De nombreux responsables politiques appellent les musulmans à prendre position dans le débat public sur la représentation et l’organisation de l’islam, en France.
Alors que Manuel Valls a appelé les musulmans, mercredi 17 août, à plus de « discrétion dans la manifestation de [leurs] convictions religieuses » – notamment en affirmant comprendre les maires qui interdisent le « burkini » –, des médecins, des avocats et des patrons musulmans ont choisi de prendre publiquement position dans Le Monde. Français et musulmans, ils ont choisi de s’engager dans le débat public sur la représentation et l’organisation de l’islam en France et de ne plus considérer la religion seulement comme une affaire privée. [1]
Le combat contre soi-même
Pour l’astrophysicien Abd-al-Haqq Guiderdoni, c’est un travail d’éducation qui doit être entrepris. Il insiste sur l’interprétation du Coran, souvent perçu comme violent, en particulier à cause des événements ayant eu lieu à l’époque de l’écriture du texte sacré :
« Ces événements ont été pour partie guerriers, et donc violents. Il ne s’agit pas de les supprimer du texte – il est absurde de vouloir ’réformer’ le Coran comme on en a lu la proposition – mais de les placer dans cette perspective relative, où ils ne peuvent pas devenir des normes, sinon des normes symboliques, celles du combat contre soi-même pour s’améliorer. »
L’école, qui a permis à l’élite musulmane de s’élever, souligne le scientifique, a donc un rôle essentiel pour situer « le fait religieux dans sa dimension originelle (...) et intellectuelle ». [2]
Plus incisif, le chercheur en politique Haoues Seniguer dénonce le manque de réflexion sur le rapport à la violence par les acteurs du champ islamique français :
« Quel acteur religieux musulman français a pris position contre les appels au djihad en Syrie formulés en 2012 par l’Union internationale des savants musulmans ? »
Mais il met aussi vigoureusement en garde contre la stigmatisation des classes populaires qui « représenteraient par excellence les classes dangereuses où se trouveraient les racines du mal ». [3]
Accéder à la parole publique
Pour Hicham Benaïssa, doctorant qui travaille sur les entrepreneurs musulmans, si l’on observe une relative diversification sociale des descendants de l’immigration africaine, les obstacles qu’ils rencontrent pour se faire entendre restent importants.
« Pour pouvoir accéder à la parole publique, il faut avoir les ressources sociales et symboliques nécessaires. Il est significatif que les signataires de l’appel mentionnent leur profession et leur qualité sociale », explique le chercheur. Or, la majorité des musulmans reste malgré tout inscrite dans les classes sociales défavorisées. [4]
L’« élite musulmane » est avant tout populaire, ajoute la journaliste Nadia Henni-Moulaï : elle « a jailli de cette population de l’immigration ». Mais elle peine en effet à se faire connaître :
« A l’heure où médias et politiques regardent ces Français issus de l’immigration avec toute la hauteur d’un regard paternaliste, eux ont emprunté le chemin de l’ascension sociale, retroussant leurs manches. » [5]
Mettre les femmes en avant
Il faut valoriser les exemples féminins, affirme Inès Safi, physicienne au CNRS, qui permettent de « déconstruire un discours essentialiste » et de « se servir de la force de la suggestion positive » pour lutter contre la dévalorisation de l’image de « la femme musulmane ». [6]
Le sociologue Omero Marongiu-Perria s’interroge toutefois sur ce qui relève désormais d’une « injonction à apparaître en bon musulman ».
Il observe, depuis les attentats du 13 novembre, l’émergence d’une « nouvelle contradiction républicaine : agir publiquement au nom d’une communauté tout en maintenant, à titre personnel, une quasi-invisibilité confessionnelle pour ne pas être taxé d’intégrisme ». [7]
« Tais-toi quand tu parles ! »
Une contradiction qui revient souvent dans le discours des musulmans français et résumée ainsi par le psychiatre Amine Benyamina : « Tais-toi quand tu parles ! » [8]
Abdel Rahmène Azzouzi, chef du service urologie du centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers enfonce le clou : « L’Etat français n’a jamais voulu un islam de France, accuse Abdel Rahmène Azzouzi. C’est le signe que [les politiques] considèrent toujours l’islam comme une religion étrangère à la République. »
Il préconise un financement émancipé des Etats d’origine de la communauté musulmane : « Je ne veux plus voir une seule âme étrangère rôder autour du CFCM. L’islam de France doit être géré par des Français uniquement. La maison commune, c’est la France, pas le Maghreb ! » [9]