Les transports sont un besoin pour la population. Si c’est vrai avant tout pour les transports locaux, c’est vrai également pour les voyages continentaux et intercontinentaux, c’est-à-dire la liberté de se déplacer et de s’installer n’importe où...
Nombre de ces déplacements ne peuvent se faire en pratique que par le transport aérien. C’est pourquoi si nous revendiquons des transports en commun de proximité public et de qualité, nous revendiquons également un transport aérien public, mais qui n’est pas seulement la nationalisation des compagnies existantes.
Le transport aérien est de plus une activité polluante, aussi bien du point de vue environnementale que sonore ou visuel. Il requiert des infrastructures importantes, incompatibles avec des habitations voisines. Il est donc nécessaire que cette activité soit régie collectivement dans le sens du bien commun. Et cela passe par exemple par le développement du multimodal, c’est-à-dire la mise en relation des différents modes de déplacements, rail et aérien notamment. En cela, la création d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes est une aberration. Nantes à 2 heures de Paris, la desserte par le rail des aéroports parisien est à privilégier.
Écologiquement et économiquement absurde
Aujourd’hui cette activité est libéralisée et la concurrence y fait rage. Cela se traduit par des comportements qui sont écologiquement et économiquement absurdes. Ainsi sur des tronçons « rentables », différentes compagnies affrètent parallèlement des petits porteurs aux mêmes horaires. Dans le même temps, des tronçons, jugés non rentables mais correspondant à un besoin pour les usagerEs, sont abandonnés.
Le développement très fort de l’aérien s’explique par le développement mondial du capitalisme. Les lignes en forte croissance aujourd’hui sont celles reliant les pays occidentaux avec les pays dits « émergents ». On le voit dans le souhait de compagnies de renforcer leurs classes affaires sur ces lignes, remplies de businessmen venus piller les pays du Sud. L’arrêt du capitalisme est la solution pour l’arrêt d’une croissance destructrice, dont celle de l’aérien.
Aménagement du territoire, rationalisation par l’arrêt de la concurrence, réduction du transport aérien… Les changements à apporter sont grands. Et ils ne pourront se faire qu’avec un débat avec les salariéEs du secteur attachés à leurs emplois.
Mat
Transport aérien d’hier à aujourd’hui
L’aviation s’est développée pendant la Première Guerre mondiale pour le renseignement, les communications et les bombardements. Les premières lignes commerciales se sont développées avec l’aéropostale dans les années 30...
La Seconde Guerre mondiale a accéléré le processus et à sa sortie a laissé des milliers de pilotes et mécaniciens formés ainsi qu’une industrie aéronautique massive. Les premières lignes aériennes se substituent alors aux lignes maritimes. D’où les galons à bord, du commandant au steward…
Ouverture de la clientèle
Au départ, ces lignes étaient réservées aux très riches, vedettes ou hommes d’affaires, champagne et caviar à bord. Le slogan d’Air France est « l’avion des stars » ! Mais ce développement est aussi marqué par le tragique : mort en vol de Mermoz (qui avait de fortes sympathies pour l’extrême droite), mort de Saint-Exupéry, mort de Marcel Cerdan en 1949 en route pour rejoindre Édith Piaf...
Les différentes compagnies sont chacune liées à un pays et sont l’outil diplomatique de celui-ci. Aujourd’hui encore, le réseau Air France correspond à la sphère d’influence de l’impérialisme français. La fin de l’isolation de l’Iran ? Air France rouvre donc sa ligne sur Téhéran !
Dans les années 1970, on assiste à une massification du transport aérien symbolisé par le Boeing B747 surnommé « jumbo jet », l’avion éléphant. Liée au besoin massif de main-d’œuvre, on fait venir massivement des Antillais avec le Bumidom (Bureau migration des DOM), Antillais auxquels on octroiera un billet d’avion tous les deux ans. De même en provenance du Maghreb avec les recrutements pour l’automobile.
C’est un mix première, classe affaires et classe vacances à bord des avions. Au sol, tout le personnel est Air France, du balayeur dans le hangar au manutentionnaire qui aide à fabriquer les repas.
Grandes compagnies et low cost, le partage du gâteau
Dans les années 90, le modèle change, lié à la mondialisation. Les petits pays n’ont plus les moyens d’avoir leur compagnie nationale (fin de Sabena, Olympic Airways, Iberia… et même Pan Am et TWA). Ce ne sont plus les États qui financent mais les capitaux privés. C’est le moment des concentrations et des grandes alliances, mais pas seulement : d’un côté, de grandes compagnies internationales appuyées sur un réseau puissant, et de l’autre, le développement de compagnies low cost (bas coût).
Le low cost opère dans un espace commun sans accords diplomatiques (USA, Europe, Chine). C’est un modèle d’ultra-libéralisme : basé dans des paradis fiscaux, une main-d’œuvre sous-payée et précaire, sur de petites distances, avec un grand nombre d’avions du même modèle pour réduire les coûts d’entretien, mais aussi des subventions des régions (par nos impôts) en échange de leur desserte. Et avec un service minimum, parfois proche de la maltraitance s’il y a un souci. Tout service supplémentaire y est payant.
Sur les longs courriers, un tel modèle n’est (pour l’instant) pas transposable : il y a les accords diplomatiques, la sécurité au-dessus des océans, les services à bord pour des vols de 10 heures, etc. Avec le contrôle de Paris, Air France occupe une position stratégique. En 2015, 95 millions de passagers ont été accueillis à Roissy et Orly. Roissy c’est près de 100 000 salariéEs, Orly 40 000...
On a ainsi un partage du marché, les lignes transversales étant laissées au low cost qui ne vient pas affronter Air France sur Paris. Mais cette dernière développe aussi son propre low cost avec les compagnies Transavia et Hop, cela afin de garder le contrôle d’Orly.
Les compagnies du Golfe reprennent ce modèle, avec un pétrole moins cher et de fortes subventions étatiques, mais ne sont compétitives face aux majors européennes que sur l’Asie. Et la baisse du pétrole vient aujourd’hui menacer cet avantage.
De leur côté, les très riches ne prennent plus la première : ils ont leur propre avion, et leur aéroport au Bourget. On part quand on veut, pas de files d’attente, pas de contrôles humiliants, peu de fouilles. Cela avec le risque que le même avion serve un jour à Sarkozy et un autre jour à transporter de la coke (affaire « Air cocaïne »...), les deux étant tout aussi toxiques !
L’intox Air France
Actuellement, les constructeurs, les aéroports, gagnent beaucoup d’argent. Les compagnies aériennes sont, elles, en retard avec seulement 5 % de profits en moyenne. Air France se fixe un objectif de 10 %, d’où les plans qui se succèdent... et les résistances des personnels.
En 2011, de Juniac est arrivé en développant toute une intox sur le thème « Air France est en danger ». Une intox relayée par tous les syndicats sauf SUD Aérien, avec l’accompagnement de fameux cabinets conseils Secafi, Progexa... et de toute la presse.
De Juniac a fait signer par la plupart des syndicats les accords Transform, entérinant blocage des salaires, pertes de l’ancienneté (moins 10 % dans les 10 ans), jours de repos en moins, semaines passant de 32 à 35 heures pour les salariéEs en horaire 3 × 8, et plusieurs plans de départs volontaires de milliers de salariéEs. Au cargo (fret), la moitié des effectifs est partie. C’est de ce secteur que sont venus le 5 octobre 2015 les salariéEs, à l’assaut du DRH quand celui-ci a voulu se débiner...
La politique de sous-traitance, qui concernait au départ le travail peu qualifié, s’est étendue ensuite à tous les métiers pour peser sur les salariéEs. Sous-traitance d’une partie des visites lourdes des A320 dans une filiale commune avec la Royal Air Maroc, visites des derniers B747 en Chine, service client dans la filiale française Bluelink, centres d’appels au Maroc, en Europe de l’Est… ou à Strasbourg pour pouvoir travailler le dimanche !
Air France poursuit donc son expansion, avec une nouvelle aérogare en construction sur Orly. Mais la direction cherche à contourner la résistance des personnels en faisant passer la croissance par l’extérieur : sièges achetés sur d’autres compagnies (quitte à prendre des risques, ainsi l’avion de la Malaysian abattu au-dessus de l’Ukraine transportait des passagers qui avaient un billet Air France-KLM...) ; développement de Hop qui reprend une partie des lignes intérieures (et peut-être demain le personnel sur le réseau intérieur) ; développement de Transavia sur l’Europe et le Maghreb. Et le démantèlement de l’entreprise continue, avec la vente de sa filiale de préparation des repas Servair au groupe chinois HNA.
Air France gagne de l’argent. Avec la baisse de moitié du prix du pétrole (qui coûte un tiers du billet) et le maintien des ventes, le discours de sacrifice adressé aux salariéEs ne marche plus. D’où la colère des salariés face au nouveau plan Perform présenté à l’automne 2015 et la « chemise arrachée » qui a fait plaisir à la France entière, enfin celle qui se lève tôt ! D’où aussi la constitution (jamais vue dans l’histoire) d’une intersyndicale regroupant tous les syndicats de pilotes, hôtesses et stewards, et pour le sol regroupant CGT, FO et SUD Aérien.
Syndicalisme : état des lieux
En avril 2015, les dernières élections syndicales ont vu le personnel se regrouper derrière ses métiers, votant massivement pour les syndicats corporatistes chez les navigants. Sur les escales de Roissy, le vote s’est partagé entre CGT et FO ; à Orly, CGT et SUD. Sur les escales du sud de la France, en particulier Marseille et la Corse, c’est la CGT qui domine, comme au cargo. L’informatique vote CFDT et le siège et le commercial votent CGC et CFDT. Les cadres ont, eux, massivement voté CGC.
À l’industriel (8 500 salariéEs), Sud Aérien est passé en tête, s’emparant du comité d’établissement en alliance avec le syndicat corporatiste des mécaniciens avion Snmsac/Unsa. Appuyé sur cette place forte, il met en crise le fonctionnement clientéliste et la perte de tout sens du CCE (le comité central d’entreprise) géré par la CGT. Mal géré depuis des années, ce CCE est au bord du gouffre financier, et a perdu son sens d’éducation populaire et de construction de solidarité, au profit d’une gestion clientéliste. Il est en crise et proche de l’éclatement.
Sud Aérien veut être porteur d’un projet de refondation du CCE. Les mois qui viennent seront décisifs sur l’avenir de cette bataille, qui va de pair avec les nouveaux liens créés dans l’intersyndicale.
La CGT est prise dans de multiples contradictions. D’abord une gestion collaborative du CCE, avec aussi son secrétaire qui condamne les prétendues agresseurs de l’affaire de la chemise et même plaint la direction le soir même à la télévision. Cela alors que ce sont bien des militants CGT du cargo qui étaient en première ligne... Puis virage les jours suivants, en particulier sous la pression de la Confédération qui y voit une opportunité de restaurer son image… Mais avec le départ du PDG de Juniac et l’arrivée de Janaillac, bon copain de Hollande et de la promotion Voltaire à l’ENA, les contorsions reprennent : on a ainsi vu la CGT « soutenir mais ne pas appeler à la grève » très suivie des hôtesses et stewards fin juillet… tout en affichant un discours radical, mais sans organiser à l’intérieur de l’entreprise une campagne de solidarité avec les licenciés de l’affaire de la chemise.
FO, après avoir signé en 2012 les pertes salariales, a perdu du crédit et entame un virage à gauche et un retour à un syndicalisme de terrain. La CGC et la CFDT maintiennent leur soutien à la direction, mais avec de plus en plus de difficultés. Et l’Unsa navigue à vue…
Contre la répression, pour un statut commun
Pour l’instant, la direction a lâché du lest et une prime d’environ 1 200 euros d’intéressement en 2016. Elle a reporté, d’abord à octobre et maintenant à février 2017, ses attaques suite aux deux grèves très suivies, des pilotes en juin et des hôtesses et stewards fin juillet. Tout le monde a compris que Janaillac est là pour arriver jusqu’à l’élection présidentielle sans conflit social majeur. Mais les salariéEs sont mécontents, les fins de mois sont de plus en plus difficiles après cinq ans de blocage des salaires dans un groupe qui gagne beaucoup d’argent. Alors, pourquoi attendre ? L’intersyndicale l’a bien compris, ce n’est qu’un début !
La prochaine échéance est le procès des 15 salariés du cargo, dont cinq sont déjà licenciés. Et l’intersyndicale de déclarer : « gouvernement français et direction d’Air France main dans la main pour licencier ». Les revendications sont donc la réintégration des licenciés, l’augmentation de la flotte Air France, l’arrêt de la politique de sous-traitance, l’augmentation des salaires.
L’enjeu est bien de construire un mouvement où se retrouvent tous les métiers, salariéEs d’Air France comme celles et ceux des entreprises sous-traitantes. Pour le retour à un statut commun dans l’aérien.
Jet Aelys
Les vraies mesures de sécurité
La sécurité des vols est de façon officielle le mantra des compagnies aériennes, qui communique énormément en interne et en externe sur le sujet. Mais quelle est la réalité ?
Les dernières années ont été marquées en France et ailleurs par de nouvelles vagues d’attentats. Le transport aérien est une cible privilégiée. Avions et aéroports permettent en effet des attentats de masse, spectaculaires, et identifiant les cibles : capitales d’État ou compagnies aériennes qui, bien que privatisées, sont encore associées à un État.
Ainsi, entre octobre 2015 et juin 2016, on a assisté au crash de l’Airbus 321-200 de la compagnie russe Metrojet et aux attentats des aéroports de Bruxelles et d’Istanbul. Cela sans compter l’attaque de l’hôtel Radisson de Bamako qui a tué six employéEs de la compagnie cargo Volga-Dnepr Airlines et dont l’équipage d’Air France semblait être une cible.
Sûreté ou répression ?
Des mesures exceptionnelles ont été prises après les attentats de Paris. Elles n’auront tenu qu’un week-end... Les contrôles généraient trop de file d’attente et de retard : la rentabilité du secteur passe avant tout ! Ces mesures sécuritaires répondaient en partie à une vraie crainte qui s’exprime chez les salariéEs du transport aérien en aéroport ou en vol. À part quelques effets d’annonces, les mesures de sécurité n’ont pas changé. Le vrai besoin est la fin de la précarité et la mise en place d’équipes pérennes qui permettent, en renforçant le lien entre collègues, de sécuriser l’environnement de travail. De la même façon, le tout-automatique, qui tue le lien entre collègues mais aussi entre salariéEs de l’aérien et passagerEs, est tout le contraire du renforcement de la sûreté.
Après le 11 septembre 2001, la sûreté aéroportuaire s’était déjà fortement renforcée avec la mise en place de badges aéroportuaires pour les salariéEs. C’est le sésame nécessaire pour travailler dans certains secteurs : sous douane, en piste ou dans l’avion. Ces badges sont délivrés à discrétion de la préfecture de police après enquête, sans qu’elle ait à justifier ses refus. Cela permet un vrai chantage sur les salariéEs. Lors d’un renouvellement de badges, des syndicalistes ou salariéEs trop barbus voient ainsi les enquêtes les concernant se prolonger pendant des semaines. Cela les laisse au chômage technique et sans ressources, alors qu’à la demande d’une entreprise ayant besoin de main-d’œuvre, la préfecture arrive à délivrer des badges en quelques jours.
Sécurité ou rentabilité ?
Au-delà des risques liés aux attentats, la sécurité des vols dépend aussi des conditions d’entretien des avions et de travail des navigantEs. Car si le transport aérien a historiquement évolué pour devenir un des modes de transport les plus sûrs, le moindre incident peut avoir de graves conséquences. Cette évolution s’est faite via des progrès techniques mais aussi via la mise en place de savoir-faire et de contrôles rigoureux dans les différentes phases de vie de l’avion et dans les différentes phases de vol. Mais aujourd’hui, ces savoir-faire accumulés et cette rigueur sont remis en cause par une logique rentable et financière.
Cela se traduit dans la maintenance, notamment par une cascade de sous-traitance, chaque niveau coûtant moins cher que le précédent, avec des conditions de travail qui vont en se dégradant. Comment croire qu’un salariéE sous-payé et sous pression aura les moyens nécessaires au bon contrôle d’un équipement ? Sans compter qu’aujourd’hui la maintenance se délocalise dans des pays au moins-disant social. Les salariéEs concernés n’ont ni la formation ni les conditions de travail nécessaires à la bonne réalisation de leur tâche. Et bien souvent dans leur pays, la démocratie et les libertés syndicales inexistantes ne leur permettent pas de s’organiser.
Il en va de la maintenance comme de l’assistance en piste, systématiquement sous-traitées. Le changement de discours des pilotes concernant les salariéEs du sol, commençant à prendre en compte une partie de leurs revendications, s’expliquent aussi pour cela. Après tout, ils sont en première ligne dans les avions !
La sécurité d’un vol passe aussi par la santé et les conditions de travail de son équipage. Le pilote du Boeing 737-800 de FlyDubai qui est décédé dans le crash de son appareil le 19 mars aurait enchaîné 11 jours de vols avec un seul jour de congé avant l’accident. Quant au pilote de Germanwings qui a délibérément crashé son avion dans les Alpes, c’est sa santé mentale qui est mise en cause. L’augmentation des heures de vols des pilotes et des hôtesses ou le recul de l’âge à la retraite ont des conséquences sur la fatigue et la santé des équipages. Mais en cas de problème, ce sont leurs réflexes qui permettent de rétablir la situation.
S’assurer des bonnes conditions de travail des salariéEs de l’aérien, c’est s’assurer de la sécurité des passagers. Pourtant, toutes les compagnies recherchent des économies qui se font systématiquement sur le dos des salariéEs. Et cela aura forcément des conséquences.
Mat
Un secteur sous l’assaut du libéralisme
Dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale, notamment avec les nouveaux avions à réaction, le transport aérien commercial international s’est largement développé, guidé essentiellement par les principales puissances impérialistes (USA, Grande-Bretagne, France, rejointes ensuite par l’Allemagne et le Japon). De plus, les USA avaient un réseau domestique très développé.
Dans cette période, les compagnies étaient essentiellement des compagnies à capitaux publics, ou dans tous les cas protégés par un monopole avec des accords bilatéraux pour les lignes internationales. Un secteur mobilisant beaucoup de capital pour un très faible niveau de rentabilité capitaliste (en général déficitaire, ou avec de 1 % à 3 % de retour sur capital au maximum), et relevant des intérêts diplomatiques et étatiques de chaque pays.
Les années 1990 et la mondialisation capitaliste ont bouleversé le secteur. Les protections / réglementations nationales ont sauté les unes après les autres, les besoins des grandes entreprises industrielles et commerciales en matière de transports de collaborateurs et de fret ont explosé, le secteur a connu depuis lors une progression quasi linéaire de 5 % par an.
Dès lors, les investisseurs privés se sont intéressés à un secteur peu à peu remodelé pour en faire un secteur capitaliste rentable. Les compagnies low cost sont apparus sur des niches rentables, des centaines de compagnies se sont créées en bénéficiant de la déréglementation, tout autant ont très vite disparu, des concentrations et des alliances se sont nouées… toujours sous l’égide des grandes compagnies des principaux pays impérialistes. La maintenance des avions a suivi à peu près le même chemin…
De même, tous les services au sol (catering, assistance, sûreté, nettoyage…) se sont développés, se séparant souvent des compagnies aériennes elles-mêmes et des gestionnaires d’aéroport).
Capital concentré, salariéEs éclatés
Aujourd’hui, plus de 20 ans après ces déréglementations, le secteur, au niveau international, présente un visage presque homogène. Trois alliances monopolisent l’essentiel des lignes et la grande majorité des passagers (Star Alliance, Sky Team et One World), chacune tissant un réseau intercontinental (avec sa propre fidélisation de clientèle, les fameux « miles ») et ayant soumis de petites compagnies low cost assurant une partie du réseau. Les principales compagnies low cost et les compagnies du Golfe s’intègrent peu à peu à ce système.
La concentration se double d’une segmentation des marchés qui permet de créer des centaines de petites compagnies locales à bas coût et à bas salaires et d’augmenter la pression sur les salariés des compagnies mères.
Le schéma est identique au sol où l’existence de milliers de petites entreprises cache de moins en moins une concentration de grands groupes internationaux, de nettoyage, de sécurité, d’assistance, de catering. Là encore, si le capital est concentré, les salariéEs eux sont éclatés en petites unités, les salariéEs changeant en permanence d’employeurs au gré des reprises de marché.
Cela a permis de transformer le transport aérien en secteur capitalistiquement rentable pour les grands groupes, au prix d’un éclatement des statuts et des entreprises et d’une précarisation croissante, rendant difficile les luttes communes dans le secteur.
Léon Crémieux
Faire décoller les profits
L’occupation du CCE d’Air France le 5 octobre et les nombreuses grèves chez Lufthansa depuis le début de l’année répondent à l’offensive générale menée contre les salariés du transport aérien. L’explication courante donnée par les directions d’entreprise, les gouvernements, les médias et la plupart des directions syndicales est simple : les compagnies du Golfe et les low cost asphyxient les grandes compagnies traditionnelles.
Plusieurs rapports gouvernementaux étayent cette thèse qui pousse à une solidarité nationale gouvernements-entreprises-syndicats pour « sauver Air France » et baisser les « charges » insupportables. Tout cela doit nous amener à regarder d’un peu plus près le fonctionnement d’un secteur économique en forte croissance régulière.
Un secteur en forte croissance…
Malgré la faible croissance de l’économie mondiale, le transport aérien est un secteur en forte croissance régulière. L’IATA (Association internationale du transport aérien), l’organisme officiel qui centralise et analyse toutes les données du secteur, prévoit une croissance de 6,7 % de l’activité en 2015, la meilleure depuis 2010. La croissance moyenne des vingt dernières années a été de 5,5 % par an. Après une courte récession sur 2008-2009, presque imperceptible pour le trafic passagers, l’activité est repartie à la hausse dès 2010, et une forte croissance est prévue ces prochaines années.
Beaucoup de commentateurs prétendent que le transport aérien est une activité fragile qui subit beaucoup de soubresauts, perturbée par les guerres, les épidémies, voire les éruptions volcaniques. C’est une vision plus que superficielle : elle est totalement contraire à la réalité. Le seul paramètre qui a un sens pour analyser l’évolution du transport aérien est celui de l’échange des marchandises, le commerce international et la croissance du PIB. Il est communément admis que 1 % de croissance du PIB donne 2 à 3 % de croissance du trafic.
Le secteur est donc bien en croissance. Contrairement à certaines idées reçues, cette croissance n’est pas l’apanage de l’Asie. L’Europe en bénéficie aussi : en 2013, 6,7 % pour le trafic domestique et 6,4 % pour l’international.
Cette croissance est aussi celles des principaux autres acteurs du transport aérien : les aéroports et les compagnies d’assistance. Le problème majeur est plutôt celui de la profitabilité.
…mais soumis à une rentabilisation capitaliste exacerbée
Depuis les années 1990, le secteur a été entièrement privatisé et libéralisé. Sauf dans le Golfe, les Etats ne sont quasiment plus actionnaires majoritaires des compagnies aériennes et les règles ont fait lever presque toutes les limitations de la concurrence internationale. Or, jusqu’à récemment, le transport aérien était le « pire » des investissements pour un capitaliste. Une étude réalisée par McKinsey pour IATA donnait le secteur bon dernier du point de vue du retour sur capital investi (ROCE) avec une moyenne de 5 % de 1965 à 2007, là où le secteur pharmaceutique affichait 25 % et la construction aéronautique 12 %.
Dès lors, depuis plus de vingt ans les grandes compagnies essaient d’appliquer toutes les recettes permettant une rémunération régulière des actionnaires. Mais très voraces en capital, les compagnies aériennes n’ont jamais dégagé réellement des profits à un niveau attractif pour les possesseurs des capitaux investis. Les profits dans le secteur allaient à d’autres (les Etats par le biais des taxes et des impôts, les compagnies pétrolières, les constructeurs et équipementiers, les financiers). En cela le transport aérien est très lucratif.
De plus, avec la mondialisation, le transport aérien est une activité névralgique du point de vue des échanges économiques et des chaînes de fabrication et de distribution. Le secteur va se développer et les compagnies devront trouver 4 à 5000 milliards de dollars pour financer les nouveaux avions nécessaires aux économies émergentes (la flotte mondiale devrait passer à 34 000 avions d’ici 2031 contre 27 000 aujourd’hui). 1700 nouveaux avions ont été livrés en 2015. Ce besoin de financement était jusque dans les années 1980 fourni essentiellement par les Etats, les compagnies nationales bénéficiant de financements publics, même si le taux de profit était faible.
Pour les capitalistes qui gèrent désormais les compagnies aériennes, vu que le retour sur capital investi y est très faible, l’obsession a donc été de le relever au niveau du coût du capital. Ce qui signifie doubler le retour sur capital investi ! Air France s’est ainsi donné comme objectif d’atteindre les 10 % de « ROCE » dans les deux ans à venir. D’autant que pour leurs achats et leurs crédits, les compagnies privatisées doivent se fournir sur les marchés financiers ou auprès d’investisseurs institutionnels, qui ne sont prêts à placer leur argent directement en capital dans le secteur que si l’espérance de retour est, au moins, plus intéressante que les taux des prêts ou des obligations.
Même si le transport aérien draine des revenus très importants (745 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2014), il était jusque là peu profitable d’un point de vue capitaliste. Mais il rattrape son retard : 16,4 milliards d’euros de profits pour les compagnies aériennes en 2014 (dont quand même 3,1 milliards pour les grandes compagnies européennes et 8,6 pour les nord-américaines) et 29,3 milliards prévus pour 2015.
Cependant, le trafic aérien a rapporté en 2014 plus de profits aux compagnies pétrolières. De même, Aéroports de Paris a réalisé un chiffre d’affaire de 2,75 milliards d’euros en 2013 avec un excédent brut d’exploitation de 1,07 milliard. Alors qu’Air France/KLM réalise un chiffre d’affaires de 25,5 milliards, soit dix fois plus, son excédent brut est de 1,85 milliard d’euros… On n’est pas du tout dans les mêmes taux de profit !
Le but des grandes compagnies est donc de développer leur croissance à l’échelle du développement du marché tout en étant capables de « rémunérer » les actionnaires et les investisseurs.
Le problème majeur des grandes compagnies aériennes classiques n’est donc pas tant la question des low cost ou de la concurrence des compagnies du Golfe. Pour les dix prochaines années, le paysage du transport aérien mondial va rester marqué par les trois grandes alliances constituées autour des « majors » européennes et d’Amérique du Nord, qui drainent 70 % du trafic aérien mondial :
• Star Alliance ( Lufthansa, SAS, Swiss, TAP, Turkish Airlines, Aegean, Austrian, Blue One, LOT, ANA, Thai, United Airlines…) ;
• Sky Team (AF, KLM, Alitalia, Aeroflot, CSA, TAROM, Delta, China Southern, China Eastern, China Airlines, Korean, Vietnam Airline, Aeromexico, MEA, Saudia, Kenya Airways) ;
• Oneworld (BA, Iberia, Air Berlin, Finnair, AA, JAL, Cathay Pacific, Qantas, LAN, Royal Jordanian).
La véritable guerre sera la guerre sociale pour faire baisser la masse salariale globale et s’exonérer au maximum de la fiscalité.
Un secteur de plus en plus concentré
L’orientation des grandes compagnies pour dégager des marges financières est assez simple.
D’abord, la stratégie de concentration et de subordination. Il s’agit pour les « majors » de renforcer leurs positions et de mieux contrôler le marché. Aux Etats-Unis comme en Europe, la dernière décennie a été marquée par la concentration des principales compagnies (American Airlines + US Airways, United + Continental, Delta + Northwest, Iberia + British Airways, Air France + KLM, Lufthansa + Swiss + Austrian). Les compagnies les plus fragiles et les moins rentables sont absorbées ou mises sous contrôle par les plus grosses, en suivant grosso modo la hiérarchie de puissance économique et politique des Etats.
Cela a radicalement changé l’ensemble du marché du transport aérien depuis quinze ans. Et cela continue (pour Air France, rachat de la compagnie de Côte d’Ivoire, mise sous tutelle d’Alitalia …). Cette stratégie est évidemment liée au développement des « hubs » (plates-formes de correspondance), à une politique agressive de pré-acheminement et d’assèchement des marchés périphériques. C’est cette stratégie qui permet, avec le « yield management » (gestion du rendement), des coefficients de remplissage à plus de 80 %... en moyenne !
Ensuite, la stratégie de partenariat. Les compagnies recherchent des partenariats pour profiter des complémentarités et réaliser des économies. Par exemple, la « joint venture » entre Air France/KLM, Delta et Alitalia sur l’Atlantique Nord. Récemment, AF-KLM a signé un accord de partenariat avec Etihad, la compagnie des Emirats arabes unis. Autre exemple, l’ensemble des accords existants pour l’achat d’équipements (comme l’accord AF/Lufthansa sur les pièces de l’Airbus A380).
Des recettes identiques contre les salariés
Enfin, bien sûr, les compagnies appliquent une stratégie de baisse des rémunérations et des emplois, qui mobilise diverses méthodes :
• La segmentation de l’activité et la sous-traitance. Les compagnies se concentrent mais en même temps externalisent au maximum les activités (assistance piste/embarquement des passagers, commercial, paye, informatique) et sous-traitent dans le secteur industriel la maintenance des avions.
• L’utilisation des nouvelles technologies pour supprimer le maximum d’emplois. C’est le rôle des « e-services » commerciaux (ensemble des services électroniques par internet pour l’achat des billets et l’enregistrement des passagers et bagages) ou de ressources humaines pour diminuer les services de gestion des personnels. Autant d’emplois en moins…
• La révision des accords collectifs et la filialisation. Les plans « Transform » pour AF/KLM, « Score » pour Lufthansa, un plan de même type chez Iberia, visent tous à faire baisser les rémunérations. Cela peut accompagner d’ailleurs les restructurations d’activité (développement de filiales low cost dans les grandes compagnies : Germanwings/ Eurowings chez Lufthansa, Vueling chez British Airways/Iberia, Transavia chez Air France KLM, avec transfert des lignes régionales).
• La renégociation permanente des appels d’offres pour l’assistance au sol. Les appels d’offres pour les sociétés d’assistance sur les aéroports (une activité presque entièrement sous-traitée par les compagnies aériennes), officiellement lancés tous les trois ans, sont parfois renégociés à la baisse tous les ans… au détriment de la masse salariale des entreprises sous-traitantes.
La colère des salariés
Evidemment, les arguments avancés pour toutes ces régressions sociales sont la crise, le péril des low cost et des compagnies du Golfe qui « nous font perdre des clients »… Aucun ne tient la route. Leur seul but réel et évident est de transférer les richesses créées vers les actionnaires en rognant au maximum la masse salariale. Chez AF-KLM, l’excédent brut d’exploitation (EBITDAR) monte alors que la masse salariale stagne et même descend. L’objectif d’Air France est de baisser la masse salariale de 1 milliard d’euros pour arriver à ce que sa part dans le chiffre d’affaires soit la même que chez Lufthansa et British Airways. Le gain sera évidemment largement accentué par la baisse du prix des carburants.
Ainsi Air France prétend qu’elle doit réduire son activité, mais ce que les personnels voient en pratique, c’est d’une part que l’offre commerciale d’Air France ne cesse de croître, et d’autre part que cette croissance commerciale se fait non pas avec des avions et des personnels Air France, mais en sous-traitant le maximum d’activités (vols, entretien, maintenance, réseau vente) au sein ou à l’extérieur du Groupe Air France. C’est l’un des principaux motifs de colère des salariés de la compagnie. D’autant que les salariés voient également sur les plates-formes que l’emploi se développe dans les sociétés d’assistance et régresse dans les compagnies aériennes.
Le secteur aérien est aujourd’hui le terrain d’une lutte de classe pour récupérer les richesses produites. A Air France, la colère des salariés monte contre les offensives répétées de la direction, soutenue de façon indéfectible dans sa course au profit par le gouvernement.
Low cost, compagnies traditionnelles : rivalité ou convergence ?
Dans une logique capitaliste, on peut s’attendre à d’étonnantes convergences dans les années qui viennent entre les compagnies traditionnelles, les low cost, et celles du Golfe. Les compagnies traditionnelles copient de plus en plus le modèle low cost dans plusieurs domaines :
• Les règles d’utilisation des personnels navigants sur court et moyen-courrier, en intensifiant l’utilisation des machines, en allongeant les temps de service, en mettant sur pied une flexibilité annuelle.
• Les ressources annexes : toutes les compagnies développent au maximum les « revenus ancillaires », c’est-à-dire les achats complémentaires à celui du billet d’avion (bagages, choix du siège et/ou des films, repas, édition/modification du billet, utilisation du téléphone en vol). Ces revenus peuvent maintenant atteindre plus de 10 % du chiffre d’affaires des compagnies. Chez easyJet, c’est 19 % du « revenu passager ». En 2014, Aéroport de Paris a d’ailleurs réalisé 32 % de son chiffre d’affaires avec les ressources venant des commerces et services en aéroport, 10 % par les revenus immobiliers… et seulement 58 % par les revenus des redevances aéroportuaires.
Des intérêts convergents apparaissent aussi entre les compagnies classiques et les low cost (au-delà de la lutte concurrentielle par la création de leurs propres low cost). Ainsi, Air France multiplie les accords commerciaux avec des low cost : Westjet au Canada, GOL au Brésil, Jetstar en Australie, Flybe en Grande Bretagne. Il s’agit de rabattre de la clientèle sur des vols intercontinentaux à faible coût. Cela vient aussi du fait que les low cost « pures et dures », et isolées, ne vont pas perdurer. Elles ont besoin de l’accès à un GDS (un « système global de distribution », une plate-forme de gestion des réservations) pouvant apparaître pour des vols avec correspondance, et surtout à un programme de fidélisation clientèle, comme il en existe dans les « alliances ».
De même, les fameuses compagnies du Golfe savent bien qu’elles ne pourront pas faire longtemps cavalier seul dans un système mondialisé. A côté du « seul contre tous » apparaît donc une autre stratégie. Etihad est en train de nouer une alliance commerciale et financière avec AF-KLM. Qatar Airways noue des alliances avec British Airways et son alliance One World. Emirates ne suit pas pour l’instant le même chemin, mais a aussi noué des accords avec easyJet, Qantas, Virgin America sur leur programme de fidélisation.
La question pour les syndicats des salariés des compagnies aériennes n’est donc pas de faire front commun avec leur direction (contre les low cost, contre Aéroports de Paris, contre les compagnies du Golfe…) ou avec leur Etat national, mais bien de lutter contre toutes les attaques sociales visant les emplois, les salaires, les accords et les conventions. Car dans toute la chaîne du transport aérien, la même logique est à l’œuvre.
Cela va de pair avec l’exigence de conventions communes de plus haut niveau en Europe pour les travailleurs de l’aérien, contre le dumping social et contre les réglementations antisyndicales existant notamment mais pas exclusivement chez les low cost, et pour le respect des règles sociales en vigueur dans notre pays pour tous les salariés travaillant ici, quelle que soit leur entreprise ou leur nationalité.
De même, au lieu d’opposer protection de l’environnement, lutte contre les changements climatiques et protection des emplois, les salariés et les syndicats de l’aérien doivent agir contre un développement concurrentiel du secteur qui favorise les nuisances sonores et une lourde pollution, pour une utilisation du transport aérien limité aux longues distances avec des réseaux publics multimodaux. Cela ne pourra pas se faire sans l’appropriation publique du secteur.
Léon Crémieux