Les communistes votaient du 2 au 5 mai sur le texte qui servira de base de discussion à leur 37e congrès qui se tiendra du 2 au 5 juin à Aubervilliers. Les résultats traduisent une forte contestation de la ligne impulsée par Pierre Laurent depuis quelques mois, si ce n’est depuis les municipales. Le texte initié par le secrétaire national du PCF, mais présenté comme « proposé par le Conseil national » car adopté par près de 80 % de ses membres, n’obtient que 14.910 voix (51,2 %) des 29.183 suffrages exprimés. Dans la fédération de Paris, dont M. Laurent est sénateur, il échoue à rassembler la majorité des suffrages avec 49,62 %.
A titre de comparaison, rappelle l’historien Roger Martelli, lors des deux précédents congrès, « le texte du Conseil national avait obtenu 63,5 % en 2008 et 73 % en 2013 ». La direction sortante obtient la majorité absolue dans 58 départements et elle est minoritaire absolument dans 34. C’est le cas dans cinq des onze fédérations ayant encore plus de 1.000 cotisants (Nord, Pas-de-Calais, Paris, Seine-Maritime, Rhône), la direction restant majoritaire dans les Bouches-du-Rhône, le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, la Haute-Garonne et la Gironde [1].
L’avertissement est donc sérieux. Or un point commun rassemble les quatre textes alternatifs présentés concurremment : le refus du processus de « primaire à gauche » dont la direction du PCF a fait son axe stratégique pour 2017. C’est donc bien sur ce point que le secrétaire national et la direction du PCF sont mis en difficulté.
Les vire-voltes de Pierre Laurent
Dans les semaines précédant ce scrutin interne, Pierre Laurent n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour défendre sa ligne. Dans une « adresse aux communistes » publiée le 30 mars dans Communistes, le supplément interne du PCF encarté dans l’Humanité chaque mercredi, il affirmait :
« Les appels à la primaires à gauche ont rouvert le débat, en contestant à Hollande le statut de « candidat naturel ». C’est pourquoi nous n’avons pas fermé cette porte. C’est pour éliminer Hollande que nous proposons de construire une primaire résolument citoyenne, bâtie sur un socle d’abord discuté au grand jour dans tout le pays. Est-ce possible ? Je le crois, mais j’entends le scepticisme. Débattons-en sans caricatures inutiles. »
Dans ce texte, le numéro un communiste cherchait à rassurer les adhérents communistes et déjà infléchir le texte adopté en conseil national le 7 mars en assurant qu’il « devra être enrichi et amélioré ». Car dès le 11 janvier, lors de la présentation de ses vœux, Pierre Laurent s’était rallié à l’idée d’une primaire de toute la gauche réclamé le matin même par Thomas Piketty, Daniel Cohn-Bendit, Michel Wieviorka, Dominique Méda et une cinquantaine de personnalités dans un appel publié par Libération. S’il estimait alors que le programme de François Hollande ne pourrait pas être « celui d’un candidat de gauche », M. Laurent, invité dans l’émission Agora de France inter le 21 février, avait laissé entendre qu’une participation du chef de l’Etat ne lui posait « aucun problème » ayant « confiance dans le choix que feront les citoyens de gauche ».
Dans son « adresse aux communistes », le 30 mars, le secrétaire national du PCF rectifiait le tir :
« J’entends dire parfois que nous souhaiterions « une primaire de toute la gauche de Macron à Mélenchon », voire que nous serions déjà presque prêts à nous rallier, devant le danger de la droite ou pour sauver quelques sièges de députés, à « mener campagne derrière Hollande », écrivait-il. Écartons ces caricatures, qui n’ont rien à voir avec nos objectifs, pour parler des problèmes que nous devons résoudre. »
Par la suite, après une nouvelle réunion du conseil national le 15 avril, qui devait prendre acte du dépôt de quatre textes alternatifs, le numéro un communiste a très explicitement fait part du refus des communistes de participer à une primaire dont le vainqueur pourrait être le président de la République. Tout en affirmant à plusieurs reprises que « le périmètre des forces à rassembler, c’est toutes celles qui s’opposent à la loi El Khomri ».
Un périmètre trop large pour beaucoup de communistes. Ces derniers notent que nombre de parlementaires socialistes en opposition à la loi Travail ont approuvé le traité budgétaire européen sans renégociation, voté la traduction législative de l’ANI, le CICE, la loi réformant les retraites, ou le pacte de responsabilité, les budgets d’austérité et les réformes territoriales, quand ils n’ont pas tout récemment (le 5 avril) approuvé la loi modifiant les règles de la présidentielle et dénoncée par le PCF comme « un nouveau coup porté au pluralisme » au profit du PS, de LR et dans une moindre mesure du FN. Le « périmètre » anti-loi travail, somme toute conjoncturel, ne peut déboucher à leurs yeux que sur un programme sans grande prétention transformatrice, loin des ambitions transformatrices que portaient le Front de gauche ou qu’un parti communiste devrait défendre.
Le pôle identitaire se maintient dans la division
Ce refus d’une primaire s’est porté inégalement sur quatre textes. Trois d’entre eux, comme lors des précédents congrès, défendaient une position identitaire. Leurs signataires reprochent depuis plus d’une décennie maintenant à la direction du PCF de « ne pas valoriser suffisamment l’identité communiste et pour diluer l’organisation dans des rassemblements qu’ils jugent insuffisamment révolutionnaires, que ce soit avec le PS ou sans lui », rappelait Roger Martelli sur le site de Regards [2]. A eux trois, ils totalisent 25,13 %, contre 26,85 % en 2013 lors du 36e congrès où ils étaient déjà divisés.
Le premier impulsé par La Riposte et Greg Oxley, intitulé « Pour une politique communiste » a recueilli 1.575 voix (5,40 %).
Le second, émanant du groupe Faire vivre le PCF, était signé notamment par le secrétaire fédéral du Pas-de-Calais, Hervé Poly, la maire de Venissieux, Michèle Picard, et Jean-Jacques Karman ; intitulé « Unir les communistes. Le défi renouvelé du Parti communiste ! », il a recueilli 3.755 voix (12,87 %).
Le troisième porté par des sections très orthodoxes fédérées par Emmanuel Dang Tran (4,07 % en 2011 lors du vote de désignation du candidat à la présidentielle) était intitulé « Reconstruisons un parti de classe » et donnait la « priorité au rassemblement dans les luttes » ; il a obtenu 2.001 voix (6,86 %).
La dénonciation d’un complet changement de stratégie
La surprise est venue d’un quatrième texte intitulé « L’Ambition communiste pour un Front de gauche populaire et citoyen » qui a rassemblé 6.910 voix (23,68 %). Initié par des militants attachés au Front de gauche, qu’ils souhaitent transformer en le « décartelisant », et nettement hostiles à un rassemblement à nouveau centré sur les socialistes, ce texte était porté par de jeunes intellectuels et chercheurs (Yann Le Lann, Frédérick Genevée), mais aussi des élus chevronnés (Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice des Hauts-de-Seine) ou non (Fanny Gaillanne, Hugo Touzet, Franck Mouly), d’anciens élus (Roland Muzeau, Muguette Jacquaint, Nicole Borvo) et des figures historiques du Parti (Michel Duffour, Roland Leroy, Patrice Cohen-Seat, Claude Mazauric). Les signataires de ce texte ne cachent pas leur « inquiétude » face à l’« orientation stratégique pour 2017 » développée par le texte de la direction :
« Dans les faits, nous constatons que la proposition d’une primaire à gauche (…) nous amène en réalité à la recherche d’une candidature de consensus avec un Parti socialiste discrédité, reproduisant au final le schéma ancien de la gauche plurielle. Ce complet changement de stratégie nous ramènerait des années en arrière à un effacement de nos positions derrière une candidature au mieux social-démocrate, et probablement bien pire au vu de la configuration actuelle des forces. »
Contrairement à la direction du PCF qui semble penser que les orientations d’Hollande et Valls heurtent la majorité des socialistes, leur texte affirme la politique du gouvernement n’a rien de « conjoncturelle » mais résulte « d’un processus qui dure depuis les années 1980 et a conduit le Parti socialiste à s’aligner progressivement sur l’évolution libérale de la social-démocratie européenne ». Ils rappellent que depuis plus de trente ans le PS a connu un « mouvement parfaitement assumé vers un social-libéralisme de plus en plus droitier et de moins en moins social » et que c’est sur cette orientation « combattue avec acharnement » par le PCF que François Hollande l’a emporté en 2011-2012 « avec le soutien final de tous les courants de son parti ».
Si le texte « L’Ambition communiste... » aborde toutes les questions mises en débat au congrès, le refus d’une primaire avec le PS est unanimement partagé par les quelques 104 communistes dont les « paroles » étaient reproduites sur le site [3] de ce texte alternatif à la fin de la semaine dernière. Extraits :
« La stratégie de la primaire va nous conduire définitivement dans le mur. »
« L’invisibilité qui frappe le Front de gauche a été pour les municipales notre alliance dès le premier tour avec les socialistes dans les métropoles et autres grandes villes, ce qui a fait éclater le Front de gauche, et par là même, fait le jeux du FN. »
« Il faut rompre avec le PS qui est devenu un parti de droite. »
« Le texte « officiel » nous marginalise et nous laisse abattus. »
« Nous ne pouvons pas faire dépendre notre stratégie d’évolutions supposées du Parti socialiste, ce panier à crabes ami du capital !!!! »
« Le PCF au lieu de s’embourber dans les « primaires à gauche », qui est un processus contre nature que tous les congrès ont condamné (…) devrait être le fer de lance d’un Front de gauche populaire et citoyen. »
« Je refuse les orientations de la direction nationale qui nous mènent sans débat à des primaires dévastatrices et humiliantes. »
La chute des effectifs se poursuit
Ce scrutin interne enregistre une fois encore, un « affaiblissement du tissu militant », note Roger Martelli. En effet, en juin 2011, lors du vote sur la candidature à la présidentielle, le corps électoral composé des « cotisants » (le PCF les distingue des « adhérents », simples détenteurs d’une carte) recensait 70.000 inscrits et 49.000 votants. En 2013, lors du 36e congrès, le PCF comptait 64.000 cotisants et 34.600 votants. Un chiffre tombé à 51.000 cotisants et 29.000 votants, ces jours-ci.
D’un congrès l’autre, et en l’espace d’un peu plus de trois ans, « le PCF aurait perdu un cinquième de ses cotisants ; la perte est d’un quart entre 2011 et 2016 », observe Roger Martelli. « Quant aux votants qui donnent une indication approximative sur les communistes les plus engagés, poursuit-il, leur effectif a baissé de 40 % entre 2011 et 2016. »
Le Parti communiste n’échappe pas à la désaffection qui touche les partis politiques. Derrière les questions en débat dans ce congrès, auxquelles les communistes vont maintenant tenter de répondre en amendant le texte de sa direction, cette question des effectifs pèsera sur le choix des orientations pour 2017.
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