Les vidéos de la déclaration aussi enflammée qu’amusante d’Abou Sin à la jeune Christina Crockett ont fait le tour de la Toile.
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Quand l’Arabie Saoudite fait parler d’elle à l’étranger, c’est le plus souvent pour des sujets graves : bombardements au Yémen, tensions avec le voisin iranien, effondrement des prix du pétrole… Sur place, pourtant, l’attention s’est focalisée ces deux derniers mois sur un sujet autrement plus léger : le flirt par YouTube interposé d’un adolescent de Riyad, surnommé Abou Sin et aussi extraverti que nul en anglais, avec une midinette californienne de 21 ans, Christina Crockett.
Les deux se sont rencontrés au mois de juillet sur YouNow, une plate-forme de livestreaming dont l’Américaine, en débardeur et aux longs cheveux blonds, était une vedette naissante. Dès les premières vidéos, le jeune Saoudien, qui dit avoir 19 ans mais en paraît cinq ou six de moins, déclare sa flamme à son interlocutrice à grand renfort de mimiques et de « I love you » naïfs. Habituée à ne pas décevoir ses fans, Christina répond « I love you too » et quelques séances de chat plus tard, Abou Sin, clope au bec et casquette de travers, la demande en mariage. « Mais tu n’as que 13 ans ! », s’exclame la jeune femme interloquée.
Repris sur YouTube, ces échanges ont très vite enregistré des centaines de milliers de vues dans le monde arabe. Les pitreries du jeune Saoudien, tantôt fleur bleue et tantôt égrillard, son large sourire édenté, sa tignasse en pétard et les stratagèmes qu’il déploie pour se faire comprendre de sa dulcinée, ont fait s’esclaffer les internautes. Mais le pouvoir saoudien, inquiet de prêter le flanc aux critiques des religieux, a mis un terme à la rigolade : le dragueur en herbe, accusé de « comportement indécent », a été arrêté fin septembre.
La mesure a aussitôt réveillé, dans la presse et les réseaux sociaux, le sempiternel débat entre libéraux et conservateurs. Les premiers, partisans d’une modernisation – au moins sociale – du royaume, ont dénoncé un acte de censure, en mettant la balourdise d’Abou Sin sur le compte de son âge. L’écrivain Abdallah Bin Bakhit s’est emporté : « La mentalité qui l’a condamné est la même qui a décidé que tous les Saoudiens devaient être identiques, comme un service à café ou une pile d’assiettes. Qu’ils devaient porter les mêmes habits, suivre les mêmes traditions, aimer et détester les mêmes choses et rire (s’ils y sont autorisés) de la même façon. »
Le camp conservateur a applaudi le gouvernement, au motif que ce genre de spectacle corrompt la jeunesse. « La tendance à abuser des réseaux sociaux, au moyen d’actions vaines et immorales, ne cesse de s’accroître », s’est alarmé le journaliste Majed Al-Turki.
Dix jours après son incarcération, l’infortuné Abou Sin a été libéré. Le youtubeur contrarié reste passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 3 millions de riyals (726 000 euros). De quoi lui faire passer l’envie de conter fleurette aux étrangères sur Internet.
Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Correspondant au Proche-Orient