Les derniers propos de Georges Sarre illustrent très bien l’hystérie sécuritaire en cours dans cette campagne présidentielle : « Il ne faut plus parler de sauvageons, mais de sauvages. » De droite à gauche, la soupe électorale se mange sécuritaire. Alors, sacrifions la jeunesse en la criminalisant. Nous assistons à une simplification des discours et à une négation du contexte économique qui engendre précarité, pauvreté et abscence d’accès aux droits les plus élémentaires : emploi, logement, santé, éducation...
Tout-répressif
Après la loi sur la sécurité quotidienne votée en France fin 2001 -qui prévoit, entre autres, des peines d’emprisonnement pour des infractions à répétition aux titres de transport-, Jospin a franchi l’ultime pas concernant la délinquance des mineurs en présentant son programme le 3 mars. Il se dit prêt à réformer l’ordonnance de 1945 concernant la justice des mineurs dans un sens plus répressif. Il envisage même d’étendre la comparution immédiate aux mineurs (procédure de flagrant délit), ce qui signifie que pour le même délit, les peines peuvent être jusqu’à deux fois plus lourdes que lors d’une procédure classique. Les droits de la défense sont réduits à leur plus simple expression.
Ce sont les personnes les plus pauvres qui, dans la plupart des cas, font l’objet de cette procédure. L’étendre aux mineurs signifierait la fin de la primauté de l’éducatif sur le répressif et nierait la philosophie même de l’ordonnance du 2 février 1945 : l’affirmation que tout enfant, tout adolescent est éducable. Enfin, la création de centres fermés pour les mineurs délinquants constitue une nouvelle rupture historique de la gauche concernant le traitement de la délinquance des mineurs. N’oublions pas que c’est Peyrefitte qui ferma le dernier centre en 1979, reconnaissant par là que ces structures étaient génératrices de violence. Pourtant, mettre en détention provisoire les mineurs dès treize ans en cas de délit et abaisser la majorité pénale à 16 ans semblent être deux priorités politiques de la majorité des candidats.
Meurtre d’un père de famille à Evreux, insultes envers un professeur, dégradations d’immeubles, tout est mis sur le même plan. Comme si ces actes étaient de même nature et nécessitaient une même réponse : l’enfermement des jeunes.
Les statistiques en matière de délinquance données par la police sont critiquées par certains sociologues comme Laurent Mucchielli et Laurent Bonnelli. Une chose est certaine : plus il y a de contrôles policiers sur la voie publique, plus le nombre d’infractions et de délits comptabilisés augmente ! Contrairement à l’idée véhiculée par les médias, le nombre d’homicides est stable, voire en diminution, comme la part des mineurs dans la délinquance (21%). En revanche, on assiste à une surjudiciarisation des actes commis par les mineurs : 4000 jeunes ont été emprisonnés en 2001, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Comme il n’y a pas eu, parallèlement, d’augmentation de la part de la délinquance des mineurs dans la délinquance générale, il s’agit bien de la mise en place de réponses plus répressives.
La violence libérale
Criminaliser la jeunesse permet de ne pas se poser de question sur les choix politiques et économiques qui ont engendré chômage, exclusion, précarité. Aujourd’hui, 16000 mineurs vivent dans la rue. Alors que 60000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualification, ceux d’origine étrangère ou issus de certains quartiers sont victimes de discriminations à l’embauche. Ils se retrouvent soit au chômage (20 à 40% dans certains quartiers), soit à exercer des emplois précaires et mal payés (McDo, Pizza Hut, etc.).
Que les tensions sociales se développent avec l’augmentation des inégalités, nous ne pouvons le nier. Nous vivons dans une société violente. La loi du plus fort qui règne au sein de certains groupes de jeunes est calquée sur la loi imposée par l’économie libérale. Quand un président échappe à la loi, quand un patron licencie alors qu’il fait des bénéfices, pourquoi les jeunes seraient-ils différents de ce qu’ils ont sous les yeux ?
Dire cela ne justifie pas les actes de violence, d’autant plus que les victimes sont souvent issues des quartiers les plus pauvres. Mais les solutions sont du côté de la prévention et des services publics. Pas du côté de la répression. Dans les quartiers, les rapports de la police avec les jeunes ne font qu’envenimer les choses : contrôles au faciès plusieurs fois dans la journée, insultes racistes, tutoiement d’office, etc. Les acquittements quasi systématiques des policiers ayant abattu des jeunes renforcent les tensions : depuis 1977, 92 jeunes ont été tués par la police.
Et ce alors que le nombre d’éducateurs n’a pas augmenté depuis 1945 : un éducateur pour cent flics ou gendarmes. A la place d’équipes de prévention constituées de travailleurs sociaux qualifiés, les collectivités locales et l’Etat ont créé des postes d’agent de médiation, de personnels peu ou pas qualifiés et sous-payés.
Une autre logique
A contrario de la logique du tout-sécuritaire, il faut imposer une autre logique :
– L’extension des services publics est indispensable pour permettre l’accès aux droits élémentaires (santé, éducation, culture...). Les services publics ont disparu dans de nombreux quartiers touchés par la précarité.
– Les équipes de prévention spécialisée, décimées depuis les lois de décentralisation, doivent être réimplantées partout pour permettre aux enfants et aux adolescents de trouver, au-delà d’une aide éducative, les activités nécessaires à leur épanouissement. Cela suppose de créer un peu partout des maisons d’animation avec équipements culturels et sportifs.
– Il faut retisser un maillage social en redonnant la parole aux habitants des quartiers : des lieux de rencontre pour les jeunes et pour les parents doivent être ouverts. Les victimes doivent être prises en charge dans des lieux d’accueil spécifiques.
– Lutter contre l’économie parallèle passe par le droit à un emploi stable correctement rémunéré. Il faut de réelles poursuites judiciaires à l’encontre des employeurs responsables de discriminations à l’embauche.
– · La gratuité des transports pour les chômeurs et pour les jeunes éviterait nombre de tensions dans les transports en commun, et la légalisation du cannabis permettrait d’enrayer une partie du trafic et des « embrouilles » qui lui sont liés.
– L’instauration d’une allocation d’autonomie pour les jeunes de moins de 25 ans est indispensable si on veut permettre aux 18-25 ans d’avoir accès aux études et au logement sans dépendre de leurs parents.
– L’abrogation de la loi sur la sécurité quotidienne, la dissolution des brigades anticriminalité (BAC) et le désarmement de la police dite de proximité s’imposent.
Redonner des droits à tous et toutes, resocialiser les jeunes en y mettant les moyens, construire un autre monde où chacun et chacune ait sa place, telles sont nos propositions.