Raflé par la police française en 1943, Jean René Chauvin, membre du Parti Ouvrier Internationaliste, principale organisation se réclamant du trotskisme en France, va connaître les enfermements, la déportation, les transferts, les marches de la mort, l’enfer des camps de concentration.
Ce livre est précieux pour « ne pas laisser sans réplique les faussaires de l’histoire », « rafraîchir la mémoire à certains staliniens honteux » et « poursuivre avec impertinence le combat contre les forces obscurantistes de la tyrannie et de la haine raciale. ».
Souvenirs relatés avec une très grande humanité, parcours ponctué de petits récits de vie, tragiques, dérisoires ou comiques, les pages s’éclairent de mises en perspective historique (guerre contre les Boers en Afrique du Sud, guerre hispano-américaine à Cuba) et interrogent l’expérience concentrationnaire. « Peu importe la métaphore utilisée pour tenter de cerner ou d’expliquer le phénomène : univers concentrationnaire, cancer, lèpre ; chacune convient. Le phénomène est immense et multiple comme l’univers, il prolifère comme le cancer, il est inguérissable comme la lèpre. Il s’étend dans le temps, avec une nette préférence pour le 20e siècle ; il s’étend dans l’espace. Il se pare toujours d’ignominie, et plus il se modernise et se perfectionne, plus il plonge dans une horreur abyssale ».
L’auteur n’oublie pas que les premières victimes des nazis furent les antifascistes allemands, il nous parle des déportations et des camps, là-bas dans ce qui fut appelé plus tard Goulag pour les opposants à Staline, là pour les membres des organisations ouvrières en Allemagne (qu’ils fussent chrétiens, socio-démocrates, communistes), ici pour les réfugiés républicains espagnols en France après la victoire de Franco.
Il n’oublie pas, à l’ombre des grandes barbaries, les assassinats des militants du POUM (dont A. NIN), d’évadés trotskistes dans las maquis, des meurtres y compris dans les camps de ceux qui furent nommé hitléro-troskistes par les staliniens.
Mémoire, histoire, en ce milieu de siècle, deux étoiles jumelles brillaient et obscurcissaient les possibles lendemains : fascisme et stalinisme.
Ce n’ai pas simplement un ouvrage nécessaire à la mémoire, c’est un témoignage proprement bouleversant d’un militant pris dans la tourmente du siècle. Loin d’une adaptation des réalités au nom d’une hiérarchie dans le « mal », d’un nationalisme étriqué, ou d’un ennemi principal, la mise en relation de ses souvenirs avec ceux d’autres prisonniers et déportés font ressortir les similitudes dans les fonctionnements des camps (transfert, accueil, place des droits communs) dans les ordres et les fonctionnements des dictatures, de l’organisations du monde sur le dos des populations, qu’elles soient, françaises, allemandes, polonaises, soviétiques ou juives.
Il était minuit dans le siècle pour les populations et pour certains « Communiste opposant à Hitler ou à Staline : même accueil, Même destin ! »
Le court vingtième siècle est terminé (mais pas ses conséquences). Le fonctionnement du monde capitaliste et de ses épisodes dictatoriaux, de ses moments extrêmes ont donné lieu à de multiples recherches.
Il nous reste à revenir sur la part criminelle engendrée par l’idée même d’émancipation. De ce point de vue, la préface de Michel Lequenne me semble dans sa partie finale non seulement erronée « trois grands systèmes de camp de la mort, celui du nazisme, celui du stalinisme et celui du maoïsme » mais impropre à une réflexion renouvelée.
Didier Epsztajn