Le gouvernement veut détruire « Nuit Debout », détruisons le gouvernement !
Une semaine après le début de l’occupation de la place de la République dans le centre de Paris, nous sommes donc le « jeudi 38 mars » selon le nouveau calendrier de lutte. Dans l’assemblée populaire, une femme prend la parole : « On a une semaine. Alors évidemment on est encore à un stade de nourrisson : les premiers mots de bébé, « caca, caca ! », c’est la première étape logique. » Nous en étions encore seulement au stade du constat, du partage d’expériences, bref d’assumer collectivement que la société dans laquelle nous évoluons est merdique...
Mais c’est presque méthodiquement que la deuxième semaine, même bousculé par les flics et trempé par les flaques, le mouvement se structure. Il nous arrive de passer quelques nuits sans être évacué, d’autres matins, c’est plus sévèrement que les sirènes des mégaphones des policiers nous réveillent. Sous l’œil et la matraque d’un policier trop pressé, il faut replier sa tente « 2 seconds » en une seconde, alors même que le marketing de chez Decathlon n’avait pas prévu ce genre de détails...
Contre flics et marées
Alors que le noyau de personnes à l’origine des « Nuits Debout » commençait à envisager de planifier l’occupation en « temps forts », en week-ends, en soirées thématiques, les tentes et structures ont poussé comme des champignons sur la place et le nombre de participantEs augmente de jour en jour, d’échéances en échéances, d’assemblées populaires en assemblées populaires.
Les premiers matins, la répression était violente : bousculades, coups de matraque, clefs de bras et « jets de gauchistes dans le métro », les flics étant déjà bien entraînés grâce aux étudiantEs de Tolbiac, aux lycéenEs de Bergson, aux migrantEs de Calais, aux Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, aux banlieusardEs (entre autres).
Et c’est au moment où c’est le plus dur de tenir, après la fatigue du mois de mobilisation acharnée contre la loi travail, qu’on apprend qu’il y a des « Nuits Debout » dans plus de 60 villes en France : à Nantes, Rennes, Bordeaux, Toulouse, Marseille ou encore Lons-le-Saunier, mais aussi dans la banlieue parisienne, à Saint-Denis, Ivry-sur-Seine... Qu’il y en a même une à Bruxelles et que les indignéEs espagnols reprennent leurs places. Même la place de Tulle où Hollande fêtait sa victoire en 2012 est aussi occupé e !
Le mouvement n’est pas fermé. Les gens du quartier nous apportent des sacs de nourriture, des tentes, des couvertures. Une voisine a exceptionnellement ajouté à sa liste de courses des paires de chaussettes pour « réchauffer les cœurs et les orteils »... Des militantEs sont en train de dépaver autour des arbres pour créer un potager.
Du rêve général à la grève générale
La « Nuit Debout » est la prolongation de la manifestation massive du jeudi 31 mars, et elle a pour perspective première de faire tomber le projet de loi travail, car nous n’avons pas les moyens de perdre une fois de plus face au gouvernement. La tonalité des discussions en assemblée populaire est à la convergence des luttes. Comme tout le monde, Frédéric Lordon a attendu son tour pour parler : « Nous n’occupons pas pour occuper, nous occupons pour atteindre des objectifs politiques », a-t-il expliqué, et au premier rang de ces derniers, la « convergence des luttes », avant d’inviter les chauffeurs de taxi, les salariés de Uber, les « Peugeot », ainsi que les agriculteurs à nous rejoindre. Les jours suivants sont intervenus des lycéenEs, étudiantEs, cheminotEs, postierEs, hospitalierEs, paysantEs, intermittentEs du spectacle, précaires, chômeurEs, profs, journalistes, des personnes privées d’emploi et des personnes refusant d’être salariées.
Les débats appellent à la convergence entre les secteurs, mais également entre toutes les luttes pour l’émancipation : celles contre l’impérialisme, contre les violences policières, du féminisme, des problématiques LGBTI+, de l’antiracisme, de la démocratie, des questions écologiques...
« Nuit Debout » a aussi impulsé des actions dans des gares parisiennes en direction des salariéEs et des usagerEs, mais aussi à Stalingrad avec les migrantEs (voir article sur cette double page), devant les prud’hommes contre l’homophobie... Tout a été fait pour renforcer la manifestation du samedi 9 avril par des cortèges dynamiques qui ont révisé des chants avec la compagnie Jolie Môme, un Pink block organisé à l’initiative des espaces LGBTI+ et féministe, le renforcement des liens avec les facs en luttes, ainsi que par des diffusions massives
de tracts.
Ne nous regardez pas, rejoignez nous !
Il ne s’agit pas là de parler de révolution par les urnes, de votation citoyenne, de fête de l’Huma permanente ou de calquer des choses déjà usées. Nous anticapitalistes révolutionnaires avons un rôle à jouer dans cet espace, pour ne pas laisser place aux confusionnistes, aux conspirationnistes, aux souverainistes nationalistes et autres réacs qui rodent en espérant récupérer le mouvement.
Être « Nuit Debout », c’est se libérer du temps pour réfléchir, élaborer, débattre et discuter, c’est expérimenter de nouveaux cadres de socialisation, c’est s’habituer à reprendre la rue et se réapproprier notre espace public, c’est créer au cœur des villes des points de convergence et des tremplins pour toutes les luttes.
Tarik Safraoui
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 332 (14/04/2016). Mercredi 13 avril 2016, mise à jour Mercredi 13 avril 2016, 11:13 :
https://npa2009.org/actualite/societe/le-gouvernement-veut-detruire-nuit-debout-detruisons-le-gouvernement
Debout ! Prenons nos affaires en main !
Même si les manifestations de ce samedi 9 avril ont marqué le pas, si le mouvement cherche un nouveau souffle, la dynamique qui s’est enclenchée le 9 mars dernier est loin d’avoir épuisé ses forces. Et c’est bien un mouvement profond qui émerge à travers tout le pays...
Des jeunes, des retraitéEs, des précaires, des salariéEs, des lycéenEs, des étudiantEs, des chômeurEs redécouvrent au coude à coude la confiance et la parole. Une nouvelle génération se lève, non seulement dans les grèves et manifestations lycéennes et étudiantes mais aussi dans les cortèges salariés et syndicaux. Le rejet de la loi travail, point d’orgue du quinquennat Hollande, sert de catalyseur, mais c’est un mécontentement bien plus large, une révolte bien plus globale, qui s’expriment, comme en témoignent le mouvement et les débats des places « Nuit debout ». Une contestation sociale et politique radicale de tout leur système se met en route, cherche ses forces, écrit ses perspectives…
« On vaut mieux que ça ! »
La loi El Khomri, concentré de la politique des classes dominants et de leur État, de la destruction des droits, des acquis démocratiques arrachés par des décennies de luttes contre l’exploitation, a servi de révélateur et de catalyseur. Le scandale « Panama papers » vient à point nommé renforcer cette conviction : les États, les hommes politiques de la bourgeoisie, sont entièrement intégrés à ce système, et en profitent eux-mêmes.
Hollande prétendait hypocritement lors de sa campagne présidentielle de 2012 avoir un adversaire sans visage et sans nom, la finance. Il a maintenant des listings plus complets des privilégiés qui jouissent des faveurs que leur accorde la loi, alors que lui-même s’acharne à détruire les maigres droits des classes exploitées pour le compte des riches et des puissants.
Rupture avec le PS et les partis institutionnels
Le mouvement est bien un mouvement de contestation politique. Des milliers de jeunes s’engagent, se politisent, stimulent les plus anciens, redonnent confiance. Il ne s’agit pas seulement d’exiger le retrait de la loi travail, mais de s’insurger contre les effets de la politique des classes capitalistes qui balaye tous les acquis démocratiques pour résumer les rapports sociaux aux rapports d’exploitation et de domination, où seuls comptent les intérêts des patrons et des banques, la loi du profit, la folie de l’accumulation du capital, l’appropriation privée sans limite des richesses produites.
Le succès populaire du film Merci patron ! est devenu une des expressions de ce mouvement, avec l’humour indissociable de la contestation et de la lutte qui bouscule l’ordre établi, et dénonçant les patrons et les politiciens qui les servent, montrant leur vrai visage. Car le rejet de la loi travail, de la logique du profit, c’est aussi le rejet du PS devenu le symbole de l’hypocrisie, des mensonges et des faux-semblants, du double langage des politiciens professionnels au service du capital.
Faire de la politique, notre politique
Si l’occupation de places manifeste la recherche de neuf, d’échanges, du besoin de donner à la contestation sociale une dimension politique, la politisation se manifeste partout, sur les lieux de travail, dans nos syndicats, dans les universités et les lycées, les quartiers. Le rejet des partis qui servent les classes dominantes ne signifie pas le rejet de la politique, bien au contraire. Il appelle une autre politique qui réponde aux besoins du mouvement, à la convergence des luttes qui débouchent non seulement sur l’affrontement avec le gouvernement et le patronat mais aussi sur la nécessité de se situer dans la perspective de la transformation révolutionnaire de la société. C’est bien un mouvement d’ensemble, une grève générale, qui est à l’ordre du jour.
Nous ne voulons ni récupérer le mouvement ni être récupérés par lui : nous sommes des militants du mouvement, nous y défendons des perspectives pour la lutte indissociables d’une perspective politique globale, celle que défend et porte le NPA.
Pour que le mouvement se renforce, s’étende, il ne doit pas craindre d’assumer le sens même de ce qui a commencé, la contestation de l’ordre capitaliste, ni l’aspiration à une démocratie directe qui dépasse les clivages des appareils. Dans la jeunesse, le mouvement s’organise en assemblées générales, en coordinations, en comités de mobilisation... Les jeunes ont raison : partout, il nous faut agir dans ce sens, faire vivre la démocratie à la base, au sein du monde du travail. Rompre avec les partis institutionnels pour mettre en question la domination des « 1 % », c’est donner la parole au 99 % : prendre nos affaires en main, diriger nos luttes aujourd’hui pour diriger la société demain.
Yvan Lemaitre
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 332 (14/04/2016). Mercredi 13 avril 2016, mise à jour Mercredi 13 avril 2016, 10:42 :
https://npa2009.org/actualite/societe/debout-prenons-nos-affaires-en-main
Communiqué du NPA. Ils ne feront pas taire Nuit Debout !
Les autorités de Paris et de l’Etat voudraient siffler la fin de Nuit Debout. L’attaque se concentre notamment sur la place de la République à Paris et se fait par deux bouts, médiatique et policière. Les arguments se multiplient sur la sécurité mise soit disant en danger. Nous devons dire clairement que ce qui fait peur au pouvoir c’est en fait l’exercice concret de la démocratie réelle sur les places occupées et que ce qui met en danger notre sécurité ce sont les attaques contre le code du travail, contre les hôpitaux, contre les migrantEs, bref la politique même du pouvoir. Ce qui met en danger notre sécurité c’est la matraque des flics contre les lycéenNEs, les sans-papiers, les syndicalistes, les habitantEs des quartiers populaires.
Mais les autorités ont aussi commencé à attaquer la place de la République de manière policière. Pas encore en mesure d’utiliser la matraque à large échelle, elles y vont progressivement pour intimider ceux et celles qui seraient tentéEs de venir sur la place, marginaliser les autres, les discréditer avant de frapper plus fort. Ce mardi matin des cars de CRS et de la police nationale se sont rangés ouvertement sur la place. Des groupes de CRS se sont mis à sillonner la place et fouiller ostensiblement des personnes. La police provoque et montre qu’elle veut progressivement ré-occuper la place.
Nuit Debout est un mouvement qui n’appartient à personne et ne doit appartenir à personne. Ce ne sont surtout pas les autorités qui doivent déterminer ses choix et ses modes d’action. L’évolution de l’occupation de la place de la République appartient au mouvement. C’est pour cela qu’il faut empêcher le pouvoir de « privatiser » et contrôler la place de la République.
Face à ces intimidations policières nous pensons qu’il faut répondre collectivement. Nuit Debout a gagné une large audience et une légitimité. C’est notre meilleure arme face au pouvoir. Ce mardi, vers 14H00, la police a commencé à refluer de la place quand des cortèges de lycéenNEs sont arrivés et quand de plus en plus de monde a commencé à affluer pour les différentes commissions et réunions.
Alors il faut d’abord que notre réponse, sur Paris, ce soit que plus de monde vienne sur la place, chacun en fonction de ses disponibilités. Faisons des Matin debout : que ceux et celles qui peuvent passent, 15 mn, 30 mn, en allant au boulot, que des délégations viennent des lieux de travail, des facs et lycées, à la pause du midi, le soir.
Faisons vivre les Nuit Debout en dehors de Paris. Que le pouvoir soit débordé et ne puisse pas croire que la répression sur la place de la République permettra de mettre fin au mouvement.
Et contribuons à développer le mouvement contre la loi travail qui est aussi le moteur de cette volonté de tout changer pour qu’enfin ça change !
Le pouvoir veut continuer de contrôler nos jours et nos nuits. Il veut nous voler nos Nuits Debout : soyons encore plus nombreux et nombreuses pour reprendre nos jours comme nos nuits !
NPA, Montreuil, le 12 avril 2016