Les consciences sont-elles en train de bouger sur l’immigration ? Un récent sondage semble témoigner d’évolutions... qui restent à confirmer sur le long terme. Une enquête LH2 réalisée pour le quotidien 20 minutes et RMC, les 6 et 7 octobre, indique que 73 % des personnes interrogées estiment qu’il faut régulariser les sans-papiers qui ont un contrat de travail ou des enfants scolarisés. Avec toute la prudence nécessaire, on ne peut que mesurer le chemin parcouru ! Début septembre, Sarkozy brandissait un autre sondage, approuvant sa politique anti-immigrés à 52 %. Comment ne pas mettre en relation cette évolution récente avec les luttes des dernières semaines : Cachan, la mobilisation de rentrée du Réseau éducation sans frontières (RESF) et la grève victorieuse des travailleurs de Modeluxe ?
C’est tout de même une première historique qu’une grève ouvrière, comme celle de la blanchisserie industrielle Modeluxe de Chilly-Mazarin (Essonne), arrache à un préfet la régularisation de dix-huit ouvriers sans papiers, surexploités par une direction qui profitait de leur vulnérabilité administrative depuis des années. En elle-même, indépendamment de son premier résultat, l’existence de cette grève témoigne d’une évolution des consciences. Il reste, bien sûr, à obtenir l’annulation des procédures de licenciements, mais qu’une grève ouvrière ait fait plier un préfet de Sarkozy au bénéfice de sans-papiers, c’est déjà considérable.
De son côté, la mobilisation des lycéens des Hauts-de-Seine semble en passe d’aboutir. Suzilène, lycéenne capverdienne de Colombes que Sarkozy avait fait expulser par avion spécial à partir de l’aéroport militaire du Bourget, est peut-être sur le point de revenir en France avec un titre de séjour. Lors d’un rassemblement de 500 lycéens, enseignants, parents d’élève, militants du RESF, devant le conseil général des Hauts-de-Seine qui se réunissait sous la présidence de Sarkozy, le 20 octobre, une délégation a été reçue par le ministre de la chasse à l’enfant en personne. Ce dernier a dû accepter la révision du dossier par la place Beauvau. Même si la vigilance reste de mise, ce recul du gouvernement n’aurait pas été envisageable sans la mobilisation de la jeunesse.
Pour autant, la volonté des préfectures d’atteindre les 25 000 expulsions est plus forte que jamais. Depuis la circulaire Sarkozy-Clément du 21 février 2006, on sait que les sans-papiers peuvent être interpellés dans les hôpitaux, jusque dans les blocs opératoires (sic !). Ces derniers jours ont montré que ce ne sont pas des paroles en l’air. Ainsi, le 20 octobre, à la sortie du CHU de Nantes, où elle avait été examinée aux urgences, Nicole a été cueillie vers minuit par la police de l’air et des frontières, puis expulsée vers les Pays-Bas avec son petit garçon scolarisé, au nom de la convention de Dublin. À Marseille, le 1er novembre, c’est un sans-papier algérien, atteint de tuberculose et pris en charge par les urgences de l’hôpital Nord, que la police a conduit au centre de rétention du Canet.
Au-delà des nécessaires ripostes locales, une mobilisation nationale s’impose. Le RESF et son petit frère, le Réseau universités sans frontières (RUSF), organisent, le 22 novembre, une journée nationale de rassemblements devant les préfectures. C’est un rendez-vous pour les écoles, les lycées et les universités où le visage hideux de la politique de Sarkozy menace familles, élèves et étudiants. C’est autour d’eux, à leur contact, que les consciences se forgent et poussent à lutter. À partir de ces cas concrets, il est temps de soulever la question de fond, au centre de l’Appel pour une régularisation globale et immédiate de tous les sans-papiers en France. La liste s’allonge des organisations signataires, parmi lesquelles la LCR. Nous y reviendrons.
Victoire pour les Modeluxe
Correspondant
Rouge N° 2179, 03/11/2006
Lundi 30 octobre, le préfet de l’Essonne a annoncé qu’il s’engageait à régulariser les dix-huit ouvriers sans papiers de Modeluxe, blanchisserie industrielle de Chilly-Mazarin. Cette victoire revient pleinement aux 160 travailleurs de l’entreprise, à leur lutte, à leur solidarité, à leur ténacité à affirmer leurs droits et leur dignité face au mépris de la direction de l’entreprise et de la préfecture.
Jusqu’à présent, le préfet n’acceptait que la régularisation de quatre des 22 ouvriers sans papiers. Le préfet ne voulait pas accepter que « le fait d’avoir travaillé puisse ouvrir le droit à un titre de séjour » aux 22 salariés sans papiers concernés. D’après lui, les ouvriers sans papiers avaient abusé de la confiance de Modeluxe ! Argument cynique, quand on sait que c’est bien la direction de la blanchisserie qui pratique depuis des années l’embauche de sans-papiers qu’elle exploite sans vergogne, avec des salaires de misère, au-dessous de 1 000 euros, dans des conditions de travail et avec des cadences inacceptables. Depuis 2004, la préfecture a laissé faire, sans leur accorder de titre de séjour. Alors que Modeluxe voulait les licencier, elle refusait de les régulariser et les menaçait d’expulsion.
La lutte des travailleurs de Modeluxe et la solidarité ont eu raison de l’obstination du préfet, soucieux d’appliquer les directives de Sarkozy. Cette victoire en appelle une autre : que le groupe Sunlight, propriétaire de Modeluxe, annule la procédure de licenciement qu’il a engagée contre les dix-huit travailleurs sans papiers.