dont on ne peut espérer qu’elle se règlerait d’elle même dans le feu d’une crise sociale ou dans la dynamique d’une nouvelle organisation anticapitaliste de masse.
3 ) Les limites objectives.
Aucun parti révolutionnaire de masse n’est apparu à ce jour dans le monde, que ce soit par développement autonome ou par développement d’un courant de gauche au sein de partis de masse. Ce fait doit nous alerter sur la fragilité des hypothèse sur lesquelles nous travaillons. Il doit aussi nous faire prendre conscience des limites objectives (c’est à dire extérieures à nos possibilités d’action, inscrites dans la situation politique et sociale).
Mais aussi, à part la situation exceptionnelle du Brésil, aucun parti de masse qui aurait une dynamique de refondation du mouvement ouvrier et social. n’est apparu à ce jour (sur une période de plus de 20 ans) . Là aussi, il y a un grand écart entre le besoin politique tel que nous l’évaluons et les possibilités réelles. Cela ne nous dispense pas d’engager la bataille, mais cela doit nous amener à être circonspects sur les cause de nos difficultés.
Gérard Vaysse, LCR Lyon
Le 4 Novembre 2004
1 Electoralisme : imaginer la conquête du pouvoir par le seul moyen de la victoire électorale dans les institutions élues, Gradualisme : penser que la société socialiste adviendra sans rupture, par simple accumulation de réformes, Fédéralisme : concevoir l’organisation révolutionnaire comme simple mise en commun de pratiques locales.