« A quoi sert l’Etat ? » se demandait l’historien et militant anticapitaliste Antonio Moscato sur son blog [1]. Après tout, n’est-ce pas la population qui s’est mobilisée pour venir en aide aux déplacés, à celles et ceux qui ont tout perdu la nuit du 24 août faisant suite à un battage médiatique appelant au « volontariat » ? Certain.e.s sont même venus de L’Aquila, à quelques 50 km de là, frappée elle aussi en plein cœur en 2009 et qui se bat depuis contre les lenteurs des reconstructions (un arbre a eu le temps de surgir au milieu des travaux publics) et les affaires juteuses et frauduleuses qu’elles ont suscitées. La même entreprise n’est-elle pas mise en cause dans la corruption liée à la réédification de l’Aquila et dans l’effondrement de bâtiments publics rénovés pourtant récemment à Amatrice. N’est-ce pas là la preuve que le gouvernement italien n’est pas en mesure de venir en aide à quelques milliers de personnes mais aussi et plus profondément que l’Etat se montre incapable d’agir ?
Le maire de L’Aquila l’annonçait récemment, la ville sera totalement reconstruite en 2020… Combien de temps faudra-t-il pour remettre sur pieds les territoires dévastés le 24 août dernier (Amatrice, Accumoli, Pescara, Arquata…) et ensevelis sous 1 million et 120’000 tonnes de décombres ? Une commission d’enquête pour « effondrement et homicide involontaire » a été constituée, afin de déterminer les raisons de l’écroulement des bâtiments ; une instruction a en outre été ouverte sur les contrats et les financements publics attribués à la construction dans la région après les tremblements de terre de 1997 en Ombrie et de 2009 à l’Aquila, quelques 84 millions d’euros selon le quotidien la Repubblica. Dix milles pages de dossiers sont déjà en possession des enquêteurs… Pourtant, est-ce bien cela le plus important ?
Grandes œuvres et petits pas
En effet, qu’a fait le gouvernement pour éviter ce genre de drames ? Ou mieux, que veut-il faire concrètement lorsque l’on sait que seul 1% des sommes nécessaires à la prévention de ce type de catastrophes sont allouées par l’Etat (Il Manifesto, 25 août 2016) ? Car, comme le relevait Antonello Caporale, c’est sur les « grands travaux » que se focalisent les politiques du gouvernement en matière de construction, « des grands travaux, portés par de grands groupes » et qui drainent de grands intérêts financiers [2].
Rénover les bâtiments pour les mettre aux normes antisismiques, alors que 40 millions de personnes vivent aujourd’hui en Italie dans des zones à risque, n’est pas hors de portée ; mais pas de ruban à couper ici démontrant ce que le « made in Italy » est capable d’accomplir, ni d’affaires juteuses liées à la spéculation immobilière.
La rengaine de la « résignation » face aux cataclysmes naturels répétée à l’envie dans tous les médias ces derniers jours fait ainsi la paire avec l’incurie du gouvernement. Un gouvernement faible et fortement ébranlé par les dernières élections municipales, qui ont vu la victoire aux mairies de Rome et de Turin de représentantes du mouvement 5 étoiles ; un gouvernement contraint, malgré les déclarations tonitruantes de Matteo Renzi annonçant sa détermination à rester au pouvoir jusqu’en 2018 ou même jusqu’en 2023, de fonctionner sur la menace d’un écroulement général si le Non aux réformes constitutionnelles promues par son parti, triomphait dans les urnes (solidaritéS, N°287).
Un pays en désarroi
L’Italie, selon les données disponibles pour 2015, est le pays de l’Union européenne (UE) avec le plus de personnes « vivant dans des conditions de graves privations matérielles », presque 7 millions d’Italien.ne.s se trouvent dans cette situation soit deux fois plus qu’en Allemagne et trois fois plus qu’en France (eurostat.eu). Le quotidien la Repubblica titrait le 13 août 2016 que la situation de la péninsule aujourd’hui était comparable à celle des années de l’immédiat après seconde guerre mondiale. Un pays où les enfants sont non seulement majoritairement plus pauvres que leurs parents, mais destinés à le devenir plus encore. A ce cadre général guère encourageant s’ajoute les dernières données fournies par l’Institut national de statistiques (ISTAT) qui dresse les contours d’un pays où le marché du travail ne cesse de se resserrer et où ce sont les jeunes qui de manière écrasante s’en sortent le plus mal. L’Italie est l’un des Etats de l’UE avec le plus haut taux de chômage des jeunes. Des données qui mettent à mal les effets d’annonces de Matteo Renzi sur la reprise économique que semblait accréditer jusqu’à peu les grands médias européens. Et la remise en cause récente par la présidence du conseil des modes de calculs de l’ISTAT n’y changera rien…
Les huées qu’a dû essuyé Renzi le 27 août dernier ne peuvent ainsi pas être mises au seul compte des réactions suscitées par le tremblement de terre ; elles sont le reflet d’un pays où la répression des mouvements sociaux (migrant.e.s, enseignant.e.s…) et la menace servent de mode de gestion gouvernementale, où les salarié.e.s, depuis le Jobs Act, sont corvéables à merci, et où la population dans son écrasante majorité ne voit pas de voie de sortie. Tant d’injustices peuvent servir de terreau d’incitation à la construction d’un large front de résistance sociale contre les inégalités, les politiques d’austérité, les tendances autoritaires du gouvernement et la montée du racisme… Ne serait-ce pas là une contribution utile à toutes les victimes de l’incurie des Etats ?
Stéfanie Prezioso