Les syndicalistes et militants du Caire ont exprimé leur solidarité avec les salariés de chantiers navals d’Alexandrie emprisonnés, lors d’un meeting organisé le 15 août 2016 par la campagne de soutien.
Ils sont réprimés et traînés devant les tribunaux militaires pour avoir défendu leurs droits en tant que salariés. Mais un mouvement croissant de solidarité met la pression sur les généraux.
Depuis l’Egypte, Hisham Fouad fait le point sur cette affaire.
Les chantiers navals d’Alexandrie sont situés dans le gouvernorat d’Alexandrie, la seconde ville du pays, et un des centres de la révolution de janvier 2011. Ce gouvernorat a également une longue relation avec les luttes de salariés depuis le début du siècle précédent jusqu’à aujourd’hui.
Cette entreprise a été fondée en 1960 pour répondre aux besoins de la marine égyptienne.
En 2003, dans le contexte d’une vague de privatisation dans l’ensemble de l’Egypte, cette entreprise de statut public est devenue propriété du ministère de la Défense. L’Armée a alors tenté de supprimer la section syndicale du chantier naval, en dépit du fait que celle-ci faisait partie de la centrale syndicale ETUF qui n’est pas réellement une organisation syndicale mais un prolongement de l’appareil d’Etat.
En 2015, le général Sissi, l’actuel président de la République, a annoncé une restructuration pour développer le chantier naval.
Son discours lors des célébrations officielles, exigeait une réduction des coûts, ce qui a stimulé les travailleurs pour organiser la résistance contre cette réduction de leur rémunération.
En mai 2016, face à l’aggravation de leurs conditions de vie, les représentants du personnel et les responsables syndicaux locaux tentèrent de négocier avec la direction, après que leurs indemnités de mois de ramadan aient été supprimées. Le militaire qui dirige le chantier naval a refusé de les rencontrer, leur donnant sèchement l’ordre de quitter son bureau immédiatement.
Les travailleurs en colère commencèrent à se rassembler le 23 mai pour protester, revendiquant notamment une augmentation de leur salaire mensuel, le paiement des arriérés de participation aux bénéfices qui avait été stoppé pendant les quatre dernières années, une amélioration des services de santé et de sécurité au travail. Ils demandèrent également un redémarrage de la production dans les secteurs qui avaient été mis en sommeil.
La réponse immédiate du directeur avait été de renvoyer chez eux 2 400 salariés avec le tiers de leur paye normale. Il signala 26 salariés aux procureurs militaires qui envoyèrent leur cas au tribunal militaire pour « incitation à la grève » et « refus de travailler ».
Une clause controversée de la Constitution de 2014 permet bien la traduction devant la justice militaire de salariés travaillant pour les industries possédées par le ministère de l’Armement, mais dans le cas présent, c’est le ministère de la Défense qui est propriétaire des chantiers navals d’Alexandrie.
De plus, un tel procès contrevient à la Constitution égyptienne en ce qui concerne le droit de grève, qui est garanti par les Conventions internationales signées par l’Egypte.
Une abondante jurisprudence a conforté le droit de grève depuis la grève nationale des cheminots de 1986. De toute façon, les travailleurs égyptiens n’ont pas attendu les décisions de justice, et des millions d’entre eux se sont mis en grève ces dernières années.
Treize hommes et une femme ont comparu devant le tribunal, et douze autres personnes se cachent.
Les quatorze inculpés sont détenus depuis mai par la police en attendant leur jugement. Celui-ci a été reporté deux fois sans motif.
Etant donné qu’il n’est pas possible de faire appel des jugements prononcés par les tribunaux militaires, le seul moyen de faire capoter les sentences sera d’obtenir une grâce présidentielle. Les juges peuvent infliger aux accusés jusqu’à trois ans de prison.
Sous la pression de la campagne de solidarité en Egypte et dans le monde, les chantiers navals ont autorisé en août 600 travailleurs à retourner au travail.
Immédiatement, un accident mortel dans l’un des ateliers a montré combien les négligences du management en ce qui concerne les procédures d’hygiène et sécurité mettent en danger la vie des salariés : Mohammed Gad, âgé de 27 ans a en effet perdu la vie par électrocution.
Lui et ses collègues ont pendant des années demandé l’attribution de bottes de sécurité ainsi que le respect de la santé et de la sécurité au travail, et maintenant deux fillettes ont perdu leur père.
Les poursuites intentées contre les 26 salariés doivent être comprises dans le contexte d’une attaque généralisée contre les travailleurs par le régime militaire. Celle-ci fait partie de son plan contre-révolutionnaire ayant pour but de remettre en cause les acquis de la révolution de 2011 au moyen d’attaques contre les groupes d’opposants politiques ainsi que les mouvements de la jeunesse dont ceux des étudiants.
Terroriser les travailleurs a également pour but de parvenir à imposer les politiques d’austérité.
Un autre aspect dangereux de cette affaire est le rôle croissant des forces armées dans l’industrie civile.
Chaque jour, leur champ d’activité s’accroît dans tous les secteurs de l’industrie et des services, et cela dénote que la militarisation des relations sociales et le développement du travail forcé par le biais du recours aux tribunaux militaires qui n’offrent pas les moindres garanties en terme de respects des droits.
Comme d’habitude, la centrale officielle ETUF ne s’est pas opposé à tout cela, car elle est le bras du régime au sein du monde du travail.
La persécution subie par les salariés des chantiers navals a suscité une vague de sympathie parmi les travailleurs d’Egypte.
Un comité de soutien mis en place par des révolutionnaires et des militants des droits de l’Homme a reçu le soutien de syndicats indépendants ainsi que de leaders de la jeunesse et du syndicalisme. Le comité a également organisé de nombreux meetings au Caire et à Alexandrie, agi dans les réseaux sociaux et rendu visite aux familles des salariés poursuivis. Des personnalités connues au niveau politique ou de la défense des droits de l’Homme ont lancé une série de vidéos sur les réseaux sociaux condamnant les procès militaires.
Des actions de solidarité ont également eu lieu à l’extérieur de l’Egypte avec des centaines de syndicalistes et de militants politiques de nombreux pays ayant signé une pétition demandant la libération des salariés poursuivis.
La vigueur de la répression policière et l’absence d’organisations ouvrières de masse ont néanmoins empêché l’organisation de manifestations de masse.
La solidarité avec les salariés poursuivis et la pression pour leur libération ne servent pas uniquement les intérêts du mouvement ouvrier. Elles vont également aider la lutte pour le retour à la démocratie ainsi que la bataille contre l’austérité.
L’unité et la solidarité sont les seules armes dont nous disposons pour nous opposer à la tyrannie et à l’exploitation.