La rupture Erdogan-Davutoglu est désormais consommée. A la suite de la confrérie Gülen, de l’ancien Président de la République Abdullah Gül et des principales figures de l’Etat-major initial de l’AKP, c’est maintenant au tour du Premier ministre Ahmet Davutoglu d’être mis à l’écart par la seule volonté d’Erdogan.
Au fil des derniers mois les divergences entre les deux hommes étaient devenues de plus en plus perceptibles. Pour la plupart des cas celles-ci n’étaient pas d’ordre majeur, mais déjà bien considérables pour pouvoir être acceptées par Erdogan dans sa quête de consolider sa position de chef unique, depuis son accession à la présidence de la république en aout 2014. C’est aussi à cette période qu’il avait nommé Davutoglu comme son successeur dans la présidence de l’AKP et donc comme chef du gouvernement. Ministre des affaires étrangères (de 2009 à 2014) et initiateur de la politique extérieure visant à faire de la Turquie le pôle hégémonique du Moyen-Orient, le professeur Davutoglu fut aussi le principal responsable de l’interventionnisme militaire en Syrie.
Les divergences portaient plus sur le style de gouvernance que sur les objectifs à atteindre. Déjà lors de la révolte de Gezi, Davutoglu s’était montre moins ambitieux qu’Erdogan à réprimer sauvagement les manifestations. A la suite de la révélation des affaires de corruption en fin 2013, il s’était prononcé pour que les ministres tenus responsables soient traduits en cour suprême. Davutoglu avait aussi tenté de former les listes de candidatures lors des élections législatives du 7 juin et du 1er novembre 2015 à sa guise, en essayant de contrecarrer les interventions d’Erdogan. Plus récemment il s’était prononcé contre la mise en détention provisoire des journalistes ayant révélé le soutien militaire de l’Etat aux djihadistes en Syrie et des universitaires signataires de la pétition contre les opérations militaires dans le Kurdistan de Turquie, alors qu’Erdogan déclarait grotesquement que ces derniers “s’ils étaient coupables, devaient être mis en détention lors du jugement”. De même, le Premier ministre avait, il y a quelques semaines, affirmé que si le PKK revenait à sa position de mai 2013 c’est-à-dire du début du processus de paix, “alors tout pourrait être discuté”, opinion qui fut contesté illico par Erdogan qui déclara “qu’il n’y avait rien à négocier”…
Finalement, le fait que Davutoglu, surtout à travers les “sales” négociations avec Merkel concernant les migrants, soit louangé par l’opinion public international comme homme politique responsable et conséquent face à la folie des grandeurs du Chef d’Etat turc a marqué une des étapes décisives dans la rupture. Comme signe avant-coureur de sa mise à l’écart, Davutoglu s’est vu retiré son pouvoir de nommer les responsables régionaux de l’AKP… par le comité exécutif-même de son parti. A la suite d’une réunion privée avec Erdogan la semaine dernière, celui-ci a déclaré ne pas se présenter au congrès extraordinaire de l’AKP qui devrait être tenu prochainement, ce qui signifie la fin de son mandat.
Ahmet Davutoglu avait accepté d’être “le deuxième homme” mais aspirait tout de même à être plus qu’une marionnette et avoir son mot à dire. Il en paye aujourd’hui le prix. Un prix qu’il a toutefois mérité en contribuant largement à l’escalade militaire en Syrie et au Kurdistan, à la polarisation culturelle-confessionnelle de la société, et en pavant de sa loyauté envers le « Reis » (le « Duce »), le chemin qui conduit à l’enfer autocratique-islamique erdoganien.
Uraz AYDIN