Le Conseil législatif (LegCo) de la « région administrative spéciale » qu’est devenue Hong Kong n’a que des pouvoirs limités et sa composition assure la permanence du contrôle de l’establishment pro-Pékin (et probusiness). Les élections du 4 septembre dernier n’en ont pas moins une importante portée politique. En effet, comparées au passé, elles ont mis en lumière trois dynamiques inhabituelles : politisation, polarisation et montée d’une nouvelle génération [1].
Le candidat qui a reçu le plus grand nombre de voix (84.121), Eddie Chu (38 ans), portait les couleurs du Demosisto, créé après la Mouvement des parapluies qui a secoué le territoire il y a deux ans. Le plus jeune élu, Nathan Law (23 ans, 50.000 voix) appartient au même parti, constitué avec Joshua Wong (19 ans). Parmi les autres élus, Baggio Leung (30 ans) et Yau Wai-ching (25 ans) représentent Youngspiration.
Tous ces nouvelles et nouveaux élus ne défendent pas les mêmes orientations, nous y reviendrons. Cependant, c’est la première fois que cinq candidats dits « localistes » se sont présentés en évoquant l’autodétermination du territoire et ont été élus sur cette base. Si l’on tient compte de ceux qui, tout défendant ce droit, ont été battus, on constate que 22,2 % des votes se sont portés sur ce type de candidatures ; c’est considérable. Signe des temps, plusieurs personnalités du courant « prodémocratique » traditionnel ont été éliminées au profit de ces jeunes plus radicaux.
La participation électorale a été élevée : 2,2 millions de votants, soit 58,28 % du corps électoral. En 1995, deux ans avant la restauration de la souveraineté chinoise, la participation n’avait été que du 35,79% et, en 1998, un an après la rétrocession, de 53,29%.
Malgré tous les moyens employés (pression, corruption…), le vote pour les partis pro-Pékin s’est érodé, passant de 42,7% à 40,6%. Ainsi, quelque 60% d’électrices et d’électeurs se sont refusés à eux. Bien entendu, ces formations contrôlent toujours une majorité de sièges d’autant plus écrasante que la composition du LegCo est assez particulière. Il comprend 70 membres, pour moitié élus par circonscriptions et pour moitiés par corps dits « fonctionnels » (l’un d’entre eux ne comprenant que… 127 électeurs !), généralement liés au PCC.
Générations
La vie politique et sociale à Hong Kong a toujours été profondément marquée par la succession de générations. Une première rupture s’est produite après la révolution de 1949 entre les « anciens » venus de Chine continentale [2] et leurs enfants nés sur place, dans la colonie britannique – où, soit dit en passant, il n’y avait pas une once de système de représentation démocratique. Ce n’est en effet que dans les années 80 des scrutins locaux ont été institué – en 1991, le LegCo à commencé à être partiellement soumis à élections en vue de la rétrocession.
Les accords de rétrocession de 1997 garantissent officiellement le maintien pour cinquante ans d’un statut spécial à Hong Kong et Macao sous le principe : « Un pays, deux systèmes ». La population se retrouve alors dans une « région administrative » particulière, où la pérennité du capitalisme, du système juridique, de diverses libertés civiques, etc. est censée être assurée jusqu’en 2047.
Depuis 1949, le territoire a vécu sous une triple dépendance : coloniale/post colonial vis-à-vis de Londres ; géostratégique (l’évolution des conflits de puissance en Asie orientale) ; nationale et « physique » vis-à-vis de Pékin qui a, par exemple, le pouvoir de couper l’arrivée d’eau potable ! Tout cela a contribué à une dépolitisation de l’activité sociale : le triomphe de « Homo œconomicus », chacune et chacun s’occupant de ses affaires, petites ou grandes. Cette atonie du politique n’a été que très rarement remise en cause, essentiellement durant les années 60, à l’époque de la Révolution culturelle.
En même temps, le « vécu » historique des Hongkongais est très différent d’en Chine continentale, ce qui a progressivement nourri la formation d’identités propres. Elles s’expriment maintenant, particulièrement dans la jeunesse, à l’occasion d’une véritable crise de perspective. L’horizon de 2047 n’apparaît plus si lointain, le sentiment se renforce que l’avenir se joue en fait aujourd’hui. Le régime pékinois suit actuellement un cours particulièrement répressif. Le rôle spécifique de Hong Kong s’est considérablement réduit, et avec lui le pouvoir de négociation du territoire.
Le futur présent
Dans le pilotage par la direction du PCC de la transition capitaliste en République populaire, Hong Kong a joué un rôle majeur en tant que porte ouverte sur le marché mondial, lieu de contact privilégié entre la nouvelle bourgeoisie bureaucratique continentale, la finance internationale et les transnationales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. S’il est une place de référence, c’est bien Shanghai (et c’est plutôt Macau qui est utilisé pour le blanchiment d’argent et la fuite illégale de capitaux).
Hong Kong n’en garde évidemment pas moins de l’importance, mais la présence des banques et transnationales ne garantit pas la pérennité d’un système partiellement démocratique. Elles sont là pour affaires et coopèrent avec Pékin pour assurer l’ordre social dominant. Pékin a donc de moins en moins de raisons de mettre des gants. Les changements s’opèrent effectivement sans attendre 2047.
Dans ces conditions, le cours politique très répressif dans lequel la direction du PCC s’est actuellement engagée sur le continent se répercute directement à Hong Kong. Ainsi, des éditeurs ont été secrètement enlevés et incarcérés pour faire taire les médias trop dissidents [3]. C’est ce climat anxiogène qui explique le taux élevé de participation aux élections du 4 septembre – ainsi que le confirme l’analyse des scrutins antérieurs :
1998 —53.29%
2000 —43.57%
2004 —55.64%
2008 —45.20%
2012 —53.05%
2016 —58.28%
Le pic de 1998 suit le basculement du territoire dans un nouveau statut.
Le pic de 2004 est lié à la volonté du gouvernement d’imposer à Hong Kong une loi de sécurité nationale, tentative mise en échec par d’importantes mobilisations populaires.
Le pic de 2012 fait suite à la décision du gouvernement de Hong Kong d’imposer un programme « d’éducation nationale » aux élèves et étudiants en vue de renforcer leur patriotisme, tentative une nouvelle fois mises en échec par des mobilisations massives.
Avec l’accession au pouvoir de Xi Jinping, le cours répressif du PCC n’a cessé de s’aggraver, conduisant au pic de 2016.
En revanche, les points bas de 2000 et 2008 reflètent des situations non conflictuelles [4].
Nouvelle bipolarisation politique au sein de la jeune génération
Les forces politiques à Hong Kong ont usuellement été classées entre « pro-Pékin » d’une part, et « prodémocratie » de l’autre, soit entre tenants d’un « despotisme d’Etat » ou de ladite « société civile » [5] ; et non pas selon un spectre « gauche-droite ». Cette opposition binaire, cette lecture unilatérale a permis de faire l’impasse sur l’analyse du programme des formations « démocratiques » qui se retrouvent politiquement toutes au centre ou à droite dans le cadre du paradigme néolibéral [6]. Il n’y avait pas de courants significatifs de type gauche socialiste ou libérale (au sens américain du terme).
A partir de 2008, avec l’émergence de la référence « localiste », une nouvelle bipolarisation prend forme. Des courants de droite s’affirment, certains évoluent à l’extrême droite durant le Mouvement des parapluies, en opposition à de soi-disant « gauchistes ». Ils usent d’un discours raciste et xénophobe à l’encontre des Chinois. En ce domaine, le programme de Youngspiration sombre dans l’absurde quand il exige que tous les habitants de Hong Kong qui ne parlent pas le cantonais ou l’anglais ne puissent accéder à la citoyenneté. En effet, les habitants originaux du territoire parlent… hakka ou chaochou. Le groupement Civic Passion (Passion civique) a, pour sa part, incité aux violences contre les Chinois. Aucun ne s’intéresse à la protection sociale des pauvres ou aux droits des travailleurs.
Sur un spectre gauche-droite, le programme des « gauchistes » dénoncés par la droite n’est en fait pas très radical, mais il est humaniste. Tout en s’opposant à Pékin, ils rejettent notamment tout discours raciste et xénophobe.
Ce clivage entre « localistes » prônant l’autodétermination est évidemment important, bien que rarement reconnu par les observateurs.
Certains candidat.e.s et élu.e.s « localistes » aux élections du 4 septembre appartiennent à la droite ou à l’extrême droite, comme Yau Wai-ching de Youngspiration ou Cheng Chung-tai de Civic Passion. L’ensemble des candidats appartenant à cette mouvance (y compris celles et ceux qui n’ont pas été élus) ont obtenu 7% des voix.
En revanche, Nathan Law Kwun-chung de Demosisto, Eddie Chu Hoi Dick et Lau Siu Lai se situent au centre gauche, n’ayant jamais été associés aux appels contre les Chinois. Eddie Chu a précisé qu’il considérait l’aile droite des « localistes » comme des « nationalistes autodéterministes », alors que lui même est favorable à une autodétermination démocratique pouvant inclure les Chinois et autres groupes marginaux. Le programme sur lequel ces candidat.e.s se sont présenté comprend des questions comme les droits des travailleurs, des femmes et des minorités. L’ensemble des candidatures de cette mouvance (y compris les non élus) à obtenu 15,2% des voix aux élections du 4 septembre.
Le plus grand flou existe quant à la mise en œuvre d’un processus d’autodétermination (bien que Nathan Law a appelé à un référendum). Il est cependant clair que toutes celles et tous ceux qui défendent ce principe ne le font pas dans la même perspective politique.
Une période incertaine
Les élections à peine passées et déjà des membres contestataires du LegCo se voient très sérieusement menacés. Eddie Chu – le mieux élu des législateurs ! – a reçu des menaces de mort. Obligé de quitter son habitation avec sa famille, il est allé porter plainte à la police. Précédemment, Ken Chow, alors candidat, avait dû interrompre sa campagne, après avoir appris que des proches risquaient de payer le prix de son audace [7].
Comment les nouveaux législateurs et leurs organisations vont-ils résister aux pressions et quelles vont être leurs évolutions politiques ? Il est évidemment bien délicat de tenter de répondre à de telles questions. Il reste que 15,2% des voix le 4 septembre se sont portées sur un nouveau courant démocratique, moins conciliateur vis-à-vis du PCC que les précédents pandémocrates. C’est un événement.
Le rejet dans la jeunesse des configurations anciennes a aussi couté son siège au dirigeant syndical Lee Cheuk Yan. Pour Au Loong Yu, il paie sa modération institutionnelle, mais peut-être aussi le fait qu’il a refusé de mettre le casque que lui tendait un adolescent lors du Mouvement des parapluies. Un refus symbolisant une rupture de génération.
Par bien des aspects, l’élection du 4 septembre fait apparaître dans le champ politique les effets contrastés du tremblement de terre produit par la mobilisation de la jeunesse en 2014.
Pierre Rousset
Note sur la Ligue des sociaux-démocrates.
La LSD se situe dans le camp des auto-déterministes de centre gauche, tout en utilisant une autre formule : une refonte démocratique de la Loi fondamentale de Hong Kong). Elle s’est alliée pour les élections à People Power (Pouvoir du peuple), une formation bien que son inspirateur, Stephen Shiu Yeuk Yuen, a combattu le mouvement syndical au nom du « libre marché ».
Les dirigeants de la LSD et de PP ont dans le passé appartenu à la même organisation, fondée en 2006 et appelée la LSD 1.0 pour la différentier de la LSD (2.0) de 2011. Cette année, Albert Chan Wai-yip et Raymond Wong Yuk-man ont rompu les rangs pour créer People Power. Le premier, un législateur, n’avait jamais été de gauche, le second avait été longtemps associé au parti contre-révolutionnaire KMT et à la mafia.
Leung Kwok-hung (60 ans), connu sous le nom de Long Hair (Cheveux longs), est resté le seul dirigeant reconnu de la LSD, ou LSD 2.0. Ancien trotskiste, il était devenu une figure militante, progressiste et solitaire, soutenu par un noyau de sympathisants, quand il a cofondé la LSD 1.0.
En 2008, Long Hair, Albert Chan et Raymond Wong ont été élus au LegCo. En 2013, Wong démissionne de PP (qui devient People Power 2.0) et Stephen Shiu lui retire son soutien. Cette formation évolue alors vers le centre gauche, se rapprochant des positions de LSD 2.0. Long Hair fait parti des candidat.e.s réélus [8].