Le vote Brexit pour quitter l’Union européenne est une victoire de la droite xénophobe et un désastre pour la lutte contre l’austérité en Grande-Bretagne. C’est une victoire du racisme et un mandat pour renforcer les frontières de la Grande-Bretagne contre les migrants.
Nous affirmons qu’il s’agit d’un désastre sans avoir la moindre illusion quant à l’UE ou ses institutions (nous considérons qu’il s’agit d’un club de patrons néolibéraux). Ni parce que nous devons perdre du temps avec la campagne réactionnaire officielle menée par Cameron en faveur du « maintien » au sein de l’UE, qui, avec ses prétendues renégociations, s’est lancé dans une détérioration des conditions d’existence des travailleurs et travailleuses de ce pays, y compris les travailleurs migrants. Une sortie de l’UE en ce moment, et de cette manière, déplacera fortement le spectre politique britannique vers la droite et affaiblira la lutte contre l’austérité. Cela sera également un désastre pour tous les migrants, les réfugiés et les minorités de ce pays.
Il est intéressant de remarquer que Cameron a déclaré dans son discours de démission qu’il n’y aura pas de modification du statut des citoyens européens dans ce pays – « pour le moment ».
Les millions de personnes qui ont voté pour le Brexit l’ont fait parce qu’ils acceptaient l’argument selon lequel la détérioration des niveaux de vie et des services publics étaient provoqués par l’immigration et non par l’austérité imposée par le gouvernement de Westminster. De l’autre côté, le camp du Remain n’a jamais précisé que les banques britanniques et les établissements financiers étaient responsables de la crise de 2008.
Ainsi que l’a précisé Left Unity dans sa déclaration : « Ce référendum est issu d’une pression de l’extrême-droite, alimenté par des sentiments contre l’immigration, sur une base de racisme. Cette campagne nationale a été la plus réactionnaire de l’histoire politique britannique, dont le résultat est l’apparition au plein jour de l’extrême droite. »
Cela est absolument exact. L’atmosphère était empoisonnée, la haine a été attisée et une députée a été assassinée par un fasciste criant « la Grande-Bretagne d’abord ! », soit l’un des principaux thèmes de la campagne dominante pour la sortie de l’UE.
L’assassinat de Jo Cox est un événement profondément tragique, mais c’est aussi le résultat direct du carnaval de réaction provoqué par la campagne du référendum. Jo Cox défendait les réfugiés et était partisane de la campagne pour rester au sein de l’UE. La souillure et le fiel déversés par la campagne majoritaire pour la sortie, soutenue par une grande partie des médias et des politiciens de droite, ont non seulement renvoyé la Grande-Bretagne des décennies en arrière en termes de racisme et de xénophobie, mais ont aussi créé les conditions pour qu’un fanatique d’extrême droite, en lien avec des suprématistes blancs, abatte Jo Cox dans la rue.
Le référendum a rendu légitimes le racisme et la xénophobie comme jamais auparavant. Des déclarations ignobles, qui font écho à celle du député conservateur Enoch Powell [1912-1998], ont été crachées en toute impunité et acceptées par les médias comme appartenant à la catégorie des observations judicieuses. A la suite du tristement célèbre discours de Powell, connu sous le nom de « rivières de sang », en 1968, le dirigeant conservateur Ted Heath [1916-2005] a viré Powell, devenu ensuite un paria politique.
Seules quelques critiques légères et tardives, comme conséquence de l’assassinat de Jo Cox, ont été émises contre l’affiche raciste Breaking Point [« point de rupture », une rupture provoquée par un « afflux » de migrants syriens] de Farage [leader de l’UKIP]. Des images similaires ont été publiées dans les journaux sans provoquer de commentaires ou d’objections. Une plainte a été déposée contre le Daily Express [qui tire à plus de 430’000 exemplaires par jour] pour avoir placé en une pendant 17 jours successifs le « thème » de la migration.
Certains segments de la gauche et du mouvement ouvrier ont reconnu l’existence de ces dangers. Le lancement de la campagne Another Europe is Possible a été un pas important. Corbyn et [John] McDonnell [chancelier du cabinet fantôme pour le Labour, soit le représentant de l’opposition qui surveille le membre du gouvernement chargé des Finances], Momentum [l’élan, une structure qui soutient la gauche du Labour et Corbyn], Left Unity [coalition de la gauche radicale, créée en 2013] et Ken Loach ainsi qu’une grande partie des Verts et Caroline Lucas [dirigeante et députée des Verts] en particulier ont œuvré avec force pour endiguer le poison raciste. La majorité des dirigeants syndicaux ont pris une orientation correcte – autant UNITE qu’UNISON ont diffusé du matériel important contre le racisme et en défense des droits des migrants. Matt Wrack du FBU [Fire Brigades Union] et Manuel Cortés du TSSA [Transport Salaried Staffs’ Association] ont joué un rôle particulièrement important. C’est à porter à leur crédit.
Une grande partie de la gauche radicale, cependant, a soutenu le vote pour la sortie de l’UE et ladite campagne Lexit [contraction de Left et exit], laquelle eu une influence nulle sur le référendum. Elle a colporté l’illusion qu’une sortie de gauche était sur la table alors que ce n’était pas le cas et elle a faussement clamé que si Cameron était contraint de démissionner cela ouvrirait des opportunités pour la gauche. Même maintenant, après la victoire de la droite de Farage et des conservateurs, les représentants du Lexit tels que le SWP [Socialist Workers Party] affirment que le vote signifie une « révolte contre les riches et les puissants » et que le danger du racisme « est loin d’être inévitable ».
Ils ne parviennent pas à reconnaître les dangers que la campagne majoritaire pour la sortie, conduite par des xénophobes de droite, représentait. Ils se sont montrés inconscients devant le racisme et la haine que cette droite alimentait, sur l’impact réactionnaire que cela aurait sur la politique et sur l’équilibre entre les classes ainsi que des dangers que cela représentait d’être associé d’une manière ou d’une autre avec eux : en particulier dans le cas d’un vote de sortie gagnant.
Ils ont choisi d’ignorer (même lorsqu’ils ont été contestés) la perspective nuisible qu’un vote de sortie aurait sur les 2,2 millions de citoyens européens qui vivent dans ce pays et dont le statut sera directement mis en cause. Il s’agit pourtant d’organisations qui se sont opposées au racisme et à la xénophobie depuis leur création. Rock Against Racism a porté un coup massif contre le racisme dans les années 1970 et pour lequel un large crédit doit être porté au SWP.
Dès que les résultats ont été annoncés, Farage occupait les médias pavoisant, parlant d’une victoire historique pour la libération de la Grande-Bretagne et de sa vision réactionnaire d’une Grande-Bretagne nouvelle. Il a été traité comme le dirigeant du côté gagnant. Il a déclaré que Cameron devait s’en aller immédiatement – ce qu’il a fait quelques heures plus tard – et que le nouveau Premier ministre conservateur devait être un brexiter afin de pouvoir mettre en œuvre le mandat du référendum.
Une élection à la direction du Parti conservateur va être enclenchée et sera réalisée avant la conférence de ce parti. Nous pouvons donc nous attendre à ce que des élections générales soient rapidement convoquées sur la base d’un manifeste dont l’objectif sera de mettre en œuvre ce qu’ils prétendront être le mandat du référendum : une action ferme contre l’immigration, le renforcement des contrôles aux frontières ainsi que, sans aucun doute, un statut restreint pour les citoyens de l’UE vivant dans le pays.
Il est très dangereux que se tiennent des élections à la fin de l’année, dans des conditions où la situation politique se déplace à droite. La gauche doit s’y préparer, tout comme le Labour Party.
Jeremy Corbyn a eu une position de principe au cours de la campagne référendaire : il a appelé à voter pour rester sans aucune illusion quant à l’UE et à ses institutions. Le débat sur la chaîne Sky TV News au cours de la dernière semaine avant le vote, par exemple, était imprégné par l’opposition à la xénophobie, aux privatisations et à l’austérité, cela devant une audience majoritairement jeune et stimulante. Le chancelier fantôme John McDonnell a lancé un appel radical contre l’austérité et le racisme lors d’un important rassemblement Another Europe is Possible à Londres avec Matt Wrack du FBU, Caroline Lucas et Yannis Varoufakis.
Les médias dominants ont toutefois présenté pendant des mois le référendum comme relevant principalement d’une bataille entre deux ailes du Parti conservateur. De nombreux députés du Parti travailliste hostiles à Corbyn ont accepté cela et sont apparus comme secondant les conservateurs sur divers plateaux de télévision. Quatorze ans de gouvernements travaillistes, de Tony Blair et de Gordon Brown, en faveur de l’austérité suivis par cinq ans d’opposition inefficace sous la direction d’Ed Miliband ont joué un rôle dans la désillusion des électeurs travaillistes. Des conseils municipaux travaillistes en place depuis des décennies ont échoué à se placer aux côtés de populations locales sous pression. L’hostilité face au manque de logements abordables, à la détérioration des systèmes de soin locaux, aux coupes budgétaires dans les écoles, etc. a pu être déviée vers la campagne xénophobe de la droite contre les migrants.
Dans certaines parties du pays – souvent là où le Parti travailliste et la gauche sont les mieux organisés – le vote travailliste a penché pour le Remain : à Londres, par exemple à Lambeth, lieu de fortes batailles contre les coupes budgétaires dans les bibliothèques, 79% ont voté pour rester ; Bristol, où un partisan de Corbyn a remporté avec une large majorité la mairie il y a quelques semaines [Marvin Rees avec 68’750 voix contre 39’577], une majorité s’est exprimée pour le Remain [61%] ; dans certaines des plus grandes villes du nord – Manchester [60%], Liverpool [58%] et Newcastle [50,7%] – il y a eu des majorités similaires en faveur du Remain. Mais dans la grande majorité des bastions travaillistes en Angleterre et au pays de Galle, là où les partis locaux sont moribonds depuis des décennies et où l’appareil du parti est fermement tenu par la droite travailliste, les électeurs travaillistes ont protesté contre la condition qui est la leur en votant Leave.
Les bastions travaillistes en Ecosse, opposés à la position unioniste du Labour, se sont ralliés à un Scottish National Party dont le discours est plus à gauche et chacun des 32 districts écossais a voté Remain, créant ainsi une crise constitutionnelle qui pourrait aboutir à un second référendum sur l’indépendance.
Corbyn fait désormais face à une contestation en provenance d’un Labour Parliamentary Party largement hostile en raison de son prétendu échec à mobiliser suffisamment les électeurs. C’est pourtant dans les zones que la droite contrôle le parti que le vote travailliste n’a pas pu être galvanisé sur la nécessité du Remain contre l’austérité et la xénophobie. La base du Labour et les syndicats doivent se battre avec force en défense de Corbyn contre le parti parlementaire et toutes les tentatives visant à le destituer.
Si le Labour entend remporter les élections, probablement à la fin de l’année, contre un parti conservateur dirigé par une direction Boris Johnson-Michael Gove revigorée et inclinant plus à droite, dont le manifeste prétendra freiner l’immigration et affirmant l’autorité du référendum, il doit le faire sur la base d’un programme radical de gauche s’opposant à l’austérité sous toutes ses formes et en soutien du droit des migrants et de tous les travailleurs.
Si Corbyn est prêt à mener le combat sur une telle base, ce que nous espérons, la gauche devrait s’unifier derrière lui.
Déclaration de Socialist Resistance, 24 juin 2016