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Regards (Manuel Borras ). Il y a encore peu de temps, Jean-Christophe Cambadélis affirmait ne pas craindre les débordements en marge de l’université d’été du PS. Pourquoi ce soudain revirement ?
Rémi Lefebvre. Il y a d’abord eu le lobbying de la maire de Nantes contre l’organisation de cette université d’été, notamment en raison de ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes. Le PS est encore assez implanté dans la région Pays-de-la-Loire, où il conserve beaucoup d’élus. Cela a dû jouer. La deuxième raison est de l’ordre de la communication. Une université d’été marque la rentrée d’un parti politique. Entamer cette rentrée sur des images de contestation très forte du gouvernement, alors que la campagne des primaires va commencer, serait un mauvais signal envoyé. Cela a beaucoup pesé. Enfin, reste un point sur lequel je suis moins affirmatif : on a l’impression que Cambadélis souhaite complètement liquider le PS pour ne pas laisser de prise à la contestation interne. Il ne veut pas donner d’occasion aux frondeurs de se manifester à l’intérieur du parti. On semble être dans une stratégie d’effacement du parti. Il va y avoir des primaires aux contours flous, il n’y a pas d’université d’été… On a un peu l’impression que le parti se désagrège.
« Depuis 2012, le Parti socialiste a été complètement démonétisé, ses instances ont une vie léthargique, les militants s’en vont. Il n’est plus un lieu de débat. »
La proposition alternative d’universités régionales décentralisées s’inscrit-elle dans cette stratégie d’évitement de la contestation sociale et du débat interne ?
Cela ne mange pas de pain de dire que l’on va décentraliser les universités d’été. La plupart des fédérations organisent déjà ce genre d’événements. C’est donc une manière de botter en touche, de donner l’impression que le parti continue d’exister alors que, concrètement, il ne se passera rien de plus que d’habitude au sein des fédérations. De plus, il y a une telle démobilisation dans le parti que certaines fédérations risquent de ne même pas pouvoir organiser d’université.
Cette annulation marque-t-elle la fin du débat interne au sein PS ainsi que la prise de pouvoir de la « Belle alliance populaire » et de « Hé ho la gauche », noyau de soutien à François Hollande ?
Depuis 2012, le Parti socialiste a quelque peu été mis sur la touche, car vécu comme potentiellement encombrant, dans un scénario de contestation de la ligne du gouvernement. Il a été complètement démonétisé, ses instances ont une vie léthargique, les militants s’en vont. Le parti n’est plus un lieu de débat. C’est d’ailleurs pour cela que celui-ci s’est déplacé au Parlement, et les frondeurs avec. Il y a eu un Congrès à Poitiers en juin 2015, où ont été mises en avant un certain nombre de critiques du gouvernement qui n’ont pas du tout été entendues. Même le Congrès a fait l’objet d’un évitement. La suppression de l’université d’été et le déplacement du parti vers ces espèces de conglomérats disparates de petits partis et de micro-partis favorables à Hollande montrent que le discours de Cambadélis sur le « dépassement » du PS – expression dont il est très friand – est en fait un euphémisme pour parler de sa liquidation. Concrètement, aujourd’hui, l’exécutif veut faire l’économie du parti, voire s’en débarrasser.
« Si les frondeurs concourent et perdent à la primaire, ils devront appeler à voter pour Hollande et perdront toute légitimité »
Si la relative contestation interne se déplace du parti vers le Parlement, il reste tout de même l’échéance de la primaire. Les regards se tournent une nouvelle fois vers Martine Aubry…
Je vois mal Martine Aubry sortir du bois. Elle est embarrassée. Elle a dit à plusieurs reprises qu’il ne faut pas trop critiquer le président sortant, car elle est très légitimiste sur le plan institutionnel. Et puis, c’est compliqué pour elle : je pense qu’elle ne veut pas participer aux primaires, il n’y a pas énormément de candidats possibles, elle n’a pas une relation facile avec Arnaud Montebourg… Mon opinion à ce stade est que Martine Aubry ne va pas jouer de rôle important durant la primaire. Elle fait le calcul que, de toute façon, François Hollande va perdre, et que les débats se trancheront plus tard.
Êtes-vous aussi dubitatif sur la capacité d’alliance des « frondeurs » que vous l’étiez – à raison – avant le Congrès de Poitiers l’année dernière ?
Les frondeurs se trouvent dans une situation délicate. Ils ont une décision stratégique à prendre. Ou bien ils participent à une primaire qu’ils peuvent éventuellement gagner, à condition d’obtenir une inter-primaire ouverte avec beaucoup de bureaux de votes. Cela paraît très difficile à réaliser pour un parti complètement décomposé. Ou bien ils décident de ne pas y aller, en dénonçant des conditions de primaire ouverte non-remplies. Si jamais ils concourent et qu’ils perdent, ils seront neutralisés et devront appeler à voter pour Hollande. Ils auront alors perdu toute légitimité, car celle-ci prend sa source dans la critique de l’exécutif. De nombreux militants socialistes ont d’ailleurs du mal à accepter ce principe des primaires qui oblige les vaincus à soutenir le vainqueur.
« Valls est dans une stratégie de fracturation de la gauche, dont il exacerbe les différences entre composantes »
Permanences PS saccagées, ministres en déplacement hués et appels au boycott d’un côté, répression sauvage du mouvement social et crainte d’une « guérilla d’ultra-gauche » de l’autre… Comment les dirigeants socialistes considèrent-ils les attaques qu’ils subissent et leurs auteurs ?
Si les gouvernements de gauche réformiste ont toujours entraîné une contestation sur leur gauche – on l’a vu sous Mitterrand et sous Jospin – cette fois-ci, le rejet du PS se généralise, de façon inédite, à une frange plus large de la société, dont une partie n’a pas d’autre visée contestataire. Face à cela, les partitions des uns et des autres sont différentes. Manuel Valls joue clairement l’affrontement. C’est lui qui voulait interdire la manifestation du 23 juin. Il est dans une stratégie de fracturation de la gauche, dont il exacerbe les différences entre composantes. Il tend également vers la dissolution du PS. Ensuite vient l’option Cambadélis qui, en tant que leader de parti, a intérêt à réduire la contestation et lui coller une étiquette « radicalisée ». Il parle d’éléments incontrôlables mus par une haine du PS, sans jeter le discrédit sur l’ensemble de la gauche – même s’il a quand même, de plus en plus, un discours de critique des appareils « radicalisés ». Mais il reste, en tant que leader du PS, une sorte de gardien de l’union de la gauche.
Comment interpréter l’attitude de François Hollande ?
On ne comprend pas trop… Je pense que son calcul est de ménager un peu la gauche, tout en ne faisant pas marche arrière afin de donner l’impression d’avoir une ligne directrice. Il est convaincu que la gauche du PS est atomisée, qu’elle ne peut pas vraiment le concurrencer et que, dans le même temps, la droitisation de la droite avec ces primaires va l’aider à se repositionner à gauche. C’est un calcul très incertain, dont on imagine mal qu’il le qualifierait pour le second tour.