Que l’on en soit, qu’on les archive ou qu’on les étudie, les mouvements étudiants, hier et aujourd’hui, sont toujours à la recherche de leur autonomie, qu’ils manifestent ou pas, seuls ou avec les salariés. Ils concrétisent, une nouvelle fois, après les mouvements CIP (1994), CPE (2006), ce qu’en avril 1946 134 délégués de 23 associations générales d’étudiants avaient proclamé dans une « déclaration des droits et devoirs de l’étudiant », à savoir que « l’étudiant est un jeune travailleur intellectuel ». Cette prophétie de 1946 est devenue réalité : la plupart des étudiants sont des enfants de salariés et de futurs salariés ; pour un million d’entre eux – soit 6% du salariat – ils travaillent, souvent en contrat précaire. Cette affirmation du fait étudiant fonde aussi le principe d’une sécurité sociale étudiante, voire d’un revenu étudiant ou de la représentation étudiante.
Cette déclaration du premier congrès de l’UNEF de l’après-guerre, amalgamant ceux qui étaient réstés passifs avec l’avant-garde combattante tout comme la résistance avait uni ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, va être connue sous le nom de « charte de Grenoble ». Elle refonde le mouvement étudiant et demeure, à l’instar de la charte d’Amiens pour le syndicalisme des salariés, la référence de la plupart des organisations étudiantes.
Mais justement, là où il n’y avait qu’un syndicat étudiant, le mouvement est aujourd’hui multipolaire. Et si ces mouvements étudiants constituent une invention permanente, nous devons veiller à ce que la mémoire des générations étudiantes – et elles se succèdent rapidement puisque la situation d’étudiant est transitoire – ne se disperse et disparaisse. Nous devons même veiller à ce qu’elle soit transmise... au premier chef aux acteurs d’aujourd’hui Qui n’a pas de passé, n’a pas d’avenir.
Histoire et mémoire ne sont pas identiques, mais elles sont liées : sauvegarder, conserver les archives, les confronter à la mémoire des acteurs qui vont l’éclairer, lui donner de l’épaisseur humaine, historique, sociologique, ...telle est la mission commune – chacun tenant son rôle – des acteurs, anciens ou actuels, des archivistes, des chercheurs. Depuis 20 ans nous menons ces expériences. Avec le Germe, pour la recherche, et la Cité des mémoires étudiantes, pour les archives, nous ne pouvons que nous féliciter qu’enfin le ministère chargé de l’enseignement supérieur ait reconnu ce besoin par un premier pas : une convention conclue pour deux ans avec la Cité des mémoires étudiantes pour classer les fonds d’archives des organisations nationales étudiantes.
Cette mémoire n’est pas momifiée, elle demeure vivante. En attestent les livres, les expositions, les colloques et conférences. Là peuvent se rassembler pour échanger leurs points de vue toutes les générations et tendances d’hier et d’aujourd’hui, occasions rares et précieuses. Et si elles peuvent discuter du passé, pourquoi pas de l’avenir ? L’amalgame réalisé en 1946 peut au moins se renouveler autour d’une table ronde comme celle que nous tiendrons le 15 avril*.
A 70 ans, la charte de Grenoble n’a pas pris une ride.
Paul Bouchet, co-rédacteur de la « charte de Grenoble »
Jean-Philippe Legois, président de la Cité des mémoires étudiantes.
Robi Morder, président du Germe (Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants)
*Cette table ronde « 70 ans après, quel héritage de la charte de Grenoble » se tiendra avec toutes les organisations étudiantes à vocation représentative (UNEF, UNI, FAGE, PDE, Solidaires) le 15 avril 2016 à la MSH Paris Nord à l’occasion de la journée « Classer et valoriser les archives étudiantes ».