Introduction
L’enjeu théorique autour du débat sur l’homosexualité en Afrique
Ce n’est pas parce que les impérialistes utilisent parfois les lutte des femmes, les luttes homos, les luttes de minorités diverses, ou même les luttes environnementales que ces luttes sont en soi impérialistes…
Il m’a été demandé pour une revue militante de faire un article sur « Afrique et oppression/répression de l’homosexualité en Afrique », puisque je m’intéresse au sujet et que par ailleurs je vis au Nigeria pour des raisons professionnelles (pas dans une grande compagnie vampire).
Par ailleurs, depuis quelques temps des débats tournent, dans un petit milieu militant ou universitaire, autour de la question des rapports du mouvement homosexuel et de l’impérialisme culturel et social des pays du Nord, globalement, sur les pays du Sud. Cette question est, en quelque sorte : les structures d’émancipation des pays du Nord sont-elles oui ou non nuisibles au Sud ? Existe-t-il un impérialisme de l’émancipation ?
Résumons le débat. Ce qui est appelé droit humain et qui a donné la notion juridique des droits à la personne est un concept qui, tel qu’il existe dans le monde aujourd’hui, est né très majoritairement dans la sphère culturelle du monde occidental et de sa modernité, dans le cadre globale la philosophie des Lumières, française et anglaise, et qui considère que l’individu au centre de la société et sa rationalité propre sont l’aboutissement et la raison finale de l’organisation sociale. Les stratégies de l’émancipation aujourd’hui ne veulent pas anéantir la pensée des Lumières, mais plutôt l’approfondir et lui donner tout son sens dans le dépassement de la contradiction Émancipation individuelle/Émancipation sociale. Pour nous, il est impossible d’affirmer que le besoin de liberté en tant qu’individu constitue un besoin qui serait en soi nécessairement connecté au libéralisme, au capitalisme, et que toute philosophie du droit individuel (droit sexuel par exemple) ne pourrait qu’être une extension du règne d’un libéralisme. On peut admettre qu’un individu a en soi des droits tout en admettant que ces droits existent dans le cadre d’une société solidaire, y compris une société qui maintient certaines structures traditionnelles contre l’agression que l’équation « modernité imposée égale capitalisme obligatoire » veut lui imposer. Par conséquent, oui, souvent, la forme que peut prendre la résistance à l’impérialisme est le renforcement de traditions, traditions familiales, religieuses, de solidarité, avec à la fois leurs vraies structures de résistance, mais leurs vraies structures coercitives (pour les femmes, pour les homos, pour les minorités culturelles et religieuses, etc…).
C’est pourquoi certains détracteurs de la notion de droits sexuels ou droits à la sexualité aujourd’hui expliquent sous couvert d’anti-impérialisme que ces notions de liberté sexuelle et de droits homosexuels sont bien souvent un cheval de Troie de l’impérialisme et ils ont tort. Pour eux, (nous prendrons ici l’exemple de Joseph Massad, universitaire palestino-étasunien), la notion de droit à la sexualité à partir du moment où elle est née aux États-Unis dans les années 60 et est arrivée en Europe dans les années 70, et s’est construite historiquement dans le champ de ces sociétés blanches impérialistes et racistes ne peut pas s’« importer » dans d’autres sociétés car elles sont structurées autour de l’individu homme moderne, blanc, capitaliste qui donne à l’immédiateté de son plaisir, de sa vie, la priorité sur l’existence du groupe (je fais vite mais je ne fais pas faux, je crois, en expliquant les choses comme cela ). Pour Joseph Massad et celles et ceux qui se suivent son orientation, on n’hésite pas à parler d’« internationale gay » et d’homonationalisme. Pour les défenseurs de ce courant, bien souvent, les personnes victimes de répression de la part d’États homophobes ne le sont pas parce que pratiquant l’homosexualité, mais parce que les organisations homos « occidentales », par leurs soutiens et leurs manières de poser les problématiques les mettraient en danger. En d’autres termes, ce ne sont pas les États répressifs qui créent le danger mais les associations de « l’internationale gay ». Le mouvement féministe serait aussi un mouvement d’aboutissement d’un individualisme intégral non solidaire, lié à l’ultra fragmentation du monde libéral.
Ainsi, il serait nécessaire de réagir à cette « invasion » des normes philosophiques juridiques, occidentales, en réfutant radicalement les luttes homos et les luttes des femmes par exemple. De la même manière, et c’est vrai que la question existe aussi et peut et doit se poser pour être résolue, un jour, l’imposition de normes sociales, juridiques, de santé, d’éducation, et de développement écologique, peut souvent être utilisée pour empêcher les pays économiquement dominés d’imposer leur compétitivité dans la mondialisation, par exemple. Est ce que cela veut dire qu’il faut renoncer à protéger les travailleurs du Sud par plus de normes ? Non, mais alors comment les luttes homos, féministes, les luttes des travailleurs au nord et aux sud s’articulent-elles ? Je ne parlerai pas ici de l’articulation de la lutte de classe au Nord et au Sud ; nous ne parlerons pas à la place des féministes, ni des personnes transsexuelles mais nous pensons que notre vie d’homo blanc européen avec des homos africains subsahariens ou maghrébins depuis de nombreuses années nous donne une part de légitimité à la parole sans pour autant me substituer à la parole des africains eux-mêmes.
Il est nécessaire de lutter contre tout relativisme absolu qui nie la réalité planétaire d’un problème (homophobie, pillage des ressources, patriarcat, racialisation des rapports sociaux) tout en étant conscient que, par moment, dans les rapports de domination, on joue à prendre en otage les rapports de domination pour justifier d’autres dominations. Il est nécessaire de décoder certains discours émancipateurs « par la force » aussi.
Pour se faire, nous nous opposerons assez souvent à ce qui est affirmé dans le texte suivant, dont nous ne citerons pas d’extraits mais auquel nous renvoyons les lecteurs pour comprendre les enjeux du débat. Il s’agit de l’ouvrage de Félix Boggio-Ewanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem, Les féministes blanches et l’empire, Paris, La Fabrique, 2012. Nous voulons être clair sur ce point. Nous sommes en désaccord presque total avec l’ensemble du travail réalisé dans cet ouvrage et notamment la partie que Félix Boggio-Ewanjé-Epée a rédigée sur l’homo-nationalisme (avec quelques points d’accord partiels). Cependant, nous sommes persuadé, pour éviter tous les propos polémiques, que les deux auteurs de cet ouvrage ne sont ni sexistes, ni homophobes tout comme Houria Bouteldja du Parti des Indigènes de la République dont les prises de position ont pu légitimement choquer, ou l’universitaire théoricien de l’homonationalisme Joseph Massad ). Cependant, malheureusement, leur incapacité à articuler les questions raciales et sexuelles reproduit à l’identique et pour l’éternité l’erreur de tous les courants de gauche qui refusent l’articulation, mais qui veulent toujours considérer comme supérieure l’oppression qu’ils décrivent comme étant la leur et qui serait supérieure à celle d’autres groupes sociaux.
L’ouvrage cité sur-valorise la dimension pourtant juste de la racialisation et du colonialisme dans la politique sexuelle, pour en finir à trouver les terrains d’oppression qui ne sont pas les leurs, comme celui des luttes homos ou féministes comme des « choses qui embarrassent » et dont ils choisissent presque de faire des alliés objectifs de l’impérialisme. Nous avons bien compris aussi que lorsqu’ils affirment que l’homosexualité n’existe pas, ils veulent parler de l’homosexualité vécue publiquement, et ils assument ce point dans leur ouvrage. Cela ne fait pas d’eux des homophobes, mais ils expliquent que la forme sociale « gay » avec ses débats, ses revendications et son agenda est un concept occidental et qu’il ne peut correspondre au sociétés « autres ». On ne comprend pas trop ou est la délimitation entre l’Occident et les « autres » d’ailleurs, surtout quand ils situent les jeunes Français des quartiers populaires, victimes de racisme, comme étant dans un espace « autre ». Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’homophobie, mais Houria Bouteldja affirme dans un texte important qu’en effet tout le monde n’a pas besoin d’être gay. Elle ne dit pas que les personnes à sexualité homo n’existent pas dans certaines « cultures », mais elle affirme comme les deux auteurs du livre pré-cité que toutes les « cultures » ne vivent pas une sexualité ouverte et que c’est en quelque sorte un « Occident » qui impose cette publicisation du phénomène.
Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette affirmation. Nous n’en faisons pas des fascistes ou des salauds, mais nous pensons que leur idée qui se veut anti-impérialiste à terme, finit par être très dangereuse, ultra relativiste et exotisante et qu’elle est totalement erronée dans un contexte de mondialisation culturelle certes impérialiste, mais qui dégage aussi des lignes de luttes qui elles aussi se mondialisent.
Pour notre part, nous pensons que la critique des tactiques militantes est légitime et que certaines critiques de la gauche anti-homonationaliste sont fondées. Ce courant qui s’en prend aux mouvances homosexuelles militantes du Nord quand elles interviennent sur les pays du Sud, peut être légitime à certains moments et dans le livre pré-cité, Felix Boggio-Ewanjé-Epée donne des exemples qui peuvent être pertinents.
Mais pour autant, la critique de la tactique ne peut justifier la critique de l’émancipation homosexuelle coordonnée dans des pays de niveaux d’insertion différente dans le capitalisme international, dans des sociétés plus ou moins sécularisées et aux réseaux de traditions plus ou moins importants. Il ne faut pas mélanger les deux niveaux d’analyse et pour ce que nous en pensons, l’essai préalablement cité ainsi que les propos publics d’Houria Bouteldja sur la question font volontairement une confusion entre la critique de certains tactiques d’émancipation et la critique des besoins d’émancipation en eux mêmes. Et c’est cette confusion entre un premier plan qui peut nous relier à eux et le second qui nous paraît inacceptable qui donne ce texte.
A/ Certes des cas d’impérialismes tactiques existent…
Il est évident que dans différents cas, l’action de mouvements homosexuels d’Europe ou des États Unis ont eu des conséquences négatives sur des populations ciblées dans des pays où elles sont victimes de répression.
Malheureusement pour les militants « homos » (nous allons garder ce terme pour le moment ), la question de l’homosexualité ou plus largement des minorités sexuelles en Afrique est devenu l’instrument récurrent d’une opposition entre d’un côté, certains acteurs africains politiques réactionnaires connus et importants dans les sphères politiques et de l’État, qui l’utilisent à travers des formes de nationalisme culturel pour dénigrer des pratiques d’importation supposément étrangère, dans un souci de démarcation avec les modes de vie occidentaux, et de l’autre, des défenseurs des droits humains en « Occident » qui stigmatisent les pays africains comme étant le théâtre privilégié d’une « homophobie » à combattre. Les Africains seraient des barbares, des sauvages. Cette binarité entre des accusations de l’intérieur et des soutiens de l’extérieur ne rend pas toujours évidente la marge de manœuvre des homosexuel/le/s africain/e/s.
Des militants des pays du Nord, où des politiques sexuelles sont déjà plus ou moins intégrées dans les sphères du droit ou de la vie sociale, ont tendance à voir l’Afrique comme le continent maudit pour les homos. L’Afrique serait le continent maudit et l’Islam la religion maudite par excellence, et cette vision essentialiste ne renforce pas, il est vrai, la possibilité de sortir de l’état de crise actuel, car si les choses sont affirmées de cette manière, les États et les peuples ont tendance à se braquer dans une forme de « souveraineté homophobe ».
La critique des mobilisations internationales a commencé à s’exprimer fortement dès le début des années 2000. Par exemple, au moment de l’affaire du Queen Boat, alors que les Égyptiens emprisonnés se défendaient d’être homosexuels, les militants français d’Act-Up Paris manifestaient au son du slogan « Rendez nous nos amants ». Depuis quelques années, la critique des actions menées par les militants internationaux/occidentaux provient aussi des organisations représentant les minorités sexuelles en Afrique. Par exemple, un texte signé par une vingtaine de groupes africains, diffusé lors du Forum social mondial de Nairobi en 2007, mettait en garde contre l’organisation britannique OutRage ! dirigée par l’activiste Peter Tatchell (dont on se rappelle les actions musclées contre Robert Mugabe), qui appelait alors à une campagne contre l’adoption d’une loi interdisant le mariage homosexuel au Nigeria. Il lui était reproché d’imposer des méthodes et un agenda nuisant à l’intérêt des personnes concernées sans concertation avec elles. » (voir rapport cité en bas de page [1]).
Les associations peuvent bien sûr imposer des agendas qui ne correspondent pas aux militants locaux, mais des États peuvent aussi le faire dans le cadre de batailles juridiques internationales. Il existe de nombreux exemples, mais nous n’en prendrons qu’un.
David Cameron annonçait il y a quelques temps que les États africains qui criminalisent l’homosexualité risquaient de voir leur aide diminuée, déclaration immédiatement perçue comme un exemple flagrant d’impérialisme culturel auquel plusieurs dirigeants africains par exemple au Ghana ou en Ouganda) ont répondu que rien ne les fera abandonner leurs valeurs, dénonçant la menace contre la souveraineté des États que représentait cette annonce. En même temps, une pétition d’« activistes africains pour la justice sociale » signée par plus de cinquante organisations africaines (majoritairement de défense des minorités sexuelles) expliquait que cela n’était pas là le meilleur service à rendre aux personnes concernées, soulignant en particulier l’appartenance des minorités sexuelles aux populations bénéficiant des aides financières, la nécessité d’agir par l’éducation plutôt que par la sanction et les risques de retour de bâton auxquels les personnes concernées pouvaient se trouver exposées du fait de l’application de telles mesures. [2]. Cette question est une vraie question.
Il faut penser à cela et bien sûr, il est fondamental de ne pas imposer d’agenda, mais nous critiquerons les tenants du courant de la critique de l’homonationalisme sur deux points :
1) Bien souvent, ils ne critiquent pas seulement des tactiques, mais l’idée même de processus d’émancipation. Qu’il ne faille pas militer à la place des gens est une chose, mais affirmer que l’idée d’émancipation homosexuelle n’existe pas dans certains pays, car l’idée même d’une liberté sexuelle est un impérialisme, en est une autre.
2) Pour se faire, les tenants de la gauche anti-homonationaliste partent d’une binarité qui a peut-être existé mais qui n’existe plus aujourd’hui dans le cadre d’une société mondialisée. Ils considèrent que les sociétés capitalistes libérales développées, individualistes, ont permis l’émergence de notions comme la liberté sexuelle qui ne correspondent pas du tout à la maniéré de vivre d’« autres » sociétés. Ils opposent pratique et identité, ce qui ne peut aujourd’hui être opératoire pour comprendre un monde articulé mondialement. Ils ne nient pas du tout que des pratiques homosexuelles existent partout sur la planète, mais ils considèrent que seuls les pays impérialistes en ont fait, pour un nombre de raisons socio-historiques, une « identité » qui culmine dans le mot « gay » ou dans la notion de LGBT (qui pose aussi la question du lien homo/trans, mais c’est une autre question).
Nous pensons, à l’opposé, sans avoir fait de recherche sur la question, mais par des années de vie avec des homos africains et maghrébins, que cette binarité imperméable n’existe pas. Ce qui existe aujourd’hui c’est une ternarité poreuse. Il y a, selon les pays, selon les personnes, selon les moments, des personnes à pratiques homosexuelles, des personnes à identité vécue dans le secret de réseaux plus ou moins larges, et des personnes qui publicisent et politisent le sujet. Et nous pensons que la notion de binarité pratique/identité ne correspond plus du tout au monde dans lequel on vit, où des personnes qui se vivent homos au Nigeria, au Belize (dernier pays d’Amérique latine ou l’homosexualité est réprimée) ou au Vietnam, ont à la fois des éléments d’homosexualité culturelle spécifique et accès, par de nombreux canaux, à des modes de vie qui existent ailleurs, des revendications, des musiques etc… Ces modèles sont peut être « occidentaux », mais cela ne veut pas dire que c’est à l’Occident que ces homos s’identifient. Un homosexuel nigérian peut être très à l’aise dans sa culture nigériane, y compris appartenir à une Église, et regarder des vidéos de la série « Queer as folk » ou d’autres films américains gays et les intégrer à sa culture personnelle. Il s’identifie à tout cela, comme moi, gay français, je me suis construit comme un Français tout en pouvant aller dans n’importe quelle gay-pride dans le monde et y retrouver des éléments d’une culture homo mondiale en constitution. Et je suis sûr que je le vivrai non seulement à San Francisco ou à Berlin mais aussi à Oulan-Bator.
On peut dire que l’identité homosexuelle dans sa manière d’être vécue est relative et socialement construite, mais on ne peut pas dire pour autant qu’elle est en soi une construction totale et uniquement narrative ou discursive (simplement un effet d’énonciation) et que par magie, sur certaines parties du globe, les homos n’existeraient pas. Nous avons foulé le sol de 42 pays et nous avons dans une bonne partie d’entre eux vu des homosexuels qui aspireraient à pouvoir l’être sans répression sociale, culturelle ou religieuse.
B/ Le rôle des courants religieux les plus réactionnaires
… Mais majoritairement, ce ne sont pas les associations homosexuelles du Nord qui agissent en et sur l’Afrique aujourd’hui, mais bien les courants religieux les plus réactionnaires. On aimerait que les critiques de l’homonationalisme s’intéressent un peu plus à eux.
B1/ Des courants réactionnaires s’agitent…
Une des organisations de promotion de l’homophobie en Afrique vient des États-Unis. Elle s’appelle l’IRD (Institut sur la Religion et la Démocratie/ Institute on Religion and Democracy). Cette structure s’oppose à toute évolution des droits des homosexuels en Afrique et à tout politique progressiste sur le droit à l’avortement par exemple. En Afrique, l’IRD et d’autres structures conservatrices présentent l’idée de « droits humains » comme des visées impérialistes dont le but est de manipuler les Africains pour leur faire accepter l’homosexualité. Il font tout pour faire caractériser par les structures dirigeantes africaines l’homosexualité comme une simple déformation occidentale. Pour l’IRD, cette campagne est à la fois une campagne de long terme d’infiltration des sphères d’État. En fait, pour cette structure de type « think tank » de la droite chrétienne, il s’agit de gagner la bataille contre les Églises progressistes au niveau mondial en utilisant le terrain africain et sud américain pour renforcer les courants réactionnaires sexistes et homophobes. L’IRD se bat contre les courants des églises américaines qui défendent une ouverture sur les questions sexuelles et qui continuent à promouvoir l’État social, la sécurité sociale et la promotion de la justice sociale. L’IRD utilise l’Afrique comme un terreau pour renforcer son courant. L’IRD, les courants du « Renouveau chrétien » et toutes les églises conservatrices évangéliques construisent des liens importants avec les Églises de leurs réseaux en Afrique, où elles peuvent faire jouer leurs pensées avec en face, des résistants progressistes beaucoup plus faibles et moins organisés qu’aux États-Unis où le mouvement homo et le mouvement des femmes sont structurés, organisés et aussi financés. Les terres africaines deviennent pour les Églises réactionnaires le nouveau terrain de bataille pour éviter toute progression au niveau mondial des droits sociaux et humains homosexuels.
La droite républicaine et sa puissance financière financent les réseaux des Églises les plus conservatrices à travers leurs réseaux d’écoles, de centres de culture biblique et leurs maisons de santé par exemple. Ils avertissent la population dans ses structures contre le « danger de l’homosexualité ». Ils diffusent du matériel sanitaire, éducatif, des Bibles. Ils créent des centres de lecture de la Bible.
L’ex-président du Nigeria, le Président Olusegun Obasanjo, affirmait durant sa présidence, lors d’une rencontre avec des dignitaires religieux du Nigeria et de l’Ouganda, que « l’homosexualité était clairement opposée au principe de la Bible, non naturelle et définitivement non africaine ». De la même manière, au Zimbabwe, on peut entendre des dignitaires politiques promouvoir les mêmes pensées.
D’autres conservateurs religieux, en Ouganda et au Kenya, admettent que l’homosexualité existe, mais pensent qu’elle doit impérativement rester une affaire totalement privée et n’avoir aucune existence sociale publique. Par exemple, l’évêque anglican retraité Wilson Mutebia a mis en évidence que, durant le règne de Kabaka Mwanga, roi du Buganda dans les années 1880, les pratiques homosexuelles existaient au Palais. Cet évêque affirme que les gens qui affirment que l’homosexualité n’existe pas en Afrique mentent. « Ils n’ont fait aucune recherche ». Martin Ssempa, un militant antihomo en Ouganda, affirme lui-même qu’en effet « toutes les connaissances historiques admettent le fait que Mwanga était un déviant homosexuel, et il utilisait son statut de demi Dieu pour satisfaire son appétit vorace pour la Sodomie avec les jeunes hommes domestiques du Palais ».
B2/ Mais des associations homos des pays « du Sud » existent, se manifestent de plus en plus et ne peuvent pas être considérées comme des chevaux de Troie de l’impérialisme.
Nous allons donc essayer dans cette partie de montrer différentes formes d’homosexualité militantes, d’homosexualités à vocation publique, même discrètes, qui existent en Afrique. Il est évident que la vision binaire (simples pratiques versus identité, ce qui revient à dire finalement « mode de vie ») ne tient pas dans la réalité africaine et mondiale aujourd’hui. Ce qui est donc en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’existence de l’homosexualité féminine comme masculine en Afrique. Ce qui est en jeu, c’est ce qui se passe maintenant que dans une société de plus en plus mondialisée, où l’homosexualité, y compris dans le monde dit du Sud, réclame son existence publique et des droits. Le Sida, bien sûr, et les études sociales sur le Sida, notamment en Afrique, ont permis entre autres de connaître des populations jusque là invisibilisées comme les populations prostituées et/ou homosexuelles.
Il est évident que la lutte des homosexuel/e/s sud-africain/e/s durant les années d’apartheid dans des milieux séparés, mais aussi dans des luttes interraciales à partir de 1988. L’Afrique « de la lutte » contre le colonialisme et l’apartheid, l’Afrique du Sud, symbole, intègre avec difficultés mais l’a fait, les luttes homos dans la vision d’une Afrique post-apartheid à construire. Les premières gay-prides d’Afrique seront des gay-prides de lutte dans l’Afrique du Sud de la fin de l’apartheid. Bien sûr, cette avancée fondamentale en Afrique australe des droits juridiques des personnes homosexuelles va s’accompagner de réactions qui vont aller dans l’autre sens. L’exemple à l’opposé de celui de l’Afrique du Sud est l’exemple du Zimbabwe et de son dirigeant Robert Mugabe, qui, dès 1995, va mener une campagne terrible contre les droits des homosexuels. Il déclare que les homosexuels se comportent pire que les chiens et les porcs et considère que l’Afrique doit lutter pour ses valeurs ancestrales et contre les mobilisations homosexuelles. La Namibie prend le même chemin que le Zimbabwe. Cela ne veut pas dire que les luttes sud africaines (jusqu’au vote en 2006 du mariage entre personnes du même sexe dans ce pays) n’ont pas impulsé des volontés sur l’ensemble du continent. Le débat de publicisation de l’homosexualité en Afrique du Sud a eu comme conséquence la multiplication des débats sur tout le continent. Et les idées ont fusé dans les deux sens, en premier lieu pour une meilleure acceptation des homosexuel/e/s en Afrique. Mais en face, avec des relais importants de la droite chrétienne, les Églises réactionnaires ont mobilisé leurs réseaux. C’est à partir des années 2000 que le débat a pris une ampleur médiatique importante sur l’ensemble du territoire africain.
B2.1/ que signifient les mariages homosexuels clandestins ?
Un phénomène intéressant est celui des mariages clandestins. Si on part du principe que, dans de nombreux pays, seules les pratiques homosexuelles existent mais non pas les identités, pourquoi de nombreux homosexuels dans leurs réseaux plus ou moins clandestins, tentent-ils d’organiser des « mariages », des unions ? Si des unions sont organisées, c’est bien parce que, bien sûr, les personnes se vivent dans une identité, même si cette identité ne peut pas être exprimée publiquement. En 2007, au Maroc, la parution d’articles sur des mariages clandestins se transforme en tempête dans la presse. Début 2008, c’est au Sénégal que la publication d’une photo de mariage clandestin provoque une controverse à la fois médiatique et sociale qui, après un temps d’accalmie, resurgit début 2009.
Visiblement, un mode d’existence homo-sociale à travers le continent africain, et c’est assez logique car les mariages sont les vrais lieux de fête dans bien des sociétés, est l’organisation de mariages, ce qui permet de se rencontrer et de faire la fête. Ce sera encore et toujours un mariage clandestin, au Malawi, qui provoquera, en 2009, une nouvelle affaire très médiatisée après l’arrestation des deux mariés. Après de nombreuses batailles, (de nombreuses personnalités, y compris du pays, expriment alors leur indignation), les deux protagonistes sont graciés par le président malawite au moment où ce dernier reçoit la visite officielle du Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. En 2009, l’Ouganda est à nouveau placé sous les feux de la rampe internationale avec la soumission d’un projet de loi condamnant plus fortement qu’elle ne l’est déjà l’homosexualité dans certaines conditions, et proposant même la peine de mort dans certains cas précis.
B2.2/ L’essor du monde associatif homosexuel.
Au cours des années 1990 et 2000, des organisations de défense des minorités sexuelles ont été créées (plus ou moins officiellement) dans bien des pays africains, plus nombreuses cependant dans le monde anglophone que dans le monde francophone, où la plupart sont apparues dans les années 2000 à la faveur du contexte de la lutte contre le sida, mais en poursuivant parfois en même temps un objectif de lutte contre la stigmatisation, voire de défense des droits humains. Rares sont aujourd’hui les pays africains où il n’existe aucune organisation relative aux minorités sexuelles. On constate un lien étroit entre, d’un côté, des mobilisations collectives et, de l’autre, les positions hostiles.
Tout comme lors de l’apparition du mouvement homosexuel européen, ou étasunien, l’aspect public de l’homosexualité s’accompagne d’une violence en symétrie qui tente de rendre à nouveau clandestine une pratique qui se transforme en identité publique. En Afrique, l’hostilité parfois considérable exprimée par certaines autorités, et jusqu’aux chefs d’État, n’interdit pas et peut même alimenter les mobilisations collectives de défense des minorités sexuelles, comme par exemple dans des pays voisins de l’Afrique du Sud, tels que le Zimbabwe ou la Namibie. Souvent, lorsque l’homosexualité émerge dans le débat public, la rupture du silence s’opère dans les deux directions, oppression et visibilité.
Le cas du Zimbabwe est exemplaire de cette logique. L’association Gays and Lesbians of Zimbabwe (Galz) a pu, dès 1990, mener sereinement son activité de groupe de convivialité jusqu’en 1995, lorsque l’annonce de sa participation à la Foire internationale du livre à Harare provoque une controverse devenue fameuse et qui occasionne les premières déclarations hostiles du président Robert Mugabe. Galz n’a pour autant jamais cessé d’exister, et elle est même rapidement devenue le symbole de la mobilisation africaine dans ce domaine, pour les organisations occidentales ou internationales qui lui manifestent depuis un soutien appuyé.
Au Ghana,ce sont aussi les déclarations d’un président d’association gay et lesbienne qui ont déclenché une première controverse dans ce pays en 2006.
Au Cameroun, dans le contexte de forte stigmatisation lié à la publication des « listes d’homosexuel/les », une association a été créée en 2006, nommée Alternatives Cameroun. Œuvrant à la fois dans le domaine de la santé ( lutte contre le sida ) et des droits humains pour les personnes vulnérables et victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, elle n’a jamais cessé de se développer depuis, en dépit d’une forte stigmatisation sociale et légale des personnes ayant des pratiques homosexuelles dans le pays. Au Botswana, c’est après avoir subi le dévoilement forcé de son identité et de son orientation sexuelles dans la presse que Skipper Mogapi décida de militer, puis de fonder l’organisation transgenre Rainbow Identity en 2007. [3]
Ces différents cas sont intéressants car ils montrent la dialectique entre, d’un côté, la dénonciation de l’homosexualité et, de fait, l’obligation de sa mise en évidence publique. Parfois, le militantisme vient en premier, à d’autres moments, c’est la répression qui, de fait, crée par son action la catégorisation homosexuelle et sa mise en évidence dans l’espace publique. Donc affirmer que seules les pratiques existent dans de nombreux pays est encore une fois faux, car la répression crée aussi le cadre identitaire.
Certes, dans ce contexte globalisé, où la définition même de la cause devient un enjeu central, les mobilisations africaines puisent souvent dans le registre des catégories occidentales, provoquant l’effacement de désignations locales, ce qui est dommage, car l’Afrique a, notamment par ses anciennes religions, mais pas uniquement, des traditions importantes de dénominations pour les personnes ayant des relations avec des personnes du même sexe ou du même genre. Certes, des sigles tels que LGBTI (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Intersex) sont utilisés mais d’autres permettent aussi de moins calquer l’identité historique homosexuelle occidentale, comme MSM (Men who have Sex with Men). Dans les pays africains eux-mêmes se mettent en place des organisations représentant les minorités sexuelles en Afrique. De nombreux réseaux africains se créent, par exemple « All African Rights Initiative », « Coalition for African Lesbians » ou Africa gay contre le sida (dans les pays francophones). Le plus important actuellement, par son institutionnalisation et sa visibilité, African Men for Sexual Health and Rights (Amsher), a été créé en 2009 et recrute principalement dans les pays anglophones. Par son intitulé même et ses activités, ce réseau illustre le mouvement général de globalisation des politiques « LGBT » en faveur du combat pour les droits humains. On peut bien sûr choisir d’affirmer que ce sont des mouvements occidentaux petit-bourgeois d’élites mondialisées, coupés de leur peuple, mais la réalité montre le contraire et montre plutôt l’appauvrissement et la fragilisation sociale de nombreux militants lesbiennes et gays. On sait qu’un atelier organisé en juin 2012 par Amsher en Ouganda a été interrompu et des responsables politiques en ont profité pour annoncer publiquement que le pays s’apprête à interdire plus d’une vingtaine d’organisations auxquelles il est reproché de défendre les minorités sexuelles.
Pour finir et en guise de conclusion, j’aimerais poser aux défenseurs de la théorie critique de l’homonationalisme ces quelques questions pour débattre.
1/ Les normes juridiques anti-homosexuelles dans les ex-pays colonisés sont la plupart du temps l’œuvre des colonisateurs, normes non abolies après les Indépendances. Dans ce cadre, comment peut-on soutenir l’idée que l’homosexualité « identité » ou « mode de vie » est une importation occidentale ?
2/ Il ne faut pas confondre le débat sur les tactiques qui peuvent être imposées et le débat sur les identités. Il y a des tactiques qui correspondent aux histoires de chaque pays ou de chaque région du monde. Il n’y a pas aujourd’hui de différences structurelles sur les identités vécues de par le monde. En tout cas, elles s’atténuent. Doit-on les condamner parce qu’elles s’identifient pour le moment, pour se construire, à des modes de luttes occidentales par moment ?
3/ La mondialisation a fait émerger partout sur la planète des groupes homosexuels ou transsexuels qui luttent en tant que tels avec cette identité dans leur sphère culturelle. (idem pour les luttes des femmes). Pourquoi penser que ces luttes sont nécessairement articulées à l’impérialisme ?
4/ Le débat ne tourne pas autour de deux formes de vécu des relations homosexuelles qui seraient Pratiques versus Identité. Aujourd’hui, trois étapes existent et se complètent chez de nombreuses personnes : « simples » pratiques, identité vécue clandestinement, identité vécue socialement. Est-ce totalement fou de penser cela après des années d’observation et de vie en milieu homosexuel africain ?
5/ Si les homosexuels militants qui organisent socialement leur identité mettent en danger les formes traditionnelles de résistance à l’impérialisme, alors que doit-on en faire ? Les détruire ? Les considérer comme des dommages collatéraux nécessaires aux futures victoires ?
6/ C’est aujourd’hui les courants les plus réactionnaires de la droite chrétienne américaine notamment qui cherchent à renforcer l’homophobie et la transphobie sur tous les continents où ils le peuvent et notamment en Afrique et en Amérique latine. Ne peut on pas affirmer que le vrai impérialisme est celui des Églises et de la Droite chrétienne ? Il est souvent assez interloquant de voir que les anti-homonationalismes passent par la défense des religions comme cadre culturel de protection des sociétés attaquées alors que ces mêmes religions ont la plupart du temps été imposées (que ce soit les Christianismes ou les Islams) ?
7/ Il faut choisir entre une version culturaliste identitaire ou l’intersectionalité. Pourquoi refusez vous l’articulation des luttes autrement appelée aujourd’hui intersectionalité ?
Nicolas Tristan
UNE RÉPONSE À “LUTTER CONTRE L’HOMOPHOBIE, C’EST LUTTER CONTRE L’IMPÉRIALISME.”
lasantedanslatete | 19 mai 2013 à 10 h 00 min
Très intéressant cet article, merci.
Pour rebondir sur la première question pour débat, liée aux colonies, j’ai remarqué la même chose dans le domaine religieux : nos églises se vident dans nos pays du Nord, alors que les églises continuent d’occuper une place importante dans les pays du Sud, alors même que ce n’était pas leur religion première, que ce fut importé par le colon… Aujourd’hui indépendants, ils continuent de défendre intensément la place de cet apport alors pourtant très douloureusement… imposé.