Xulhaz Mannan gagnait sa vie en travaillant pour l’USAid au Bangladesh, mais il se consacrait surtout à la défense des droits LGBT dans un pays où l’homosexualité reste criminalisée. Il avait fondé l’unique magazine gay du pays, Roopbaan – et c’est pour cela qu’il a été assassiné, le 25 avril dernier, avec son ami, Mahbub Rabbi [1]. Une demi-douzaine d’hommes ont forcé l’entrée de son appartement et les ont tués à la machette.
Il n’est pas le seul à avoir été ainsi sommairement exécuté par des organisations islamistes radicales. Deux jours auparavant, 23 avril, un discret professeur d’université, Rezaul Karim Siddique, était tombé sous les coups meurtriers alors qu’il allait prendre son bus [2].
Ces trois dernières années, au moins seize personnes ont été assassinées, dont six blogueurs laïques, deux professeurs d’université, un prêtre italien, deux autres étrangers – et maintenant une figure publique de la communauté gay dont la plupart des membres vivent dans la peur quotidienne de voir leur identité sexuelle découverte. Ajoutons un hindou, des intellectuels et artistes connus, mais aussi des « messieurs Tout-le-Monde » dont le style de vie importunait les gardiens criminels de la vertu [3].
Le rythme des agressions mortelles – généralement à la machette, souvent dans la rue – s’accélère : cinq en un mois. L’éventail des « cibles » potentielles est très large. Nombreux sont celles et ceux qui craignent d’être la prochaine victime. Des homosexuels n’osent plus se rendre à leur travail, ayant été publiquement nommés à l’occasion du meurtre de Mannan et doivent faire face à une famille à laquelle ils n’avaient pu révélerleur identité. Le gouvernement se lave ostensiblement les mains de leur sort, la Première ministre considérant qu’il n’est pas de sa responsabilité de protéger des personnes de mauvaise vie ou de mauvaise idéologie (laïque, libres penseurs…). Les victimes se sentent – et sont –souvent mises en accusation ou délaissées par les autorités ; à commencer par la police. A ce jour, deux islamistes seulement ont été condamnés (à la peine de mort) pour l’assassinat du blogueur Ahmed Rajib Haider [4].
Le Bangladesh s’est constitué, après la guerre de 1971 pour son indépendance vis-à-vis du l’actuel Pakistan, comme un Etat laïque. L’influence de courants de gauche a été très importante. Les courants islamistes coupables de massacres en 1971 étaient surtout lié au Pakistan (occidental).
Aujourd’hui, les religieux radicaux au Bangladesh font tomber une chape de plomb terroriste sut tout un pan de la société, à l’instar de ce qui s’est passé en Algérie durant les années 1990. Le Hefazat-e-Islam avait publié une liste de 84 « blogueurs athées » exigeant que le gouvernement les poursuive pour blasphème. Au moins cinq des victimes depuis 2013 étaient citées dans cette liste.
Ils commencent à faire de nouveaux émules. Ainsi, au Yemen, le jeune blogueur Omar Mohammed Batawil, 18 ans, a été enlevé, puis abattu de deux balles dans la tête [5]. En Ecosse, Asad Shah, né au Pakistan, a été poignardé 30 fois (!) par un musulman pakistanais – Shah était un ahmadi, un courant religieux auquel bien des sectes dénient le droit de se réclamer de l’islam [6].
On peut craindre que les assassinats ciblés de laïques, athées, libres penseurs, apostats, intellectuels – même musulmans, mais n’affichant pas la bonne « croyance » (un euphémisme pour idéologie religieuse) –, ne se répandent parallèlement aux attentats aveugles.
N’oublions pas ces victimes dans notre solidarité internationale ! Elles méritent tout notre soutien en des temps de plus en plus meurtriers [7].
Pierre Rousset