La Conférence nationale du PCF, ce samedi, a renvoyé le secrétaire national du parti dans les cordes. Il s’était in extremis prononcé pour un soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. 53% des 535 délégués des fédérations ont choisi l’option d’une candidature communiste (5% se sont abstenus). Il reste à savoir si les militants vont confirmer ou non ce choix à la fin du mois. Quel que soit le résultat final, il laissera un parti divisé.
Le fruit des atermoiements de sommet
C’est la première fois que la direction du parti est contredite par les cadres intermédiaires sur un sujet aussi important. Le résultat n’est pourtant pas une surprise absolue. Pendant des mois, la direction communiste a tergiversé, laissant entendre d’abord qu’elle acceptait l’idée d’une primaire de toute la gauche, pour affirmer ensuite que ce serait à condition que François Hollande n’en soit pas. Quand des noms se sont mis à circuler, en dehors de l’option Mélenchon, on a laissé entendre, du côté de Fabien, que l’on était intéressé : Taubira, Hulot, Montebourg… tout s’étudiait.
Vendredi encore, Pierre Laurent, tout en se prononçant en faveur du soutien à Mélenchon, a continué à expliquer qu’une victoire de Montebourg serait un signal fort. Il suggère qu’alors tout pourrait être rediscuté. Le problème est que l’annonce par le numéro un de sa préférence a été précédée par une longue période où l’accent a été mis sur les désaccords avec le leader de la France insoumise, davantage que sur les possibles convergences. Le discours officiel du PC se voulait équilibré ; en définitive, il est surtout perçu comme confus et illisible. Jusqu’au bout…
Au dernier Congrès de juin 2016, déjà les divisions s’étaient exprimées. Un quart des militants avaient affirmé une option « identitaire », un autre quart avaient soutenu une option favorable à un rassemblement de type Front de gauche. Ces deux groupes demeurent. Mais la majorité s’est ventilée cette fois sur les deux options proposées pour 2017. Et au final, la dynamique a été plutôt du côté de l’option 2, celle favorable à un candidat du PCF. Cette option est sortie nettement majoritaire (55% des votes exprimés à la conférence nationale). Elle n’est pourtant ni homogène, ni même stable. Le 27 octobre dernier, L’Humanité publiait une tribune collective, intitulée « Pour un choix clair » en faveur d’un candidat communiste [1]. Elle était signée par plusieurs dizaines de responsables communistes, nationaux et locaux. Leur liste révélait la jonction de deux sensibilités longtemps restées apparemment antagoniques, et pourtant depuis longtemps rapprochées par la conviction qu’il n’est pas de force solide et fiable à la gauche du PS autre que le PCF lui-même [2].
Or, par-delà les passerelles entre les deux sensibilités, le choix d’une candidature estampillée PCF ne procède pas nécessairement d’une même logique pour les uns et pour les autres. Pour le premier groupe, elle est le prolongement électoral d’une conviction identitaire : le PCF ne peut exister sans être présent en tant que tel à toutes les élections, et d’abord à la plus structurante de toutes. Pour les anciens « huistes », défenseurs d’une « gauche plurielle » et d’alliances avec les socialistes, le choix est plus complexe : dans l’immédiat, l’affirmation d’une candidature autonome peut être un moyen d’exister dans l’espace politique, d’attendre l’éventuelle victoire de Montebourg à la primaire socialiste et de se diriger in fine vers une candidature de « large » rassemblement, et donc avec le PS. Auquel cas, l’alliance d’octobre peut éclater dès le mois de janvier…
Le maintien de l’incertitude
Le choix de ce samedi peut donc être doublement relativisé : il peut être contredit par le corps militant (les 50.000 cotisants réguliers) et il peut être remis en question dans deux mois, selon l’évolution de la conjoncture politique à gauche. De ce point de vue, les partisans de l’option numéro 1 (soutien à JLM) sont sans doute un peu plus cohérents. L’engagement du secrétaire national a été trop tardif et trop alambiqué pour peser vraiment dans le débat interne. Le choix en faveur de cette option a donc été défendu, quasi exclusivement, soit par les militants qui ont choisi de s’adosser à France insoumise (tribune du 7 avril 2016 dans L’Humanité, « Une voie pour l’alternative » [3]), soit qui appelaient à soutenir Mélenchon sans s’intégrer en l’état dans son dispositif de campagne (l’appel « Faisons front commun » [4]). Il est à noter que cette option a été soutenu par plusieurs élus de poids (Marie-George Buffet, Jacqueline Fraysse, Sébastien Jumel, Patrice Leclerc, Stéphane Peu…), inquiets d’une nouvelle marginalisation électorale.
La direction communiste avait fini par se résoudre à ne pas soumettre au vote « l’option » d’un rassemblement au-delà du Front de gauche (avec les frondeurs). Or cette option n’a pas disparu : elle a été simplement reportée à janvier 2017. Elle conserve la faveur du noyau dirigeant ; elle peut être rejointe plus tard par ceux qui, farouchement hostiles à Jean-Luc Mélenchon, ont considéré que la perspective d’une candidature communiste était la meilleure façon d’enrayer l’élan de l’ancien porte-voix du Front de gauche.
Rien n’exclut donc que se dessinent d’autres lignes de partage, quand les socialistes se seront prononcés. Officiellement, l’attrait pour cette formule est justifié par deux idées concomitantes : une victoire de Montebourg relancerait la donne à gauche ; elle rendrait possible un rassemblement de toute la gauche qui, seul, peut permettre à cette gauche d’être présente au second tour.
Or ce raisonnement est d’une extrême fragilité. Dans les sondages, la gauche tourne autour de 30%, en additionnant toutes les candidatures. Sur cette base, elle peut théoriquement postuler à une seconde place. Mais la politique n’est pas une mathématique. Un seul candidat ne peut pas espérer regrouper tous les suffrages quand les projets se distinguent sur le fond. Une candidature unique, surtout issue du socialisme actuel ne peut fédérer aujourd’hui la totalité des électeurs de gauche, ceux qui comptent voter et ceux qui ne votent plus.
Les mirages de l’union de la gauche
Le débat de 2002 refait surface. Ce n’est pas l’éparpillement des voix à gauche qui a alors provoqué le cataclysme, mais la politique suivie par le gouvernement Jospin. Aujourd’hui comme hier, droite et gauche l’emportent, non pas quand elles sont totalement rassemblées au départ, mais quand elles mobilisent des électorats, non pas sur leurs marges, mais en leur cœur. Dès lors, ou bien on pense qu’il n’y a pas d’autre politique possible que celle qui est suivie par tous les États depuis plus de trente ans, et il faut se résoudre, face aux « extrêmes », à choisir entre centre droite et centre gauche.
Dans ce cas, si la candidature « naturelle » de Hollande ou de Valls n’est pas possible, celle d’Emmanuel Macron est la plus « réaliste »… et encore : les sondages ne le mettent jamais en position de second tour. Ou bien on considère que seule une perspective de rupture avec trente années d’errements à gauche est à même de créer une dynamique. Mais comment incarner cette rupture par des candidats qui s’identifient avec un soutien aux errements précités ?
Au fond, d’où vient la poussée d’une droite radicalisée par un FN expansif ? De la désunion de la gauche ? En fait, ce qui est en cause, c’est le mal-vivre, l’angoisse d’un monde inégal et instable, la carence d’espérance sociale. Cela se voit depuis longtemps : il ne manque pas de pensées critiques, de forces de contestation, de désir de reconstruction. Mais tout cela ne s’appuie pas sur la conviction qu’il est possible d’envisager une société meilleure que celle dans laquelle nous vivons. Ainsi, si l’on peut encore gagner à court terme, et plus encore si l’on veut reconstruire à long terme, il n’y a pas d’autre ferment de dynamisation populaire que de porter un projet d’alternative franche au désordre dominant.
Laisser supposer que le choix de l’automne puisse être remis en question en janvier est donc gros d’une énorme ambiguïté. S’il désigne une possible orientation stratégique – un retour à « l’union de la gauche » ou à « la gauche plurielle » –, il conduit à l’impasse et au rabaissement du communisme français à un statut de supplétif du PS, social-libéralisé ou non. S’il n’est qu’un moyen de faire pression sur le PS pour obtenir des compensations législatives, il produira de sérieuses désillusions. Dans le PS laminé au premier tour, les places législatives seront chères. Et dans bien des cas, ce sont des « frondeurs » qui sont en concurrence avec les communistes. Il n’y aura pas de cadeaux à attendre.
Un parti fragilisé
Encore une fois, il faut bien constater que dans une situation confuse, la logique de l’identité a primé sur celle de l’ouverture. Tout se passe comme si, pour une part importante de l’encadrement communiste, cette ouverture n’est jugée que par ses bénéfices immédiats pour l’organisation. Dès 2012, sitôt passée l’élection présidentielle, le PCF considéra que son ancrage local militant justifiait que les élections suivantes (législatives, européennes, municipales, régionales et départementales) consacrent l’hégémonie écrasante de la représentation communiste. Or cette méthode s’est avérée faiblement payante : installant la dominante communiste, ces élections se situèrent dans la lignée des résultats communistes antérieurs et n’interrompirent pas l’érosion du communisme dans ses zones de force.
Mais le sommet du parti semble peu disposé à prendre en compte l’état réel de l’organisation. Il y a quelques mois, sur ce site, nous en dressions un tableau, nuancé mais inquiétant [5]. On sait que le PCF reste une force qui compte dans l’espace militant de la gauche. Il compte entre 70.000 et 100.000 adhérents, enregistre officiellement 50.000 cotisants réguliers et voit une trentaine de milliers de ses membres participer aux consultations internes. Si ces chiffres en font la force organisée la plus dense de la gauche de gauche, ils témoignent d’un affaissement continu.
Il n’est pas facile de trancher, tant les informations disponibles sont incertaines, mais on peut considérer que, en une décennie, le PCF a perdu entre un quart et un tiers de ses forces militantes et de ses élus. Or cette érosion le fragilise d’abord dans ses zones d’implantation les plus denses. Il est notable que, en 2012, alors que le score global du Front de gauche était supérieur de deux points au score législatif communiste de 2007, la représentation parlementaire communiste s’est, elle, affaiblie. Le Front de gauche a tiré la gauche de gauche de sa marginalité locale ; il n’a pas arrêté l’effritement de ce qui fut longtemps la « France communiste ».
La direction communiste en a conscience et considère que seul un gentleman agreement avec les socialistes peut sauver les sièges acquis et éventuellement en gagner quelques autres, dans des zones où la gauche est très majoritaire et le PS très affaibli. Mais si le geste en direction de l’électorat socialiste peut apporter quelques soutiens, comment mesurer les effets de la désunion du Front de gauche ? Une union de la plus grande gauche compensera-t-elle l’explosion de la gauche de gauche ? La perspective d’une multiplication de candidatures de France insoumise, jusque dans les zones où des communistes sont sortants, peut se payer très cher. Mais comment éviter des candidatures France insoumise, si le PCF et Mélenchon sont en rivalité à la présidentielle ? Et qui peut dire alors quels seront les effets à l’arrivée ?
Sauver le parti, ou l’idée communiste ?
À une poignée d’années du centenaire du Congrès de Tours, les communistes français sont donc devant des choix qui les engagent à long terme. S’ils s’engageaient à soutenir un candidat issu de la primaire socialiste, ils se voueraient durablement à n’être plus que des supplétifs du socialisme. Si, par désir d’identité partisane, ils se décidaient à affronter une fois de plus le scrutin présidentiel sous leurs couleurs, ils confirmeraient qu’ils sont au mieux des aiguillons pour des majorités où le socialisme est durablement hégémonique.
Reste le choix du combat « antilibéral », qui fut ensuite celui du Front de gauche. Nul, aujourd’hui, n’est en état de conforter et d’élargir à la présidentielle cet engagement de longue durée, si ce n’est Jean-Luc Mélenchon. Qu’il faille, à partir de ce constat, tout faire pour panser les plaies récentes de part et d’autre, qu’il faille trouver les modalités concrètes d’une mise en commun, voilà qui serait souhaitable. L’effet d’une désunion officialisée, l’éclatement définitif du Front de gauche risqueraient fort de pénaliser toute tentative de contestation de l’hégémonie sociale-libérale, quand bien même elle serait aujourd’hui expansive, comme l’est la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Tout ce qui rapproche ce qui est encore désuni est donc bon à prendre.
Mais cela passe par deux affirmations sans nuances : il ne sert à rien, à si peu de distance du scrutin décisif, de croire que peut sortir du chapeau une candidature miracle, renvoyant l’existant – et donc JLM – dans les limbes ; il ne peut y avoir de rassemblement dynamique en faveur d’un retour à 2012 ou même 1997. En tardant à s’engager dans la voie d’une franche alternative, on laisse la voie libre aux forces conjuguées du système qui nous étouffe.
Beaucoup de responsables communistes ont évoqué la crainte que la France insoumise ne vienne remettre en question l’existence du PCF. Mais l’histoire du PCF montre que la peur est rarement bonne conseillère. Quand, au milieu des années 1970, les dirigeants communistes ont pris conscience que la stratégie politique de François Mitterrand les minorait, ils ont choisi le bras de fer avec lui. Force est de constater qu’ils n’ont fait ainsi qu’accélérer leur déclin. L’obsession identitaire est tout aussi mortifère dans l’espace politique que dans la société française tout entière. À force de vouloir préserver une forme politique, on risque que l’idée qui a légitimé son existence en pâtisse. La force du communisme en France ne tint pas à la seule existence d’un Parti communiste, mais à son enracinement dans une histoire qui débordait largement les limites du Parti communiste en tant que tel. À l’ignorer, ou à le sous-estimer, les militants communistes risquent d’en payer durement le prix. Mais seront-ils alors les seuls à le payer ?
Roger Martelli
* Regards, 6 novembre 2016 :
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/communistes-francais-face-a-leur-destin
2017 : une révolution pour le « vote utile » à gauche
Candidat « naturel » mais virtuel, mis en concurrence dans son propre camp, en disgrâce dans l’opinion, François Hollande n’a pas dit son dernier mot. Mais, petite révolution, c’est Jean-Luc Mélenchon qui est en position d’incarner le « vote utile » à gauche.
La sortie du livre de confidences attribuées à François Hollande a mis le feu au lac. Jean-Christophe Cambadélis s’en est ému. Le premier ministre en place, a-t-il suggéré, fait partie des « présidentiables du PS », « celui sûrement qui a le plus de possibilités » en cas d’absence du chef de l’État. Depuis, on ne cesse de gloser, sur l’affaiblissement de l’un, sur les ambitions nouvelles de l’autre et, au total, sur la sourde lutte qui oppose les deux têtes de l’exécutif. Hollande définitivement hors-jeu ? C’est encore à voir…
Le social-libéralisme au cœur de la tempête
Le fond de l’affaire a le mérite d’une certaine clarté. En janvier 2012, le candidat François Hollande s’inscrivait formellement dans la continuité d’une tradition socialiste que Lionel Jospin avait formalisée en 1997, en se démarquant de son homologue britannique Tony Blair : « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché ». De façon moins académique, Hollande claironnait en 2012 le célèbre « Mon adversaire, c’est la finance ». Beaucoup, dès cette époque, ne manquaient pas de faire remarquer que le même candidat, si combatif dans son nouveau parti pris anti-finance, avait choisi comme directeur de sa communication – un directeur de campagne bis, disait-on alors – le plus « social-libéral » de ses camarades de parti, un certain Manuel Valls. Mais la confirmation définitive n’est venue que deux ans plus tard, avec l’installation de Valls à Matignon.
La rupture était nette et, cette fois, pleinement assumée. L’arrivée du chef de gouvernement au menton volontaire disait que le socialisme français cessait de tergiverser : le « libéral » définirait désormais les cadres stricts du « social », la compétitivité d’aujourd’hui ferait le social de demain… La gestion de la réorientation était confiée à Matignon ; mais le signal était envoyé par l’Élysée. Le problème est que ce tournant est survenu en France à un moment où le social-libéralisme est à la fois archi-dominant et… archi-contesté dans les rangs mêmes du socialisme européen. Son pays de naissance, le Royaume-Uni, ne s’est-il pas décidé à remplacer les héritiers « néo-travaillistes »de Blair par un réputé « archéo-travailliste », Jeremy Corbyn ?
Si la politique était le règne de la pure logique, la cause serait entendue depuis longtemps : détenteur d’un record absolu d’impopularité, le président Hollande serait bien inspiré de laisser à d’autres le soin de sortir le socialisme de son bourbier. Mais par qui remplacer celui dont la pratique de la Ve République a fait un « candidat naturel » ? Pas facile de sortir une carte incontestée, dans un parti où à peu près tout le monde, « gauche » et « droite » confondues, a longtemps validé l’orientation générale choisie à l’Élysée et à Matignon.
Ajoutons que nous sommes en France et pas au Royaume-Uni. Le régime n’y est pas parlementaire, mais monarcho-présidentialiste. Si, à Paris comme à Londres, les socialistes choisissent leurs candidats, ils le font moins à partir des orientations qu’ils souhaitent, qu’à partir de l’idée qu’ils se font d’un vote efficace contre la droite. Or, sur ce terrain, la carte Montebourg, par exemple, ne brille pas par la dynamique électorale qu’il semble susciter dans l’opinion.
Le mauvais candidat est-il celui qu’on croit ?
Théoriquement, l’inflexion vers le centre étant majoritairement vilipendée à gauche, une primaire socialiste devrait être a priori favorable à la gauche du parti, et donc à son bateleur par excellence, Arnaud Montebourg. Mais l’inflexion du socialisme de gouvernement vers le centre n’est pas un choix conjoncturel. En admettant que l’ancien ministre du Redressement productif gagne la primaire, il est difficilement envisageable que ne se déclare pas, à côté de lui, une candidature portant ouvertement les couleurs d’un choix social-libéral. Vers la fin de l’été, Emmanuel Macron est sorti du bois : il est le héraut de la « modernisation » et il n’est pas tenu par la discipline d’un parti auquel il n’appartient pas. Si Hollande jette l’éponge, si Valls n’est pas chaud pour aller au massacre, il est la carte idéale de la « nouvelle » gauche. Mélenchon d’un côté, Macron de l’autre : Montebourg est en passe d’être carbonisé, quand bien même il serait intronisé.
Par la magie des grandes manœuvres, revoilà le loser de l’Élysée de retour dans le jeu. Il a certes tout piloté de la politique qui a jeté la France de gauche dans la rue. Mais Valls incarne une vision du socialisme que les socialistes ont balayée lors de la primaire de 2012 et, avec Macron, Hollande a trouvé plus à droite que lui. Il est donc repositionné… au centre, entre Montebourg et Macron. Au centre, et ainsi en position de rassembler un peu mieux que tous les autres, tout en entérinant les choix assumés depuis 2012. S’il n’y a vraiment pas d’alternative à une gestion du pouvoir sociale-libérale, autant que son initiateur et pilote en chef en défende la logique, contre vents et marées. Face à la perspective d’un retour prévisible de la droite, mieux vaut assumer la continuité logique d’un recentrage engagé voilà bien longtemps. Qui, mieux que son maître d’œuvre, pour la défendre ?
Restait à tester l’hypothèse d’une candidature du premier ministre. L’affaire des déclarations « off » du président permet de le faire. Devant l’émoi à gauche, Manuel Valls est contraint d’envisager une possible entrée en lice. Crédible ? Les sondages suggèrent qu’elle l’est pour une majorité relative de personnes interrogées, notamment dans la mouvance socialiste. Mais dans l’hypothèse d’une participation à la primaire socialiste, Montebourg le menace. Ajoutons qu’un chef de gouvernement sortant n’a pas la cote dans une présidentielle : aucun premier ministre en exercice ne l’a emporté à l’élection clé du système politique.
Résultat, pour une majorité d’interrogés, c’est Macron qui aurait davantage de chances de talonner la droite et l’extrême droite. Or même Macron est bien loin de l’emporter au bout du compte. Dès lors, tout se passe comme si le grand maelstrom tactique de l’automne n’avait qu’un point d’arrivée possible : la candidature du président le plus mal aimé de toute la Ve République.
Mélenchon, ou quand le vote utile change de cap
Macron, Montebourg, Valls… En réalité, le problème est ailleurs. Il est bien sûr dans l’échec total du couple Élysée-Matignon. Il est surtout dans le fait qu’une autre hypothèse s’est installée, celle de Jean-Luc Mélenchon. Pour l’instant, il continue de surfer sur la vague favorable qui, dans les sondages, le situe dans une fourchette qui va de 12,5 % à 15 % des intentions de vote déclarées. Un sondage n’est pas un vote réel ? Nous sommes loin du scrutin ? Sans doute, mais la déclaration de proximité est cette fois confortée par un effet d’image : quand on demande aux sondés quelle est la personnalité qui incarne le mieux la gauche, la plupart du temps la réponse Mélenchon vient en premier. Depuis que le Parti socialiste est passé devant le PCF en 1978, c’est la première fois qu’un candidat de la gauche de gauche est en position de surpasser un candidat socialiste.
Il est vrai que la logique de l’élection présidentielle a habitué les électeurs à des choix d’utilité présumée. Or les appels rituels au rassemblement de toute la gauche, surtout quand ils sont au profit d’un socialiste, ont fait surtout la preuve, au mieux de leur inutilité, au pire de leur nuisance. Quand bien même un sursaut de l’électorat met les socialistes en position de gouverner, comme en 1997, cela se traduit par une poussée de la droite et, plus encore, par un élan de la droite la plus extrême.
Pour la première fois depuis longtemps, on annonce, sans que l’option contraire convainque, que la gestion socialiste a trop épuisé la gauche pour qu’elle puisse gagner. C’est si vrai que, comble du comble, une partie de la gauche envisage d’aller voter à la primaire des Républicains ! On croit si peu au moindre mal à gauche, que l’on s’apprête à peser pour un moindre mal à droite…
Mais c’est donc aussi la première fois que la notion jusqu’alors mortifère du « vote utile » peut se retourner contre ses utilisateurs patentés. Et si le vote utile à gauche était cette fois un vote qui permet de remettre les pendules à l’heure ? Et si remettre les pendules à l’heure revenait à stopper radicalement une logique de renoncement à gauche engagée depuis plus de trente ans ? Or aucun socialiste en place ne peut incarner ce renoncement. Mélenchon a plus d’arguments pour le faire.
Tenter franchement autre chose
Qu’il ne soit pas nécessairement le point de convergence de toute la gauche de gauche est possible. Mais qui peut l’être ? Qu’il accompagne son projet d’un discours de légitimation – le « populisme de gauche » – plus emprunté à l’exemple latino-américain ou à Podemos qu’à la tradition française est une autre chose. Mais les électeurs votent-ils pour une doctrine ou pour une stratégie ? Votaient-ils communiste naguère pour la « dictature du prolétariat » ? Et pour Mitterrand parce qu’il avait juré jadis qu’un socialiste ne pouvait pas être autre chose qu’un anticapitaliste ?
En revanche, Mélenchon a pour lui de mener une critique de la gauche gouvernementale cohérente depuis de nombreuses années. Il a longtemps tenté la carte du socialisme officiel et il en est revenu, et pas seulement depuis hier. Depuis bien des années, il a été des grands combats menés contre les effets de l’ultralibéralisme et contre sa logique la profonde, concurrentielle et technocratique. Il s’est identifié à l’expérience porteuse du Front de gauche, dont il a brillamment porté les couleurs en 2012.
On peut alors penser ce que l’on veut du style politique du candidat. On peut ou non apprécier ses références, à Mitterrand, au populisme de gauche, à la logique du « eux » et « nous ». On peut se reconnaître ou non dans les projets politiques de restructuration de la gauche qu’il énonce parfois. Pour une grande part de l’opinion, il est le plus à gauche, le plus représentatif de la gauche, mieux à gauche que tous les tenants de la gauche des gouvernants.
Hollande a pour lui sa cohérence, et contre lui sa politique. Valls et Macron ont pour eux l’image respectable du pouvoir, mais sont contestés, sur leur gauche comme sur leur droite. Mélenchon a pour lui l’élan d’une histoire récente. Il a le parfum sulfureux de ce que les travaillistes britanniques ont réalisé avec Corbyn et que les démocrates américains ont été à deux doigts d’obtenir avec Sanders : sanctionner rudement le pseudo-réalisme des accommodements au centre…
Roger Martelli
* Regards, 6 novembre 2016 :
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/communistes-francais-face-a-leur-destin