Dans un entretien au Monde, le premier ministre, Manuel Valls, s’est dit « favorable » à une interdiction du financement étranger des mosquées et a souhaité « inventer une nouvelle relation » avec l’islam de France. [1]
A l’issue d’une rencontre, mercredi 27 juillet, à l’Elysée, entre François Hollande et les représentants des cultes, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, avait lui-même suggéré « une certaine réforme dans les institutions » de l’islam.
Comment s’organise l’islam de France ? Comment est aujourd’hui financée la pratique du culte musulman ? Le point en cinq questions.
1/ Combien de musulmans et de mosquées en France ?
Premier point, qui peut sembler évident, mais qui ne l’est pas toujours dans les discours : l’islam, comme le catholicisme et le bouddhisme, est une croyance religieuse. On peut donc y croire ou non, ou en observer plus ou moins les pratiques. On ne naît pas musulman, même si on peut naître dans une famille qui adhère à cette religion.
C’est ce qui explique la difficulté à comptabiliser le nombre de musulmans vivant en France, outre le fait que la loi française interdit de recenser les populations par religion. Le ministère de l’intérieur parle de 4 à 5 millions de personnes, mais ce chiffre est une extrapolation fondée sur l’origine géographique des populations, et non sur un recensement précis.
Autre chiffre : en 2008, l’enquête « Trajectoire et origines » menée par l’Insee et l’INED [2], sur la base de sondages, estimait les fidèles musulmans à 2,1 millions.
Par ailleurs, croire n’implique pas forcément une pratique régulière : seules 41 % des personnes « d’origine musulmane » se disaient « croyantes et pratiquantes », selon une enquête de l’IFOP pour le journal La Croix en 2011 [3].
Les lieux de culte musulman sont plus précisément comptabilisés : 2 449 en 2012, dont 318 outre-mer [4]. Néanmoins, un lieu de culte n’est pas forcément une mosquée et nombre de musulmans français prient dans des salles discrètes non officielles. Sur l’ensemble des mosquées, seules 64 mosquées sont dotées de minarets.
2/ Comment se finance le culte ?
En France, la loi de 1905 interdit à l’Etat de financer quelque culte que ce soit. Il existe plusieurs exceptions [5], notamment en outremer, mais la plus connue est celle du concordat en Alsace-Moselle. Ces départements étant allemands à l’époque de la séparation des églises et de l’Etat, ils ont gardé ce statut datant de 1802, qui autorise la puissance publique à rémunérer prêtres, pasteurs et rabbins.
Autre exception inscrite dans la loi de 1905 : « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » Ainsi, des aumôneries sont subventionnées par l’Etat dans l’armée, les prisons et les hôpitaux. Par exemple, les aumôniers militaires sont des contractuels de l’armée, qui occupent un grade.
Ailleurs sur le territoire, il est impossible à l’Etat où à une collectivité de financer la construction d’une mosquée ou de salarier un imam. C’est donc aux fidèles de trouver des financements. Ceux-ci le font le plus souvent par des collectes, parfois en faisant appel à un mécénat de l’étranger.
Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui rassemble le nombre de mosquées le plus important parmi les grandes fédérations nationales, a ainsi indiqué, dans le cadre d’un rapport sénatorial de 2016 [6], que « hormis une vingtaine de mosquées financées par des organisations ou des Etats étrangers, l’immense majorité est financée par la communauté musulmane ».
Pour les imams, ce sont bien des bénévoles en majorité (700 à 800 d’entre eux, soit environ un tiers, seraient rémunérés à temps partiel ou à temps complet).
L’autre source de revenus est celle du halal, la nourriture (principalement animale) que consomment les musulmans pratiquants, et qui doit avoir été préparée d’une certaine manière et certifiée par une autorité compétente, en général une grande mosquée (Paris, Evry ou Lyon). Mais, tout comme les comptes des mosquées, il est très difficile de trouver des chiffres fiables sur ce marché [7]. [8]
3/ Comment est organisé l’islam ?
Il n’existe pas dans l’islam de réel « clergé » qui fournirait une hiérarchie et des représentants identifiés. En réalité, un imam est avant tout un « guide » de la prière, qui peut être élu par la communauté, et n’a pas nécessairement de formation spécifique.
Ils sont étrangers pour la plupart (seuls 20 % à 30 % des imams auraient la nationalité française), le plus souvent issus de la même communauté d’origine que celle de la mosquée à laquelle ils sont rattachés. Il arrive que des imams viennent de pays où ils ont un statut public (Maroc, Algérie ou Tunisie), mais ce n’est pas la majorité des cas (300 imams sur 2 500 lieux de culte en France).
A titre de comparaison, les prêtres catholiques étrangers représenteraient environ 10 % de l’effectif total des prêtres en activité pastorale dans les diocèses de France, soit quelque 1 500 prêtres.
Cet éclatement de la communauté musulmane, lié aux courants spirituels et aux nationalités d’origine des communautés, ne facilite pas son organisation en France. Pour y pallier, Nicolas Sarkozy a initié la mise en place, en 2003, du Conseil français du culte musulman (CFCM) et de ses antennes régionalisées, supposés constituer une instance de dialogue et d’organisation. Mais cette institution est paralysée par des querelles d’influence intestines et peine à se faire entendre.
Plusieurs responsables musulmans ont critiqué, dans les dernières années, les liens du CFCM avec les autorités françaises : le recteur de la mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, a par exemple dénoncé « la gestion de l’islam de France par la Place Beauvau [ministère de l’intérieur] et les consulats » des pays d’origine des fidèles musulmans [9].
4/ Combien de lieux « radicalisés » ?
Corollaire de celle du terrorisme, la question de la radicalisation qui s’opérerait dans certaines mosquées, le plus souvent du courant salafiste, est souvent posée. Le salafisme, courant issu d’Arabie saoudite et prônant un retour à un islam « des origines », est bien souvent accusé d’être un terreau de radicalisme, même si la plupart des salafistes sont quiétistes, et ne prônent pas le djihad armé, apanage du courant « takfiriste » [10].
Le salafisme encourage le prosélytisme, au détriment de courants plus modérés. On compterait une petite centaine de mosquées salafistes en France, notamment à Marseille et en région parisienne. Si le salafisme promeut le voile intégral, la soumission de la femme à l’homme et fait de la visibilité de la religion dans la sphère publique un combat, on ne peut pas pour autant le rendre « responsable » des attentats.
Les profils des djihadistes ayant frappé la France ne correspondent en général pas au cliché du salafiste barbu ayant étudié le Coran durant des années, mais plutôt à de jeunes délinquants radicalisés en prison ou par de la propagande sur le Web. [11]
5/ Quelles sont les pistes de réflexion ?
Les questions qui se posent sont donc multiples : ne pas financer le culte implique que les fidèles musulmans doivent soit pratiquer leur religion dans des lieux inappropriés (Nicolas Sarkozy parlait ainsi d’« islam des caves ») et peu surveillés, ou faire appel parfois à des pays étrangers pour financer mosquées ou imams, qui ne prêchent pas toujours en français.
Mais financer le culte est impossible, la France étant laïque ; d’où le recours, dans certaines municipalités, à des « ruses », comme des associations, ou des lieux à destination multiple abritant notamment des salles de culte.
Au-delà de la question du financement se pose celle de la formation des imams et du contenu des prêches. Plusieurs imams salafistes, très visibles sur Internet, diffusent ainsi des discours radicaux, notamment l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa, objet d’une enquête judiciaire [12].
Plusieurs voix cherchent désormais à trouver d’autres solutions pour mieux cadrer le culte musulman. Et se tournent notamment vers le cas alsacien et mosellan. Un écho du Canard Enchaîné prêtait une réflexion de ce type au ministre de l’intérieur et des cultes, Bernard Cazeneuve, qui a fermement démenti, mais confirme mener une réflexion, notamment sur la formation des imams.
Il est rejoint sur ce sujet par Manuel Valls, qui lui non plus n’utilise pas le terme de « concordat », ce qui impliquerait de financer le culte musulman en France (ce que prône, par exemple, Jean-François Copé) [13]. Mais le chef du gouvernement se prononce en faveur d’une « nouvelle relation avec l’islam de France », un « nouveau modèle » qui inclurait la formation des imams « en France et pas ailleurs ».
Autre piste : l’encadrement et la surveillance. Dans son entretien, vendredi 29 juillet, Manuel Valls a précisé que les autorités françaises avaient déjà « expulsé quatre-vingts imams ou prêcheurs de haine ».
Il est également possible de fermer des mosquées : plusieurs lieux de cultes ont d’ailleurs fait l’objet, dans les dernières années, d’une fermeture sous le régime de la dissolution des groupements de fait ou des associations portant gravement atteinte à l’ordre public.
Les propositions de Manuel Valls ne sont pas inédites dans le débat politique. Lors de la présentation du rapport du député-maire socialiste Sébastien Pietrasanta, le député Les Républicains Guillaume Larrivé [14] avait souhaité que « le ministre de l’intérieur ait le pouvoir de s’opposer à l’ouverture ou celui d’ordonner la fermeture de tout lieu de culte présentant une menace grave pour la sécurité nationale. Cette mesure principale devrait être assortie d’une mesure complémentaire qui serait l’interdiction de tout financement étranger direct ou indirect des lieux de culte ».
Mathilde Damgé
De l’éco, du décryptage et une pincée de data
Samuel Laurent
Responsable des Décodeurs - Vérifications, contexte, données.