Concernant le droit et la pratique de l’UE relatifs aux services publics (SP), une triple tendance est visible : libéralisation, dérégulation, privatisation. Un seul objectif, la compétitivité, la contrainte externe pour seul horizon, encore rappelé dans un document de travail de l’Union du 4 octobre 2006. Cinq moyens pour aboutir à cet objectif :
1- Libéralisation des services d’intérêt général en réseau
Les secteurs aérien, le gaz, l’énergie, les transports sont concernés. On est passé de la notion de service public à celui de « service universel », plus individualisé, plus restrictif, notion consubstantielle à celle du marché.
Concernant la Poste, 2 directives ont été successivement mises en œuvre, en 1987, en 2002. Aujourd’hui, il s’agit d’opérer une ouverture totale en 2009. Sur ce point, on remarque une tension forte entre Etats, ceux (Suède, Hollande, Allemagne) qui poussent à la libéralisation de la Poste, à rebours d’autres (comme la Belgique) qui freinent. Deux rapport récents de l’UE (Hoose Cooper, et Wick) approuvent cette ouverture en préconisant la suppression des statuts des employés, et le financement du budget par l’Etat. Les risques sont connus : écrémage du marché (en France, 50% du chiffre d’affaire sont réalisés par 50 firmes — dés lors l’écrémage est aisé, il suffit de repérer et de capter ces plus gros clients). Des décisions seront prises par le conseil des Ministres le 14 décembre 2006.
Concernant les transports ferroviaires, 3 « paquets » sont en discussion, le troisième sous-paquet actuellement en discussion porte sur la certification des conducteurs de trains, sur les droits et obligations des voyageurs, sur la libéralisation du trafic international.
Les risques encourus de cette libéralisation sont un dépeçage des réseaux nationaux de « petite » taille, une oligopolisation du transport ferroviaire, la mise en place d’un cabotage international, qui va permettre un écrémage du marché par les plus gros opérateurs.
La libéralisation des services portuaires a été rejetée par le Parlement européen suite aux mobilisations fortes des dockers, mêmes si des « discussions » se poursuivent toujours.
2- La directive services (Bolkestein) et l’article 53 du Traité de Rome
L’article 53 du Traité de Rome dispose :« les Etats membres se déclarent disposés à la libéralisation des services au delà de la mesure qui est obligatoire. »
Par ailleurs, la Cour de Justice de l’Union (CJ), dans les arrêts Corsten et Singuet pose comme principe celui de la non restriction à la libre circulation des services, qui devient ainsi un principe plus fondamental que celui de la cohésion.
Enfin, l’agenda de Lisbonne fixe à 2010 la date à laquelle l’UE devra devenir « la zone la plus compétitive du monde ».
Dans ce cadre, la directive services, dite Bolkestein, se fixe comme objectif de renforcer la compétitivité et d’éliminer les barrières. La position commune des Etats membres, votée sans changement par la commission IMCO du Parlement du 23 octobre 2006 exclue la législation du travail du champ d’application de la directives (toutefois, la référence à l’application de la directive 97/71 sur le détachement des travailleurs salariés n’existe plus. Néanmoins, la Commission a indiqué que cette directive devrait s’appliquer). La directive exclue également de son champ d’application les services d’intérêt général (SIG) et certains services d’intérêt économiques général (SIEG). Enfin, le tant décrié « principe du pays d’origine » disparaît.
Toutefois, le « principe du pays d’origine » n’est pas éradiqué : la jurisprudence de la CJ l’applique (voir arrêt Corsten et Singuet).
Par ailleurs, une mise sous tutelle des législations des Etats membres est mise en place, car ils devront justifier de toute initiative législative, réglementaires, ainsi que de tous les aspects des régimes d’autorisation des SP (art. 9, 10, 14 et 15 du texte voté).
La directive instaure un véritable éclatement de la notion de service public, entre :
1- les SIG « non économiques » : il s’agit d’une notion nouvelle introduite par la directive services parmi les quels on trouve
– les SIG « non économiques » exclus du champ d’application de la directive : la sécurité sociale et l’éducation nationale, et partiellement les services sociaux ;
– les SIG « non économiques » non exclus du champ d’application de la directive : la culture, la protection de l’environnement, la formation professionnelle ;
2- les SEG (services économiques généraux), parmi lesquels se trouvent
– les SEG exclus : les transports, la communication électroniques (traités par d’autres directives de libéralisation) ;
– les SEG inclus, mais au titre du droit d’établissement, pas à celui du droit de circulation.
Cette situation éclatée fragilise la notion globale de service public.
Accessoirement, le Conseil est divisé entre les pays nouveaux entrants et les autres. Par ailleurs, le Parlement donne dans l’autocensure pour maintenir des équilibres politiques fragiles : le 23 octobre, l’IMCO n’a voté aucun amendement.
3- Le rapport Rapkaï
Du nom d’un député social-démocrate allemand, ce rapport suit le libre blanc de septembre 2006.
Ce rapport évoque les SIG en affirmant qu’ils contribuent à la compétitivité (la cohésion sociale comme mission de ces SIG est donc secondaire) ; que la « concurrence est un droit démocratique essentiel qui limite les pouvoirs étatiques, prévient les abus et protège les consommateurs » ; que les directives sectorielles sont les instruments adéquats (ce qui veut dire qu’une directive transversale est enterrée) ; que le secteur privé peut organiser les SIG non-économiques" ; et que la libre circulation prévaut sur l’intérêt général.
Ce rapport a été voté au Parlement européen le 27 septembre 2006.
4- Les marchés publics
De nouveaux cadres législatifs sont instaurés : les directives 2004/17, sur l’eau, l’énergie, les transports, les services postaux, et 2004/18 sur les marchés publics de travaux, de fournitures et de services. L’objectifs est d’ouvrir le marché.
Elles prévoient la limitation des droits exclusifs et spéciaux par lesquelles une entité publique dispose du monopole pour mettre en œuvre les services publics.
Elles prévoient également des modes de passation de marchés « innovants » (dialogue compétitif, enchères électroniques, acquisition dynamique (qui permet de faire baisser les prix), entraînant mécaniquement un nivellement par le bas des normes de qualité et un écrémage par les plus grosses entreprises de services.
5- Les aides d’Etat
Un seul slogan : « moins d’aides, pour mieux d’aide ».
Conclusion
– dégradation de la notion de service public (qui n’existe pas au niveau européen) ;
– dégradation du rôle de l’Etat, qui ne peut plus être opérateur, ou seulement en interne (dans son administration), et dans les conditions strictes fixées par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union ;
– toute puissance du marché.